Vente de feu à TVA Sports: Rogers sur le point d’acheter la station

Vente de feu à TVA Sports: Rogers sur le point d’acheter la station

Par David Garel le 2025-11-07

Cette semaine, plusieurs signes convergent : TVA Sports est à bout de souffle. Le réseau sportif de Québecor, plombé par un contrat ruineux avec la LNH et un effondrement continu de ses revenus d’abonnement, ne survit plus que par transfusion interne.

Et pendant que Bell Média consolide son alliance entre RDS et Crave, (contrat à long terme assurant à Bell 45 matchs du CH à RDS et 15 matchs à Crave): la seule issue possible pour TVA Sports serait d’être absorbée par Rogers. Autrement dit : devenir le Sportsnet français.

Rogers a signé un nouveau contrat monstre de 11 milliards de dollars avec la Ligue nationale pour douze ans. L'entreprise monstre dans le domaine des télécommunications a accordé la sous-licence française des matchs régionaux du Canadien à RDS-Crave pour 60 matchs en tout.

Il reste les 24 matchs restants et les séries du CH et de la LNH. Ce qu'on appelle les droits nationaux. Et c'est là que l'idée devient logique: que Rogers veuille acheter TVA Sports pour des peanuts.

Car soyons honnêtes: TVA Sports ne vaut rien.

À l’automne 2014, Gerry Frappier, président de RDS, voyait venir la catastrophe. TVA Sports venait de débourser plus de 700 millions sur 12 ans pour obtenir les droits nationaux francophones de la LNH, brisant ainsi le monopole historique de RDS.

Pour Bell, il s’agissait d’un électrochoc : il avait fallu débourser environ 800 millions supplémentaires pour conserver une soixantaine de matchs du Canadien. RDS perdait son exclusivité, mais surtout, le marché venait d’être fracturé pour de bon.

Frappier avait expliqué à l’époque qu’il aurait pu égaler l’offre de Québecor… mais qu’il s’y était refusé.

« Ce serait un suicide financier », avait-il dit. Il voyait déjà poindre le phénomène du cord-cutting, la fuite des abonnés du câble vers le numérique, et savait qu’une chaîne sportive dépend à 70 % de ses abonnements et à 30 % de la publicité. La moindre baisse d’audience, disait-il, ferait chavirer tout le modèle.

Dix ans plus tard, l’histoire lui a donné raison. TVA Sports, loin de rentabiliser son pari, est devenue un gouffre. Les pertes cumulées dépassent les 300 millions de dollars, selon les plus récents chiffres internes.

L’an dernier encore, le Groupe TVA a dû emprunter 91 millions à Québecor Média pour équilibrer ses comptes. Sa marge de crédit, jadis de 150 millions, n’est plus que de 20 millions.

Et sans TVA Sports, l’entreprise serait pratiquement rentable. Autrement dit, c’est la chaîne sportive qui tire tout le navire vers le fond.

Lorsqu’elle a été lancée en 2011, TVA Sports comptait près de 1,8 million d’abonnés. En 2024, ce chiffre est tombé sous la barre du million, selon le CRTC.

En 2025, ce sera encore pire.

RDS, de son côté, est passée de 3,3 millions à environ 1,7 million. La catastrophe est généralisée : le câble s’effondre, la consommation se déplace vers le streaming, et les revenus publicitaires ne suffisent plus.

RDS survit parce qu’elle appartient à un groupe aux revenus stables, Bell Média, et qu’elle partage son écosystème avec TSN, très rentable au Canada anglais. Mais TVA Sports, isolée, privée de synergies internationales, étouffe.

Le problème, c’est que le contrat national francophone de la LNH, celui pour lequel Québecor a tout misé en 2013, n’a jamais eu la valeur réelle qu’on lui prêtait.

Contrairement à l’anglais, le « national francophone » ne se traduit pas par des millions de téléspectateurs d’un océan à l’autre.

Au Québec, seule la marque Canadien de Montréal génère des cotes d’écoute substantielles. Les matchs entre Winnipeg et Calgary n’intéressent personne. TVA Sports a donc payé le prix fort pour un produit que seul un marché restreint consomme.

Le résulat donne mal au coeur: des revenus en chute libre, des audiences en baisse, et une structure de coûts impossible à amortir. Même la diversification, UFC, soccer, tennis, n’a pas suffi. Chaque année, les pertes s’accumulent, et chaque trimestre, Québecor doit combler le trou.

Puis, le couperet est tombé : Rogers Communications et la Ligue nationale ont prolongé leur alliance pour 12 nouvelles années, jusqu’en 2038, pour un montant record de 11 milliards de dollars.

C’est plus du double du contrat précédent (5,2 milliards signé en 2013). Et ce détail est crucial : Rogers détient maintenant tous les droits nationaux au Canada, y compris le pouvoir de sous-licencier la portion francophone.

Dans les faits, Rogers devient le seul interlocuteur de la LNH au pays. En 2013, l’entreprise torontoise avait revendu les droits francophones à Québecor pour environ 800 millions.

Dix ans plus tard, rien ne garantit qu’elle voudra répéter cette erreur. Au contraire : tout indique qu’elle cherchera un partenaire capable de rentabiliser l’investissement global, pas de s’enfoncer dans un déficit structurel.

Et quel partenaire francophone, aujourd’hui, a les moyens ? Ni Bell, endettée à plus de 38 milliards $, ni Québecor, épuisée par les pertes de TVA Sports. Il ne reste que Rogers elle-même.

Le calcul est clair et net : Rogers n’a pas d’antenne francophone, mais elle a besoin d’une vitrine pour les 24 matchs nationaux du Canadien et les séries éliminatoires.

Elle a les ressources, la technologie et la plateforme numérique (Sportsnet Now, Citytv+, Amazon partenaire pour les lundis soirs), mais aucun ancrage au Québec.

TVA Sports, à l’inverse, a le réseau, le personnel, l’identité, mais plus de moyens. L’union des deux règlerait deux problèmes à la fois.

En rachetant TVA Sports, Rogers transformerait la chaîne en Sportsnet Français, un miroir du modèle anglophone : des droits nationaux, une offre multiplateforme, un accès bilingue au hockey canadien, et surtout, une rentabilité intégrée au portefeuille Rogers Sports & Media.

Pour Québecor, ce serait un allègement de dette salutaire. Le groupe sauverait ses autres divisions (télé, nouvelles, divertissement) sans devoir fermer la chaîne ou licencier des centaines d’employés.

La plupart des équipes techniques, commentateurs et producteurs pourraient être conservés, simplement rattachés à un nouveau propriétaire.

Pendant ce temps, Bell Média restructure son propre modèle. Le Canadien a renouvelé pour 45 matchs régionaux sur RDS, et selon Max Lalonde, 15 autres matchs seront diffusés sur Crave, le service de streaming de Bell.

Même production, même équipe (Pierre Houde, Marc Denis), mais nouvelle plateforme. C’est la preuve que la télévision linéaire n’est plus suffisante : le hockey bascule vers le numérique.

En clair : pour ne rien manquer du CH, les amateurs devront combiner RDS et Crave. Et pour les matchs nationaux ?

Aujourd’hui encore sur TVA Sports, mais si la vente à Rogers se concrétise, Sportsnet Français deviendrait la maison du samedi soir, avec la même structure que Hockey Night in Canada, simplement traduite.

Le marché francophone du hockey est trop petit pour soutenir deux chaînes sportives spécialisées, et encore moins trois plateformes distinctes.

D’ici la fin du contrat actuel, à l’été 2026, une consolidation est inévitable. Et cette consolidation ne peut venir que d’un acteur national, déjà en place, capable d’absorber le risque.

Rogers a les moyens. Le groupe a engrangé près de 400 millions $ de profits sur Sportsnet au cours des quatre dernières années, malgré une perte d’1,4 million d’abonnés.

Les revenus publicitaires nationaux, dopés par les paris sportifs, compensent largement. En anglais, la machine continue de tourner ; en français, il suffirait de greffer une antenne locale.

Pour la LNH, ce serait un soulagement : un seul diffuseur pan-canadien, bilingue, cohérent, capable d’assurer la promotion du produit dans les deux langues officielles.

Pour les partisans québécois, ce serait la fin du morcellement entre chaînes et forfaits. Et pour le hockey, la garantie d’une visibilité continue.

Cette semaine, difficile de ne pas penser à Gerry Frappier. Celui qui, en 2014, avait refusé de s’endetter pour suivre Québecor, apparaît aujourd’hui comme le grand visionnaire de l’industrie.

Il avait vu venir la dérive du modèle et compris qu’au Québec, les droits de la LNH ne pouvaient être rentabilisés qu’en anglais.

Quand Frappier déclarait que « le modèle ne tient pas », il ne parlait pas seulement de chiffres. Il parlait de la réalité culturelle : un marché francophone trop étroit pour financer deux réseaux concurrents, une dépendance excessive au Canadien, et un paysage publicitaire limité.

Il avait prédit, en substance, ce que nous vivons : une implosion du modèle linéaire sportif québécois.

TVA Sports ne peut plus continuer à perdre dix millions par an en espérant un miracle. Québecor ne pourra pas éternellement combler le déficit.

Le rachat par Rogers serait la seule façon de préserver la marque, les emplois et la couverture francophone de la LNH. Sans cela, c’est la fermeture pure et simple.

Le prochain cycle médiatique du hockey, celui de 2026-2038, sera dominé par Rogers. Si TVA Sports n’en fait pas partie, elle sera balayée.

Le Sportsnet Français deviendrait alors le prolongement naturel du grand réseau canadien, ancré à Montréal, bilingue, modernisé et enfin viable.

Le rêve de Québecor de rivaliser avec Bell se transformerait en réalité plus modeste : servir de pont entre la LNH et le public québécois sous la bannière d’un autre géant. Cruel pour l’orgueil, peut-être. Mais vital pour la survie.