On le sait : à Montréal, un match d’ouverture, ce n’est jamais juste un match.
C’est une soirée scrutée à la loupe, décortiquée de A à Z, comme si chaque présence allait dicter le reste de la saison.
Les partisans veulent un signal. Le vestiaire aussi.
Et samedi soir, le signal a été fort.
Le Centre Bell vibrait encore sous le poids de l’hommage à Ken Dryden, disparu il y a quelques semaines.
Des images d’archives, la bannière, le public debout — un mélange de respect et de nostalgie qui vous serre la gorge même quand vous prétendez être fait fort.
Puis, le Canadien est revenu de l’arrière pour arracher la victoire en prolongation, dans une de ces fins qui sentent la construction, la culture, le ciment d’une équipe qui veut grandir ensemble.
Et c’est dans ce décor-là, entre la fierté et l’émotion, que Martin St-Louis s’est avancé devant les caméras.
Ce qu’il a offert n’était pas une simple conférence de presse.
C’était un moment d’humanité pure.
On en a vu, des coachs parler après des matchs.
Mais celui-là, personne ne l’oubliera.
Pas pour une déclaration choc.
Pas pour une phrase virale.
Mais pour ce qu’on n’a pas entendu.
Un silence.
Long. Dense.
Quinze secondes suspendues dans le vide.
Et au centre, Martin St-Louis, penché vers son micro, le regard perdu, comme s’il pesait chaque mot avant qu’il existe.
« Comparez l’équipe vulnérable que vous aviez à votre arrivée… à celle d’aujourd’hui. Qu’est-ce qui a vraiment changé dans votre relation avec les joueurs ? »
Pas de statistiques, pas de tableau, pas de “special teams”.
Juste une invitation à faire le bilan.
Et là, tout s’est figé.
On aurait pu entendre la ventilation tourner.
Les caméras ont cessé de bouger, les crayons ont arrêté de gratter les carnets.
Même le temps s’est assis.
Ce n’était pas un silence vide.
C’était un silence qui disait : attendez, laissez-moi penser.
Un silence d’homme qui n’a pas envie de réciter une phrase préparée, ni de protéger une image.
Un silence d’entraîneur qui sait qu’on ne parle pas de tactique, mais de ce que ça coûte, émotionnellement, de rebâtir une équipe.
Puis sa voix a brisé le calme.
Pas fort. Pas nerveuse. Juste vraie.
Il a parlé doucement de ce qu’il a trouvé à son arrivée : “une équipe fragile, sur la défensive, qui craignait l’erreur plus qu’elle ne cherchait la victoire.”
Trois ans plus tard, dit-il, il sent autre chose dans le vestiaire.
Pas encore la domination, pas encore la pleine maturité, mais la solidité.
Une confiance lente, patiente, construite comme une fondation qu’on ne veut plus voir s’écrouler.
Et pendant qu’il parlait, on a senti tout le monde retenir son souffle.
C’était pas un point de presse.
C’était une confession.
Ce silence, au fond, c’est ce que Martin St-Louis impose depuis le premier jour : le droit de réfléchir avant de réagir.
Il le répète souvent à ses joueurs.
Ne pas paniquer. Ne pas courir après la rondelle.
Observer. Lire. Comprendre.
Ce qu’il a fait, en plein point de presse, c’est exactement ce qu’il demande à ses gars sur la glace.
La différence, c’est qu’aujourd’hui, il peut le faire sans avoir à se justifier.
Parce que l’équipe qu’il dirige n’est plus celle qui s’effondrait à la moindre bourrasque.
Elle encaisse. Elle apprend.
Elle croit.
On a vu les premiers signes pendant le voyage sur la route : Toronto, Detroit, Chicago.
Trois matchs, trois ambiances, trois tests de caractère.
Et à chaque fois, le même constat : plus de panique.
Des regards qui se parlent. Des séquences qui s’ajustent.
Des jeunes ... Demidov, Slafkovsky, Hutson ... qui se trompent, mais qui reviennent avec la bonne réponse au bon moment.
C’est ça, la différence dont parlait St-Louis après son long silence.
Le Canadien d’aujourd’hui, ce n’est plus une équipe qui joue contre la peur.
C’est une équipe qui commence à jouer avec une identité, de la confiance.
« Je pense qu’au départ, la confiance, tu ne peux pas la forcer. Elle se bâtit.
Et à un moment donné, elle se partage. Quand tu sens que ton groupe commence à y croire, à s’appuyer les uns sur les autres, à se relever ensemble… c’est là que tu vois que t’as une équipe.
C’est plus moi qui leur donne la confiance, c’est eux qui se la transmettent entre eux.
Et ça, pour un coach, c’est le plus beau signe de progression. » Martin St-Louis
Quand il est arrivé, il a trouvé un groupe éparpillé, vidé, encore traumatisé par la finale perdue et la tempête qui a suivi.
Il a d’abord dû désapprendre à ses joueurs à se défendre contre tout.
Les médias. Le public. Le doute.
Aujourd’hui, il leur apprend à attaquer le moment.
Et ça se voit jusque dans sa posture.
Il ne parle plus en technicien, mais en bâtisseur.
Il parle de valeurs comme d’armes : humilité, discipline, fierté.
Des mots simples, mais qu’il répète comme un mantra.
Quand François Gagnon lui a posé la question, il aurait pu répondre en trente secondes.
Sortir une formule creuse du genre “on est sur la bonne voie”.
Mais non. Il a choisi de se taire.
Parce que ce qu’il ressentait méritait mieux qu’un cliché.
Ce moment-là, c’est aussi un rappel à tout le monde : le hockey n’est pas qu’une machine à produire du contenu.
C’est un sport d’êtres humains.
Et parfois, la sincérité prend plus de temps que les manchettes voudraient.
Un entraîneur qui s’arrête dix secondes avant de parler, dans la ville la plus hystérique du hockey ?
C’est une forme de courage.
Il sait qu’on va le scruter, qu’on va analyser le moindre mot.
Mais il prend le risque d’un silence.
Parce que ce silence-là vaut plus que n’importe quel argument.
Quand il a repris la parole, il a parlé de famille.
De ce lien invisible qu’il a voulu instaurer entre ses joueurs.
De la confiance qu’on bâtit à coups de discussions honnêtes, même quand ça dérange.
Et c’est là qu’on a compris pourquoi ce moment marquait un tournant.
Ce n’était pas Martin St-Louis le coach qui parlait.
C’était Martin St-Louis l’homme.
Celui qui a vu des gamins arriver perdus, et qui les a vus grandir sous ses yeux.
Il a dit :
“Ce qui a changé, c’est la façon dont ils se regardent entre eux. Ce n’est plus de la peur, c’est de la responsabilité.”
Et c’est peut-être pour ça que le silence a fait tant de bruit.
Parce qu’il venait d’un homme qui ne cache plus rien.
Parce qu’il venait d’un vestiaire qui, enfin, commence à respirer sans craindre de décevoir.
Ce n’était pas du contrôle médiatique, c’était de l’authenticité.
Et dans un monde où tout le monde parle trop vite, trop fort, trop souvent, ce genre de moment pèse dix fois plus.
Quand la conférence s’est terminée, personne ne s’est levé tout de suite.
Les caméras ont clignoté, les stylos ont repris leur course.
Mais on voyait encore les visages : les journalistes échangeaient des regards sans mots.
Et au fond, c’est peut-être ça, le vrai message derrière ce long silence de Martin St-Louis.
Ce n’était pas un oubli. Ce n’était pas de la fatigue.
C’était la même culture qu’il a réussi à imprégner dans son vestiaire qui parlait pour lui.
Parce que samedi soir, on l’a senti : il était hors de question pour ses joueurs de laisser filer ce match-là.
Pas après l’ovation du Centre Bell.
Pas après les larmes pour Ken Dryden.
Pas après les cris pour St-Louis lui-même, devenu bien plus qu’un entraîneur — le reflet d’une équipe qui se redresse, qui croit, qui s’entête à grandir ensemble.
Le but égalisateur d’Ivan Demidov, préparé avec la complicité de Patrik Laine, n’était pas qu’un but.
C’était une déclaration.
Un rappel que dans ce vestiaire, on joue pour le logo, pas pour la feuille de pointage.
Et quand on voit la façon dont ce groupe s’est arraché pour aller chercher cette victoire, on comprend mieux pourquoi, partout dans la LNH, on ne parle plus seulement d’un “rebuild”.
On parle d’un phénomène.
D’un Canadien qui recommence à faire rêver.
AMEN