Martin St‑Louis a encore une fois prouvé qu’il sait manier la salle de presse avec la même précision qu’un vestiaire.
En annonçant qu'il décidait d’envoyer Samuel Montembeault au Centre Bell, contre les Sénateurs d'Ottawa, dans ce qui ressemble de plus en plus à un guet-apens, St-Louis a manipulé les médias comme jamais.
Après l’avoir jeté dans la gueule du loup à Edmonton, dans un match back-to-back face à une machine offensive, Martin Saint-Louis remet ça. Il choisit volontairement de l’opposer aux Sénateurs dans une rivalité brûlante, au retour d’un long voyage dans l’Ouest, dans un match au potentiel explosif où la pression est maximale à la maison.
Pour plusieurs observateurs, il ne fait plus aucun doute que ce n’est plus le coach bienveillant Martin qui agit ici, mais bien le cruel Marty : celui qui élimine ses soldats les plus fragiles pour faire de la place à ceux qu’il juge plus dignes du combat.
En déclarant que « le jeu de Jakub Dobeš permet à Samuel de travailler sur ses affaires », l’entraîneur du Canadien a calmé tout le monde : les journalistes, les partisans, et même son propre gardien québécois.
Mais derrière cette phrase faussement bienveillante se cache une réalité plus froide : Dobeš a pris le filet, et Montembeault, lui, ne le reverra peut‑être plus aussi souvent qu’il le croit.
Parce qu’il faut bien l’admettre : cette déclaration de St‑Louis, présentée comme une marque de confiance, ressemble plutôt à une mise à l’écart déguisée.
Il n’y a rien de rassurant dans le fait d’entendre qu’un gardien « travaille sur ses affaires ». Dans le langage de la LNH, c’est souvent un euphémisme pour dire : il n’est plus dans le plan immédiat. Et le pire, c’est que Montembeault, fidèle à lui‑même, a accueilli tout ça avec un sourire poli.
« Je ne regarde pas mes statistiques, je sais qu’elles ne sont pas bonnes ! », a‑t‑il lancé aux journalistes, presque en riant.
Une déclaration honnête, oui, mais symptomatique du problème : Samuel Montembeault n’a pas le feu dans les yeux. Il ne dégage pas la rage tranquille qu’on attend d’un numéro un. Il prend tout avec philosophie, avec un calme qui, dans un marché comme Montréal, finit par ressembler à de la résignation.
Ses chiffres, pourtant, parlent d’eux‑mêmes : une moyenne de buts alloués de 3,82 et un taux d’efficacité de ,842 après cinq matchs.
Ce ne sont pas des statistiques « de travail ». Ce sont des statistiques d’urgence. Et pendant que Montembeault philosophe sur la pression et la patience, Jakub Dobeš, lui, accumule les victoires et l’admiration.
La grande manœuvre de Martin St‑Louis est habile. En expliquant que Dobeš aide Montembeault à « travailler », il désamorce complètement la controverse
. Il fait passer la relégation de Montembeault pour un choix stratégique plutôt qu’une sanction. En une phrase, il protège son jeune gardien tchèque, dédramatise la situation, et empêche les médias francophones de s’enflammer. C’est du grand art en communication.
Mais pour quiconque lit entre les lignes, le message est limpide : St‑Louis a choisi. Il préfère miser sur Dobeš, et il cherche à faire glisser la transition sans conflit. Il veut que Montembeault s’efface de lui‑même. Et jusqu’ici, tout indique que c’est exactement ce qui se produit.
Le problème, c’est que cette attitude de bon soldat, qu'on peut apprécier humainement, ne colle pas à ce qu’on attend d’un vrai numéro un.
Dans une ligue où les gardiens qui réussissent sont ceux qui défendent leur filet avec une obsession presque maladive, Montembeault se comporte comme un suppléant reconnaissant d’être là. Il ne montre pas de frustration, pas de colère, pas même d’impatience. Et à Montréal, cette soumission est perçue comme une faiblesse.
Quand on lui demande comment il vit le fait d’avoir été cloué au banc pendant deux matchs consécutifs, il répond calmement :
« Jakub mérite de jouer. Il joue super bien ces temps‑ci. » C’est noble, oui. Mais c’est aussi le signe qu’il ne croit plus vraiment en ses propres moyens.
Dans le regard d’un gardien numéro un, on veut voir la flamme de celui qui ne supporte pas d’être remplacé. Pas la gratitude d’un coéquipier heureux pour l’autre.
Ce qui est fascinant, c’est la façon dont St‑Louis a réussi à faire passer ce renversement pour une situation saine. Il a pris les devants médiatiquement, affirmant que « Sam n’a pas oublié comment jouer » et que le jeu de Dobeš lui permettait de « retravailler certains aspects ».
Le message fait mal au coeur pour les proches de Sam: on le garde sur la glace d’entraînement parce que sur la glace du Centre Bell, ce n’est plus assez bon. Et tout le monde applaudit.
La manœuvre est subtile, mais redoutable. En invoquant la logique du développement et du calme, St‑Louis neutralise toute polémique.
Même les partisans les plus fidèles à Montembeault, ceux qui criaient au scandale quand on parlait de le remplacer, se retrouvent sans argument.
Comment reprocher à un entraîneur de « laisser du temps à un gardien pour travailler » ? C’est une formule parfaite pour camoufler une destitution.
Et le plus drôle (ou triste), c’est que Montembeault lui‑même semble y croire. Il parle de « laisser aller les choses », de « ne pas stresser », de « corriger des détails ». On dirait presque qu’il a accepté son rôle de second avant même que l’organisation ne le lui impose officiellement.
À 29 ans, il est dans une phase de carrière où il devrait imposer sa présence, pas la subir. Mais Montembeault, c’est tout le contraire.
C’est un bon gars, un excellent coéquipier, un professionnel irréprochable. Et c’est précisément ce qui le condamne. Dans le monde brutal de la LNH, être un « trop bon Jack », c’est souvent ce qui te sort du filet.
Pendant qu’il garde le sourire, les chiffres l’enfoncent. Et pendant qu’il prêche la patience, les opportunités se referment. Dobeš, lui, joue avec la fougue d’un gardien qui sent qu’il peut tout prendre.
À Laval, Jacob Fowler continue d’enchaîner les blanchissages. Le message est clair : l’avenir appartient aux jeunes. Montembeault, lui, s’accroche à son rôle de vétéran rassurant, mais ce rôle n’existe plus vraiment dans un club qui veut accélérer sa reconstruction.
Et Martin St‑Louis, dans tout ça, joue sur du velours. Il sait que la majorité des médias francophones continueront de défendre Montembeault, parce qu’il est québécois, humble et sympathique.
Mais il sait aussi que cette défense ne résiste pas à la réalité du terrain. Chaque victoire de Dobeš brise un peu plus le discours sentimental. Et chaque sortie moyenne de Montembeault rend sa position moins tenable.
En choisissant de le ramener devant le filet contre Ottawa, après deux semaines sans match, St‑Louis n’a pas pris une décision de confiance : il a tendu un piège de contexte.
Il le place dans un match difficile, chargé d’émotion, où il n’a rien à gagner et tout à perdre. S’il s’effondre, l’entraîneur pourra dire qu’il lui a donné une chance. S’il gagne, on parlera d’un répit. Dans tous les cas, la hiérarchie restera la même.
Ce qui choque dans cette histoire, ce n’est pas tant la décision que la réaction. On a beau répéter que « le hockey est une business », il reste troublant de voir un joueur aussi loyal accepter sa propre déchéance avec autant de détachement.
Où est passée la fierté du gardien qui se bat pour son filet ? Où est passée la colère de celui qui refuse d’être remplacé par un jeune ?
Montembeault est peut‑être trop civilisé pour ce métier. Dans un vestiaire, on respecte le gars qui se bat, pas celui qui sourit en perdant sa place.
Et aujourd’hui, ce n’est plus qu’une question de temps avant que Kent Hughes n’en tire les conclusions. Le contrat de Montembeault court jusqu’en 2027, mais sa place à Montréal, elle, semble déjà compromise.
C’est peut‑être ça, la vraie leçon de ce feuilleton : dans le hockey moderne, les gentils finissent toujours par perdre le filet.
