“2 %, pis après ?”
La revanche définitive de Martin St-Louis est sans pitié.
Il y a des soirs où le hockey dépasse la glace. Où ce qui se joue sous les projecteurs va bien au-delà d’un simple match.
Mercredi soir, au Centre Bell, c’est une revanche existentielle qui s’est concrétisée sous les yeux d’un Québec entier.
Pas seulement la revanche d’un groupe de jeunes joueurs qu’on condamnait à la cave depuis octobre. Non. La revanche d’un homme. Martin St-Louis.
Ils ont tous entendu ce chiffre. Ce fameux 2 %. C’est devenu une obsession dans le vestiaire du Canadien. Un symbole. Une insulte. Une piqûre dans le cœur.
Car lorsqu’on a dit, en février, après le tournoi des 4 Nations, que le CH n’avait que 2 % de chances de faire les séries, c’est comme si on avait réduit trois années de travail, de sacrifices et de douleur à un chiffre ridicule, à une probabilité que personne ne voulait prendre au sérieux.
Et Martin St-Louis a encaissé ça. Il l’a encaissé comme il a encaissé le reste.
La démission annoncée par Jean-Charles Lajoie en décembre, qui jurait à micro ouvert que Martin ne finirait pas la saison.
Les flèches de Michel Bergeron, qui le traitait de coach “peewee”, trop mou, trop soft. L’ombre omniprésente de Patrick Roy, que plusieurs voyaient comme le sauveur, pendant qu’on accusait St-Louis d’être dépassé par les événements.
Pendant des mois, "le Tigre" s’est acharné sur Martin St-Louis, refusant de lui accorder le moindre mérite. Il a répété sur toutes les tribunes que St-Louis était perdu derrière le banc, qu’il ne savait pas gérer ses trios, qu’il ne comprenait pas le tempo d’un match de la LNH.
À plusieurs reprises sur TVA Sports, il l’a même qualifié de « coach pee-wee », un entraîneur improvisé, trop tendre, trop pédagogique pour la dure réalité de la Ligue nationale.
Il disait que « les joueurs ne l’écoutent plus », que « le vestiaire est en train de lui échapper », et que « Patrick Roy est prêt. »
Comme si St-Louis n’était qu’un coach par intérim de bas-étage, un coach de transition qui n'avait aucune valeur. Pire encore, lors de la fameuse dégelée contre Pittsburgh, il avait réclamé sa tête :
« Ce gars-là n’a pas d’affaire dans la LNH. C’est fini. »
Et pourtant, il est toujours là. Et Bergeron, lui, refuse aujourd’hui de prononcer son nom. Même quand il donne enfin un peu de crédit à l’équipe, c’est aux jeunes, à la foule, au Centre Bell.
Jamais au coach. Comme si reconnaître la réussite de St-Louis revenait à renier deux ans d’attaques gratuites et injustes.
St-Louis n’a jamais répondu. Pas sur le moment. Il a tout pris. Tout gardé. En silence. Et mercredi soir, il a tout renversé.
Quand il s’est présenté devant les journalistes, c’était écrit dans ses yeux. Le feu. L’intensité. La fierté. Ce n’était pas de l’arrogance. C’était le regard de celui qui n’oublie rien. Et cette fois, c’était à son tour de poser une question.
« Vous disiez 2 % de chances ? Maintenant, c’est 100 %. »
Pas besoin de crier. Pas besoin d’insulter. Il a simplement remis les faits sur la table. Et c’était d’une violence symbolique rare.
Car ce chiffre, il n’a pas seulement été évoqué une fois. Il a été répété en boucle par tous les experts, tous les panels, tous les algorithmes.
Le CH devait mourir dans l’œuf. Il ne devait même pas avoir le droit de rêver. Et pourtant, voilà qu’il s’envole pour Washington. En séries. Contre toute attente. Contre tout le monde.
C’est qu’on oublie vite le chemin qu’il a fallu traverser.
Trois ans. Trois longues années à encaisser les défaites. À voir les joueurs tomber les uns après les autres. Kaiden Guhle blessé, Kirby Dach hors-jeu, des gardiens instables, des recrues à la pelle. Et malgré tout ça, on attendait que St-Louis bâtisse un empire instantané.
Chaque mauvaise semaine était une crise. Chaque mauvaise réponse en conférence de presse était décortiquée, moquée, montée en épingle.
Martin n’a jamais eu droit à l’erreur. Jamais. Il ne venait pas du moule classique. Il ne sortait pas du même circuit que les autres. Il ne faisait pas partie du club sélect des entraîneurs traditionnels.
Il était un ancien joueur… qui ne devait jamais faire carrière dans la LNH. Et qui, encore une fois, devait “prouver” qu’il avait sa place.
Mais au lieu de répondre aux critiques, il a construit. Tranquillement. À son rythme. À sa manière. Et il a imposé un style. Une culture. Un modèle.
C’est cette culture qui a permis à son équipe de se relever après une semaine cauchemardesque en fin de saison. Une correction à Ottawa. Une défaite serrée à Toronto. Un revers humiliant contre Chicago. Et malgré ça, le CH n’a pas craqué.
Ils se sont présentés contre les Hurricanes, dans un Centre Bell électrique, et ils ont livré un vrai match de séries. Mené par Kaiden Guhle, qui a marqué deux buts et distribué les mises en échec comme un vétéran.
Appuyé par Nick Suzuki, capitaine de cœur et d’âme. Porté par Samuel Montembeault, qui a littéralement hurlé de joie après le but de la victoire.
Et tout ce groupe-là, c’est Martin qui l’a tenu debout. Qui leur a appris à être patients. À ne pas tout gâcher. À jouer avec discipline. Pas avec la panique, pas avec la peur. Avec un plan.
Après la rencontre, Brendan Gallagher a dit les mots justes : « Trois, quatre ans à bûcher. » Voilà. Ce que le public vit aujourd’hui, ce n’est pas un miracle. C’est le fruit de trois ans de labeur, de résilience, de souffrance.
Et ce que Martin a souligné, c’est que cette résilience n’aurait jamais suffi sans une culture d’équipe.
« L’action que tu vas faire… est-ce qu’elle aide l’équipe ou elle te sert seulement à toi ? »
Cette phrase, elle résume toute l’identité de ce CH. On n’a pas gagné parce qu’on a eu de la chance. On a gagné parce qu’on a arrêté de tricher. Parce qu’on a arrêté de vouloir briller individuellement. Parce qu’on a commencé à jouer les uns pour les autres.
Et maintenant, ils y sont. En séries.
Et en face ? Spencer Carbery, l’autre favori pour le Jack-Adams, à la barre des Capitals. Un entraîneur exceptionnel, certes. Mais si l’on se fie à l’histoire… Martin St-Louis est toujours meilleur quand il est sous-estimé.
Mais aujourd’hui, il est toujours debout. Plus fort que jamais. Et avec une équipe qui joue à son image.
Cette série contre Washington, c’est plus qu’un premier tour. C’est un bras de fer entre deux philosophies. Et Martin St-Louis le sait. Il ne gagnera peut-être pas le trophée. Il s’en fiche. Il ne veut pas des fleurs. Il veut la victoire.
Et s’il l’obtient, il aura gagné bien plus qu’une série. Il aura confirmé que sa méthode fonctionne. Que sa patience, sa douleur, ses silences… valaient la peine.
Parce qu’en 2025, le CH avait 2 % de chances. Et aujourd’hui, il en a 100 %. Parce qu’au bout de tout ça, Martin St-Louis a gagné son pari.
Et ce n’est que le début.