C’est un geste de défi. Une déclaration de guerre à ses "haters". Une réplique cinglante aux critiques qui s’accumulaient depuis des semaines contre Jeff Gorton.
Et le nom gravé à l’encre rouge dans ce bras d’honneur? Alexis Cournoyer.
Quand le CH a préféré le gardien biélorusse Arseni Radkov (82e rang) à Gabriel D'Aigle (sélectionné par Pittsburgh au 84e rang), la toile a explosé.
Les réseaux sociaux ont alors accusé le Canadien de Montréal de mépriser le talent québécois.
Il faut se souvenir des mots de Jeff Gorton avant le repêchage, lorsqu’il avait été interrogé sur la place des joueurs québécois dans l’organisation du Canadien.
« On ne va pas repêcher des Québécois juste parce qu’ils sont Québécois », avait-il affirmé froidement, provoquant un tollé médiatique dans la province.
Mais voilà qu’au 145e rang, en cinquième ronde, Jeff Gorton sort une carte inattendue de sa manche : Alexis Cournoyer, le gardien trifluvien oublié, ignoré, résilient. Le mal-aimé par excellence.
Et ce n’est pas un choix par défaut. C’est un pied de nez bien calculé. Une vengeance froide, servie avec le calme arrogant de ceux qui savent qu’ils ont eu le dernier mot.
Gorton n’a pas cédé à la pression pour repêcher D’Aigle au 82e rang. Il n’a pas offert une tribune aux chroniqueurs qui voulaient le forcer à faire un geste symbolique. Il a attendu. Calculé. Et lorsqu’il a estimé que le moment était venu, il a frappé, sans avertissement.
Mais pour comprendre la puissance de ce choix, il faut comprendre le parcours d’Alexis Cournoyer. Un gardien de but de 6 pieds 3 pouces, 195 livres, qui aurait pu, qui aurait dû, être oublié à jamais.
En 2021, il n’est repêché qu’en 13e ronde par les Cataractes de Shawinigan, parce qu’à l'époque, il mesure tout juste 5 pieds 9 pouces et pèse 140 livres. Trop petit, trop léger, trop frêle.
Lorsqu’Alexis a été retranché du camp des Cataractes, il n’était pas seulement écarté d’un alignement : il était effacé d’un rêve d’enfance.
Dans les gradins, sa famille, ses amis, ses entraîneurs de la Mauricie avaient le coeur brisé. Louis Cournoyer, son père, est l’annonceur maison des Cataractes. Littéralement la voix du Centre Gervais Auto depuis plus d’une décennie. Il était détruit.
Mais voilà qu’une poussée de croissance spectaculaire transforme physiquement le gardien, sans pour autant lui offrir de seconde chance.
Il est échangé à Baie-Comeau, puis renvoyé dans le junior A des Maritimes, une ligue que la LHJMQ regarde encore de haut. Il aurait pu abandonner. Il aurait pu se contenter de s’inscrire à l’université et tourner la page.
Mais Alexis Cournoyer a le courage imprégné dans son coeur.
Il continue à bloquer des rondelles dans l’anonymat de Truro, en Nouvelle-Écosse. Puis, en décembre 2024, une transaction étonnante le mène aux Eagles du Cap-Breton. On ne lui promet rien. Deux matchs, peut-être trois. Une audition rapide pendant que Jakub Milota est au Championnat mondial junior.
Et il transforme cette chance en or.
Trois départs. Deux blanchissages. Une moyenne de buts alloués de 1,62 et un pourcentage d’arrêts de 94,6 %. Il gagne sept de ses onze premiers départs.
Il est nommé gardien du mois dans la LHJMQ. Puis dans toute la LCH.
Son style? Compact, technique, férocement concentré. Sa mentalité? Celle d’un survivant.
« Je suis conscient que c’est cliché, mais j’en veux toujours plus », disait-il en janvier.
Ce n’est pas un feu de paille. Il termine la saison avec la meilleure moyenne de buts alloués dans la LHJMQ (1,77) et le meilleur pourcentage d’arrêts (,942). Des statistiques de premier de classe pour un gardien sorti des bas-fonds du circuit.
Pendant que Gabriel D’Aigle stagnait à Victoriaville avec des statistiques en dent de scie, Alexis Cournoyer détruisait la LCH à coups de performances incroyables. Mais personne n’en parlait. Il était trop tardif, trop marginal, trop en dehors du radar.
Personne, sauf Jeff Gorton.
Cette fois, le VP du Canadien de Montréal vient de se venger de façon spectaculaire. Et pas avec un petit joueur de fond d’alignement.
Il est allé chercher un potentiel vol monumental. Cournoyer a déjà reçu des appels de recruteurs de la LNH. Plusieurs universités américaines sont à ses trousses. Mais le CH n’a pas attendu. Il l’a sélectionn pour en faire sa propriété exclusive.
Pendant que d’autres avec des noms plus flamboyants profitaient d’un système biaisé, lui devait se battre contre l’oubli.
En s’emparant d’Alexis Cournoyer au 145e rang, le Canadien de Montréal a envoyé un message percutant : on ne réagit pas aux pressions populaires. On observe. On évalue. Et on frappe au moment parfait.
Un rappel brutal que Jeff Gorton n’est pas un figurant dans l’histoire du CH. Il en est le cerveau froid du "big boss" derrière un projet plus grand que la tempête d’un réseau social.
Et Cournoyer, lui, n’oubliera jamais.
« J’étais prêt à tout abandonner. Puis je me suis dit : f*ck it. Je vais juste jouer au hockey pour le fun, et on verra. »
Ce déclic a tout changé. Et Jeff Gorton, en allant le chercher, n’a pas juste ajouté un gardien dans sa banque d’espoirs. Il a validé tout un parcours de souffrance, d’oubli, de persévérance. Il a fait d’Alexis Cournoyer un symbole de la revanche tranquille.
C’est ainsi que le CH bâtit, en silence, un projet où les gestes parlent plus fort que les promesses. Où le vrai talent, même caché dans un sous-sol de Nouvelle-Écosse, finit toujours par émerger.
Et le dernier mot, comme toujours, appartient à ceux qui n’ont jamais cessé d’y croire.