Les journalistes lui ont demandé à plusieurs reprises, mais Jeff Gorton n'a jamais perdu patience.
Imaginez. On lui a demandé une dizaine de fois au cours de son entrevue s'il avait songé à quitter Montréal. À chaque fois, il a répondu non.
À chaque fois, il a répété à quel point il est heureux en tant que nouveau président du CH pour 5 ans minimum.
Et dans son entrevue accordée à La Presse cette semaine, ce n’est pas seulement à Geoff Molson (pour le remercier de sa prolongation de contrat0 qu’il s’adressait, ni aux partisans impatients. C’était aussi une réponse à distance à Kyle Dubas, directeur général des Penguins de Pittsburgh.
On pouvait sentir, entre les lignes, que Gorton réagissait à tout ce vacarme autour d’un éventuel échange de Sidney Crosby à Montréal.
Depuis deux semaines, la rumeur enfle : Dubas préparerait la sortie du capitaine, les Canadiens seraient « agressifs », et les négociations officieuses se multiplieraient entre les deux organisations.
Mais Gorton, lui, vient d’éteindre le feu sans même prononcer le mot « Crosby ».
« Être patient, c’est difficile à entendre, mais c’est la vérité », a-t-il lancé, presque comme un avertissement.
« Nous devons continuer à faire les bons mouvements, pas les plus rapides. »
Et voilà. Tout est dit.
Le message est clair : le Canadien de Montréal ne videra pas son club pour un coup de tête, même si le joueur s’appelle Sidney Crosby.
Gorton et Hughes n’ont jamais caché leur admiration pour le capitaine des Penguins, ni leur respect pour ce qu’il représente.
Mais ils n’ont pas non plus l’intention de sacrifier les fondations de leur reconstruction pour faire plaisir à un joueur qui, à 38 ans, a vu ses minutes de jeu réduites à 17:11 à Anaheim.
Depuis l’arrivée du duo Hughes-Gorton, la philosophie du CH est claire : bâtir lentement, solidement, sans compromis.
Et si certains espéraient que la prolongation de contrat de Gorton le rende plus audacieux, ils se trompent lourdement.
Ce qu’on a entendu cette semaine, c’est un dirigeant qui double son slogan dans la patience, même face à la tentation Crosby.
« Mettre une échéance, ça ne va pas aider. Nos joueurs nous montrent la voie », a-t-il ajouté.
Pas question de paniquer, pas question de forcer une transaction parce que la Ligue s’excite ou que Pittsburgh veut reconstruire.
Gorton sait que Dubas tente actuellement de faire grimper la valeur de son capitaine. Il voit très bien que Crosby est sous-utilisé au profit des jeunes à Pittsburgh, qu’on le pousse subtilement vers la sortie, et que Dubas teste le marché pour voir qui osera mordre.
Mais Montréal ne mordra pas.
En répondant aux questions sur la patience, Gorton a surtout envoyé un message : le CH ne sera pas le club qui se fera manipuler.
Il n’y aura pas de “trophée nostalgique” à prix fort. Il n’y aura pas d’échange improvisé où Reinbacher ou Michael Hage se retrouveraient dans un colis pour des raisons émotives.
Dubas cherche la faille, Gorton ferme les portes.
Depuis le début du mois, tout indique que le DG des Penguins veut forcer le destin.
Il sait qu’il n’aura pas d’autre moment pour tirer de la valeur de Crosby. L’équipe est en perte de vitesse, la reconstruction est enclenchée, et Dubas veut capitaliser avant que le marché ne s’effondre.
Mais il a un problème : il n’a qu’un seul partenaire plausible, et c’est Montréal.
Et ce partenaire-là vient de lui répondre : non.
Dubas espérait jouer sur l’émotion, sur la passion québécoise. Il croyait que l’attrait du rêve Crosby au Centre Bell pousserait Gorton à se précipiter, à céder deux choix de première ronde, un jeune défenseur et un espoir offensif. Mais Gorton n’est pas tombé de la dernière pluie.
Il a déjà vu ce film à New York. l sait qu’à long terme, les clubs qui gardent leur cap finissent par dominer. Et il ne sacrifiera pas la base Hage ou Reinbacher ou deux choix de qère ronde pour une figure de légende en fin de parcours.
« Être patient, c’est un mot difficile dans notre position actuelle, mais ça fonctionne », a-t-il insisté.
Et ce “ça fonctionne” était tout sauf anodin. Car il intervient dans un moment où Montréal est 3-1, où le vestiaire rayonne, et où l’ambiance au Centre Bell n’a jamais été aussi positive depuis 2014.
Gorton sait qu’il tient quelque chose de fragile, mais d’authentique. Une dynamique organique. Une culture nouvelle. Et il ne la compromettra pas.
La vraie force de Jeff Gorton, c’est son langage codé. Il n’a jamais besoin de nommer le problème pour le régler. Dans son entrevue, il a parlé de « plaisir », d’« honnêteté entre joueurs », de « groupe tissé serré ».
Mais dans la même respiration, il a dit :
« Il faut être patient et ne pas faire le mauvais mouvement. »
Le “mauvais mouvement”, c’est celui que tout le monde a compris : céder ses meilleurs jeunes pour une transaction juste pour exciter les fans.
Il a beau ne pas avoir cité Dubas, c’est à lui qu’il s’adressait. Et tout le monde dans la LNH l’a entendu.
Depuis deux ans, Jeff Gorton s’impose comme un gestionnaire chirurgical. Là où d’autres GMs improvisent, lui calcule.
Son plan à long terme repose sur trois piliers : la jeunesse, la cohérence et la maîtrise du tempo. Et ce qu’il a répété cette semaine, c’est que le tempo du Canadien ne sera dicté par personne.
Pas par Dubas.
Pas par Brisson.
Pas par les médias américains qui rêvent d’un Crosby-Suzuki en première page.
Gorton sait que la reconstruction touche à un moment charnière. L’équipe commence à gagner, mais elle n’est pas encore au sommet. C’est la période la plus dangereuse pour un dirigeant : la tentation d’accélérer. Et c’est là que les erreurs se produisent.
Il a raison de freiner. Parce qu’une transaction majeure maintenant, surtout pour un joueur de 38 ans, ruinerait deux ans de travail patient.
Kent Hughes et Martin St-Louis partagent ce même instinct. Ils savent que Crosby, même légendaire, ne règlerait rien à long terme.
Il serait un symbole magnifique, mais pas une solution durable.
Et Gorton le dit sans hésiter: “on ne veut pas le symbole, on veut le système.”
Ce qui rend cette position encore plus puissante, c’est qu’elle n’est pas défensive.
Gorton ne rejette pas l’idée de bouger. Il dit simplement que le CH bougera à ses conditions.
S’il doit aller chercher un deuxième centre, ce sera un joueur qui entre dans la courbe d’âge du noyau : 22 à 25 ans, pas 38.
Mais s'il doit aller chercher Sidney Crosby pour entrer dans la légende, ce sera un seul choix de 1ère ronde protégé avec des espoirs B. (Roy, Beck, Kapanen ou Struble). Ce ne sera pas la lune.
Et c’est ce qu’il a voulu rappeler subtilement : « Les joueurs vont nous le montrer. »
Autrement dit : on bâtit à partir de ce qu’on a. Et ce qu’on a, en ce moment, c’est une équipe jeune, soudée et sur la bonne trajectoire.
Pourquoi tout défaire ?
Dubas essaie d’utiliser l'émotion comme arme du marché des transactions.
Gorton ne rentre pas dans ce jeu.
Dubas veut échanger Crosby pour la lune.
Gorton refuse de se faire embarquer dans une transaction émotionnelle.
Dans une Ligue où tout le monde panique à la moindre séquence de défaites, la patience devient l'arme suprême. Et Gorton, en ce sens, est un maître.
En réalité, l’entrevue de Gorton n’était pas seulement pour Dubas.
C’était aussi pour calmer la ferveur montréalaise. Pour rappeler à la base qu’il n’y a pas de raccourci vers la gloire.
Oui, Montréal a faim. Oui, les fans rêvent d’un grand coup. Mais les dirigeants, eux, savent que les équipes qui gagnent durablement sont celles qui refusent de s’enflammer.
Le Canadien est à 3-1, et déjà, les partisans se surprennent à rêver d’avril.
Mais Gorton a ramené tout le monde sur terre : « Mettre une échéance ne va pas aider. »
Pas d’échéance. Pas de date magique. Juste une direction claire et la conviction que le plan fonctionne.
Et quand il dit que les joueurs “ont adopté la personnalité de leur entraîneur”, il parle d’un club qui progresse à son rythme, sans promesse, sans façade.
Jeff Gorton n’a pas besoin de frapper du poing sur la table pour s’imposer.
En dix minutes d’entrevue, il a remis de l’ordre dans les conversations de toute la LNH.
Il a rappelé à Dubas que Montréal ne serait pas son pigeon.
Il a rappelé aux agents comme Pat Brisson que les rumeurs n’ont aucun effet sur sa ligne directrice.
Et il a rappelé à ses propres partisans que la vraie grandeur vient du contrôle, pas de la panique.
Pendant que Dubas vise la loterie Gavin McKenna, Gorton consolide une culture.
Pendant que Pittsburgh envoie des messages contradictoires à Crosby, Montréal envoie un message cohérent à tout le monde : nous ne ferons pas le mauvais mouvement.
Et c’est ça, le vrai leadership. Pas celui qui fait rêver sur un coup d’éclat, mais celui qui bâtit une dynastie sans trembler.
À Pittsburgh, Dubas cherche à provoquer un départ.
À Montréal, Gorton choisit de maîtriser son destin.
Et dans ce face-à-face silencieux entre deux philosophies opposées, c’est Montréal qui a le contrôle sur toute la ligne...