Il y a des trajectoires qui forcent l’humilité. Des parcours qui rappellent brutalement à quel point le hockey est un sport cruel.
Le cas de Lucas Vejdemo, aujourd’hui âgé de 29 ans, est de ceux-là. L’ex-espoir du Canadien de Montréal, qu’on a un jour comparé à Patrice Bergeron, rien de moins, vient de vivre une scène d’horreur lors d’un entraînement avec son équipe suédoise, Leksands IF.
Une rondelle, frappée à bout portant, l’a atteint directement à l’oreille. Résultat : il est devenu sourd d’une oreille. Définitivement, peut-être.
Mais cette blessure, aussi spectaculaire soit-elle, n’est que le point d’exclamation tragique d’un récit bien plus vaste.
Un récit de promesses brisées, de projections ratées, de comparaisons trop hâtives. Un récit qui symbolise à lui seul la malédiction suédoise du Canadien de Montréal.
Et s’il faut un nom pour résumer ce syndrome, c’est celui de Mathias Brunet, le journaliste qui, il y a plusieurs années, voyait en Lucas Vejdemo un futur « Patrice Bergeron suédois ».
Ces mots existent, ils sont réels. Ils ont été prononcés dans une chronique enflammée, alors que Vejdemo brillait avec Djurgårdens IF dans la SHL et que son jeu sans la rondelle faisait saliver les recruteurs nord-américains.
Lucas Vejdemo, c’était le prototype parfait du centre deux-way : fiable défensivement, mature dans ses lectures, impliqué physiquement, bon patineur, capable de soutenir un jeu en zone offensive.
Repêché en troisième ronde, 87e au total en 2015, il était vu comme un projet à moyen terme, mais avec un plafond très haut. Le genre de joueur qu’on ne remarque pas toujours à la première présence, mais dont l’utilité crève les yeux après quelques semaines dans un alignement.
Mais ce plafond, il ne l’a jamais effleuré. En quatre saisons avec le Rocket de Laval et un maigre 13 matchs avec le Canadien, Vejdemo n’a jamais réussi à faire sa place.
Pas une blessure catastrophique, pas un scandale, pas un comportement problématique. Non. Juste rien. Une disparition graduelle. Une absence d’impact. Une fadeur difficile à expliquer pour un joueur qui, selon certains rapports, avait tout du Patrice Bergeron « light ».
Le cas Vejdemo ne fait qu’amplifier le syndrome suédois du CH. Depuis les années 2010, combien d’espoirs venus de Suède ont été "hypés" à outrance pour finalement s’éteindre à Laval ou disparaître en Europe? Le nom de Jacob De La Rose revient forcément.
Lui aussi a été présenté, dans son jeune temps, comme un Patrice Bergeron scandinave. Capitaine du programme junior suédois, deux-way, physique, bon gabarit. Repêché en deuxième ronde en 2013, il devait incarner la relève du centre défensif du Canadien. Au final? Une centaine de matchs sans réelle empreinte, puis l’oubli.
Les parallèles sont frappants : même profil, mêmes attentes, même effacement, même exil européen. De Larose a lui aussi fini par rentrer en Suède après avoir été écarté par le CH, tout comme Vejdemo. Même nationalité. Même malédiction.
Et comme si le destin avait décidé de frapper encore plus fort, voilà que Lucas Vejdemo, à l’aube de ses 30 ans, subit ce que peu de joueurs peuvent imaginer dans leur pire cauchemar : une surdité partielle provoquée par un tir reçu de plein fouet à l’oreille.Un dernier coup de grâce à l’oreille
« La rondelle a frappé de plein fouet mon oreille et l’oreille a sifflé pas mal. C’est arrivé tellement vite que je n’ai pas pu réagir », a-t-il raconté au média suédois Falu-Kuriren.
« Je ne peux plus rien entendre dans cette oreille. Parfois, ce genre de blessure guérit par elle-même, parfois une opération est nécessaire. »
Un événement violent, absurde, cruel. Un symbole parfait d’une carrière qui, malgré l’absence de scandales, a toujours semblé victime de quelque chose d’extérieur.
Le hasard, les circonstances, le timing, ou simplement un rêve nord-américain qui ne voulait pas s’écrire.
Mais dans cette atmosphère de désillusions suédoises, un nom fait figure d’espoir : Adam Engström.
Le défenseur gaucher du CH, repêché en 2022, impressionne par sa maturité, sa mobilité, son instinct offensif et sa rigueur défensive.
À l’inverse de Vejdemo ou De Le Rose, Engström ne se contente pas d’être “bon dans les deux sens de la patinoire” : il aspire à dominer. Il ne joue pas pour survivre sur une troisième paire. Il joue pour forcer les portes de la LNH, pour arracher un poste à Jayden Struble, pour défier Arber Xhekaj.
Et surtout, il n’a pas peur de le dire. Dans les dernières semaines, Engström a confié à un média suédois qu’il se considère “prêt pour la LNH”.
Une phrase que jamais Vejdemo ou Delarose n’ont osé prononcer. Peut-être parce qu’ils n’y croyaient pas eux-mêmes. Engström, lui, y croit. Et ça change tout.
Pourquoi Montréal échoue-t-il toujours avec les espoirs suédois? Est-ce un hasard, un problème de développement, une incompatibilité de style de jeu? La question mérite d’être posée. Car les exemples sont nombreux :
Sebastian Collberg : repêché 33e en 2012. Jamais signé.
Magnus Nygren : repêché 113e en 2011. N’a jamais percé.
Andreas Engqvist : promesse jamais tenue.
Jacob Olofsson : repêché, jamais venu en Amérique du Nord.
Et bien sûr, De La Rose et Vejdemo, les plus frustrants.
Le seul véritable succès? Mats Näslund, et on remonte ici aux années 1980. Autrement dit : plus de 30 ans de désert suédois, ponctués de mirages.
Le cas Vejdemo aurait pu être banal, classé dans la catégorie des « flops tranquilles » si ce n’était de cette maudite rondelle qui a changé sa vie.
Une oreille détruite, peut-être une audition perdue à jamais... pour l'instant... (il peut se faire opérer, mais il préfère attendre. Une blessure invisible, mais brutale. Une blessure qui, au fond, illustre à merveille tout ce que Vejdemo a été : un joueur qu’on n’a jamais vraiment vu, jamais vraiment entendu. Et qui maintenant, n’entendra plus.
C’est cruel, c’est tragique, c’est à pleurer. Mais c’est aussi un rappel puissant : dans le monde du hockey, les prédictions ne valent rien. Et dans celui du Canadien, être un espoir suédois, c’est presque une condamnation.
Mais peut-être qu’Adam Engström changera tout ça. Peut-être qu’il enverra au recyclage toutes ces comparaisons bancales avec Patrice Bergeron.
Peut-être qu’il fera mentir l’histoire. Il est temps.
Parce que la tragédie de Vejdemo mérite au moins une revanche générationnelle.