On dirait que Kent Hughes et Jeff Gorton ont braqué une banque cet été, mais sans masque et sans arme.
Ils sont repartis avec Noah Dobson dans leurs poches, sourire aux lèvres, comme si de rien n’était, pendant que les Islanders, et surtout Patrick Roy, se demandaient encore comment ils ont pu laisser filer une pépite pareille.
Un défenseur droitier de 25 ans, déjà auteur d’une saison de 70 points, échangé pour des miettes?
À Montréal, on appelle ça un vol qualifié.
À Long Island, on appelle ça une erreur historique.
Et le pire, c’est que ce n’est pas seulement une question de statistiques : c’est aussi une histoire de relations humaines, de visions de hockey qui s’entrechoquent, et d’un entraîneur qui croyait dompter un cheval de course en l’attachant trop serré.
Résultat : l’animal a décidé de changer d’écurie.
Noah Dobson n’a pas perdu de temps.
À peine quelques jours après son mariage et son installation express à Montréal, il était déjà sur la glace à Brossard, le sourire accroché, comme si la métropole lui avait ouvert les bras dès son arrivée.
« Je suis arrivé samedi. J’ai passé deux jours en ville et j’ai patiné lundi à Brossard. J’ai rencontré quelques joueurs. Il y a encore des gars qui ne sont pas à Montréal, mais j’ai senti un accueil très chaleureux. Je n’ai que de bons mots », a-t-il lancé aux journalistes.
Des propos polis, mais lourds de sous-entendus.
Parce que la comparaison avec Long Island est trop facile : là-bas, il avait fini par se sentir de trop. Ici, il respire.
Dobson n’a jamais caché qu’il avait grandi dans les Maritimes en regardant le Canadien à la télévision.
« Je viens des Maritimes et j’ai regardé cette équipe [le Canadien] dans mon enfance. J’aurai la chance de jouer 41 matchs par année au Centre Bell. Je ne peux demander mieux », a-t-il avoué.
Le défenseur étoile est présentement à Calgary pour le camp estival d’Équipe Canada.
C’est là qu’il s’est présenté aux médias après avoir passé deux jours à Montréal et foulé la glace du Complexe CN de Brossard.
Entre ses premières rencontres avec ses nouveaux coéquipiers, son enthousiasme à l’idée de jouer 41 matchs au Centre Bell et ses ambitions olympiques,
Dobson attire déjà l’attention, non seulement pour son talent, mais aussi pour ce que sa présence signifie dans la reconstruction du Canadien.
Pour un joueur qui sortait d’une relation toxique avec Patrick Roy, débarquer à Montréal avec un Martin St-Louis qui distribue les sourires et les accolades, c’est comme sortir d’une tempête pour retrouver le soleil.
Mais attention : derrière la lune de miel, il y a une réalité beaucoup plus complexe.
Car s’il a quitté les Islanders en claquant presque la porte, c’est surtout parce que son rôle avait été réduit à peau de chagrin.
Après une saison 2023-24 où il avait amassé 70 points en 79 matchs, Dobson a vu sa production tomber à 39 points sous Patrick Roy.
Son temps de glace a fondu de plus d’une minute par soir, et son impact sur le jeu de puissance a été sabré en deux : 24 points en avantage numérique une saison, seulement 12 la suivante.
Le pire, c’est que ses minutes en supériorité numérique n’avaient pas baissé.
Non, ce qui avait changé, c’était la dynamique : Roy avait décidé de redéfinir son rôle, de couper ses ailes offensives pour lui coller une étiquette de défenseur plus « complet ».
Traduction : tu ne brilles plus, tu bloques.
À Long Island, on a appelé ça de la rigueur.
À Montréal, on appelle ça un gâchis. Parce qu’un joueur comme Dobson, tu ne l’achètes pas pour le transformer en Colton Parayko ou en Adam Pelech bis.
Tu l’achètes pour qu’il devienne un quart-arrière de luxe, une machine à points, un distributeur de rondelles avec une vision de jeu qui peut faire basculer un match.
Patrick Roy, en bon gardien de but devenu entraîneur, n’a pas toujours la patience pour les artistes. Dobson, lui, est un artiste. La séparation était inévitable.
Mais attention, ce n’est pas parce qu’il a fui l’ombre de Patrick Roy qu’il sera automatiquement la vedette à Montréal.
La hiérarchie du Canadien est déjà lourde.
Lane Hutson, le joyau, le prodige, est l’architecte numéro un du jeu de puissance.
Patrik Laine, de son côté, monopolise déjà le flanc droit, arme fatale sur réception.
Et quand tu regardes la logique d’un schéma « umbrella » en avantage numérique, tu vois vite le problème : Hutson feinte la passe à droite, attire l’attention, puis sert Laine pour un tir meurtrier.
Tout est fluide. Mais si tu ajoutes Dobson, un autre droitier, au sommet de la pointe, tu brises le rythme.
Trop de droitiers tuent le droitier.
Et là, St-Louis se retrouve avec un casse-tête digne d’un Rubik’s Cube.
Le bémol est là : si Dobson pensait débarquer directement sur la première vague, il risque de tomber de haut.
« J’ai discuté un peu avec Martin, mais nous ne sommes pas entrés dans les détails. Je n’ai pas de nouvelles à partager avec vous », a-t-il dit avec un sourire énigmatique.
Traduction : il sait qu’il y a une discussion à venir, et qu’elle ne sera pas simple.
Alors oui, il y a une ironie cruelle.
À Long Island, Dobson s’est plaint de finir sur la deuxième vague.
À Montréal, il pourrait bien retrouver le même scénario.
Sauf que… la grande différence, c’est que la deuxième vague montréalaise n’a rien d’un cimetière offensif.
Oubliez Kyle Palmieri et Pageau.
Ici, c’est Ivan Demidov, Kirby Dach, peut-être même un Suzuki qui double.
Bref, une escouade B qui a les crocs d’une escouade A.
Dans ce contexte, être relégué « deuxième vague » n’est pas une punition. C’est une chance de faire mal à des adversaires déjà fatigués par la première.
Le vrai test viendra en octobre, quand le CH commencera sa saison.
Parce que ce « vol à Long Island » ne sera un chef-d’œuvre que si Martin St-Louis réussit à caser Dobson sans éteindre ni Hutson ni Laine.
Sinon, on se retrouvera avec un joueur frustré, qui aura quitté Roy pour revivre le même cauchemar.
Mais si St-Louis réussit son coup, si Dobson accepte d’être le général de la deuxième unité et de profiter d’un alignement bourré de jeunes talents, Montréal pourrait devenir son paradis.
En attendant, les partisans savourent.
On parle d’un défenseur de 388 matchs d’expérience dans la LNH, 230 points accumulés, et une saison de 70 points déjà sur son CV.
Un joueur de 25 ans signé pour huit saisons. C’est le genre de profil que tu bâtis autour, pas que tu perds en chemin comme les Islanders.
Le « vol » est déjà historique. Mais la réussite totale dépendra d’une question simple : Martin St-Louis aura-t-il le courage de réinventer son jeu de puissance pour caser Dobson, ou devra-t-il assumer que sa superstar flambant neuve restera sur la deuxième vague?
Pour l’instant, Dobson sourit, parle d’accueil chaleureux, et se dit « conquis par Montréal ».
Mais derrière ce sourire, une vérité crue plane : le Canadien a gagné un bijou… et maintenant, il doit prouver qu’il sait comment le polir.
À suivre ...