PCO brise enfin le silence.
Dans le monde brutal, hypercodifié et impitoyable de la lutte professionnelle, il n’existe pas de plus grand tabou que la trahison perçue entre coéquipiers.
C’est un sujet que Pierre Carl Ouellet a toujours évité. Un non-dit qu’il a porté sur ses larges épaules pendant plus de 30 ans. Jusqu’à maintenant.
Dans une entrevue exclusive accordée à David Garel sur les ondes de Hockey 30, la légende vivante de la lutte québécoise a accepté de poser les gants et de lever, un instant, le masque de fer:
Pas pour régler ses comptes. Pas pour faire les manchettes. Mais parce que le poids de ce passé-là, il faut parfois le poser pour continuer d’avancer.
Et c’est précisément ce qu’il a fait lorsqu’il s’est confié, à cœur ouvert, sur sa relation trouble avec Jacques Rougeau.
« Je ne veux pas envoyer personne sous l’autobus. C’est juste ma perception des choses », a-t-il tenu à rappeler d’entrée de jeu. Mais même dit avec douceur, ce qui suit est chargé de tension.
Lorsque Jacques Rougeau a tendu la main à PCO en 1993 pour former les “Québécois” (Quebecers) à la WWF, l’opportunité était immense.
Pour PCO, c’était enfin la porte d’entrée vers le grand public nord-américain, une validation après des années d’errance, de douches froides, et de galas devant 300 personnes en Europe ou dans les Maritimes. Mais dès le départ, l’équilibre entre les deux hommes n’était qu’une illusion.
« L’entente, c’était : t’es co-pilote, enjoy the ride. C'est moi la star et tu vas avoir ce que je vais te donner. »
Là où PCO espérait un duo équitable comme celui qu’il avait formé avec Nelson Veilleux, il s’est vite retrouvé dans l’ombre d’un Jacques Rougeau omniprésent. Même le micro lui était interdit.
Son témoignage dans l'extrait vidéo suivant nous donne les larmes aux yeux:
« J’avais pas le droit de parler en anglais, juste en français. Je sais que c’était pour l’image, mais c’était aussi pour me garder plus bas. Si tu me laisses jamais parler, comment tu veux que je m’améliore ? »
Ce contrôle s’étendait jusque dans les coulisses. La gestion de leur équipe devenait de plus en plus verticale. Rougeau dictait le tempo, la promo, les prises de parole. Ouellet, lui, subissait. Il avait accepté les conditions. Mais la frustration grandissait, nourrie par des fans qui, eux aussi, s’interrogeaient :
« Le monde me demandait : pourquoi c’est tout le temps Jacques qui parle, pis toi jamais ? C’est eux qui ont commencé à me faire réfléchir. »
Il y a eu un point de non-retour. Un moment précis où la tension évidente est devenue concrète.
L'incident s'est déroulé à Montréal lors d'une conférence de presse survoltée. L'incident racontée dans l'extrait vidéo suivant nous donne des sueurs froides dans le dos:
Hulk Hogan est là. Jacques Rougeau aussi. Et PCO, lui, affronte un géant lors du gala : le Big Show, dans une mise en scène explosive.
Pendant le face-à-face, PCO prend une chaise. Le photographe capte ce moment. Le lendemain, première page de la Gazette : pas Jacques. PCO.
« Il m’a dit que j’avais volé sa une. Il a sauté une grosse coche. »
Et la conséquence ? Immédiate. Silencieuse, mais brutale. Le lendemain, PCO devait prendre l’avion vers Orlando. Il n’a pas pris le premier vol. Ni le deuxième. Ni le troisième. Il n’avait plus envie.
« J’étais à bout. »
À bout d’être effacé, à bout de s’excuser d’exister. Et pourtant, même dans l’adversité, PCO refuse de faire de Jacques un méchant de film.
« C’est un gars de cœur. Quand il y a eu le verglas, il nous a accueillis chez lui. Il m’a toujours tendu la main. Mais dans le business, c’était différent. »
La suite est encore plus cruelle. Jacques prend sa retraite… mais revient deux ans plus tard. PCO, lui, pense enfin voler de ses propres ailes. Il est en discussion avec Vince McMahon pour signer à nouveau.
Mais Rougeau intervient:
« Il m’a appelé pour me dire de ne pas signer. Que c’était de ma faute si ses shows n’avaient pas de monde. »
On peut sentir PCO qui a le coeur brisé en racontant cette histoire:
« Des fois, j’ai été un peu naïf. Je pensais qu’en appelant Jacques pour demander un conseil, il me donnerait le meilleur conseil pour moi. Mais des fois, c’était peut-être pas la personne que j’aurais dû appeler. »
Encore une fois, Ouellet se retrouve dans un engrenage qui le dépasse. La vision du duo n’est plus la sienne. Il veut garder sa patch sur l’œil, ses cheveux longs, sa singularité. Il n’est plus l’ombre de personne.
Le plus tragique dans cette histoire ? PCO aurait pu être champion du monde à Montréal. Le plan était là. Le rêve : une ceinture au Stade olympique. Mais encore une fois, tout s’effondre. Une chicane entre Rougeau et Vince fait tout capoter.
« C’était censé être moi contre Bob Backlund pour le championnat du monde au Stade. Ça a tombé à l’eau. »
Et quand Vince l’appelle, personnellement, pour lui proposer un match contre Shawn Michaels, après la défaite symbolique contre Jacques… Jacques est encore dans l’oreille.
« Il m’a dit que si je perdais contre Shawn Michaels, ma carrière était finie à Montréal. »
PCO finit par accepter, puis regrette, puis accepte à nouveau. Mais le mal est fait. Et c’est là que la vraie fracture arrive.
À Montréal, devant son public, PCO affronte Diesel (Kevin Nash), alors champion du monde. On lui annonce : « Grosse botte, Jackknife, 1-2-3 ». PCO refuse. Il dit non. Les tensions sont extrêmes.
« Les gars voulaient me battre dans le vestiaire. John voulait me frapper avec une ceinture. J’ai dit : si tu me manques, je te défais la face. »
Dans le ring, les coups sont vrais. Les regards sont lourds. Le public ne sait plus si c’est du théâtre ou un vrai combat. C’est un vrai combat.
« Ils m’ont enlevé ma paye. Zéro. »
Et dès le lendemain, Vince, qui l’a défendu contre les attaques internes, se retrouve à gérer une bombe. Lentement, PCO devient un indésirable. Il perd tout. Il tombe. Encore.
Le retour au Québec, les passages à la WCW, les galas indépendants… Rien ne semble reconnecter. PCO est en chute libre. Jusqu’à ce qu’il recommence à croire.
Ce n’est pas Jacques Rougeau qui l’a relancé. Ce n’est pas Vince. Ce n’est pas Triple H. C’est lui-même. À 50 ans passés, il retourne sur la scène indépendante. Il dort dans des voitures. Il accepte des combats à 150$. Et un soir, à WrestleMania Week, tout explose. Le match contre Walter Hahn, alias Gunther, devient viral.
« L’aréna a explosé. J’étais revenu. »
Et là, le destin change. Ring of Honor l’approche. Il devient champion du monde. Il gagne plus qu’il n’a jamais gagné à la WWF. Il devient… plus grand que jamais.
« C’est devenu plus gros que tout ce que j’avais connu. »
À 57 ans, PCO est toujours actif. Il défend son titre international. Il remplit des salles. Il rêve encore de finir sa carrière en beauté. Peut-être même au Stade olympique. Peut-être même contre Kevin Owens, son ami, son frère d’armes. Le destin n’a pas dit son dernier mot.
« La légende s’est amplifiée. Et j’ai l’impression que c’est maintenant que je vis mes plus grands moments. »
Et il y a aussi une dimension humaine. Le 5 juillet, au Colisée de Laval, une partie des recettes ira à la Maison Stéphane Fallu, pour les jeunes sortant de la DPJ.
« C’est une cause qui me tient à cœur. C’est pas juste donner un toit, c’est préparer les jeunes à affronter la vie. »
Il serait facile de clore cette histoire sur une note amère. Sur un règlement de comptes. Mais ce n’est pas PCO. Il n’a jamais été un homme d’amertume. Il a été un homme de résilience, de travail, de dignité.
« Je souhaite juste du bien à Jacques. Je garde aucun ressentiment. »
Il ne dit pas que tout a été rose. Il ne prétend pas que tout a été juste. Mais il a appris. Il a grandi. Et aujourd’hui, il tend la main à tous ceux qui, comme lui, ont été oubliés, effacés, écorchés par les coulisses d’un monde cruel.
À travers cette entrevue, ce n’est pas juste un lutteur qu’on entend. C’est un homme. Un homme qui a survécu aux projecteurs, aux trahisons, aux blessures. Et qui, malgré tout, est toujours debout.
PCO n'est pas seulement une légende. Il est une leçon de vie.