Hier soir au Centre Bell, la ligne entre passion et mépris s'est brouillé dangereusement.
Le match opposant les Canadiens de Montréal aux Flyers de Philadelphie n’avait pas encore atteint le cap des dix minutes que Samuel Montembeault était déjà en train de se noyer.
Trois buts accordés sur cinq tirs, une foule moqueuse qui se lève pour l’applaudir sarcastiquement après un arrêt de routine, et un Centre Bell qui s’embrase d’un malaise typiquement montréalais : l’amour conditionnel, aussi volatile que cruel.
C’est dans ce contexte que le journaliste Jonathan Bernier a choisi de sortir un mot lourd de sens : la “crasse” du Centre Bell.
Reprenant une expression tristement célèbre utilisée par Roland Melanson en 2009 à propos du public qui avait aussi nargué Carey Price après un arrêt de routine, Bernier a ciblé les partisans qui ont hué Montembeault en première période, en les qualifiant aussi... de crasse...
Samuel Montembeault a montréal plus de classe que le journaliste en affirmant qu'il comprenait la réaction de la foule.
«Je comprends. Je dois être capable de faire mon travail».
Sam n’a pourtant pas été provocateur. Contrairement à Carey Price en 2009 ou Patrick Roy en 1995, il n’a pas levé les bras au ciel. Il n’a pas défié la foule. Il s’est contenté de faire ce que les partisans lui reprochaient de ne pas faire dans les dix premières minutes : arrêter la rondelle.
Et il l’a fait avec brio.
38 arrêts, un pourcentage de ,905, plusieurs sauvetages critiques, et une remontée orchestrée grâce à lui. Mais le débat ne porte pas sur la fiche du gardien. Il porte sur la façon dont on doit parler de ceux qui paient leur billet.
Il est évidemment humain de ressentir de la colère face à un gardien qui accorde trois buts en cinq tirs. Il est également naturel de réagir, parfois de manière excessive, dans un aréna où l’émotion déborde.
Ce n’est pas la première fois que le Centre Bell tourne un de ses propres joueurs en ridicule, et ce ne sera pas la dernière.
Mais est-ce pour autant acceptable?
C’est là que le commentaire de Jonathan Bernier devient problématique. Traiter une partie du public de “crasse”, même s’il s’agit d’un comportement douteux, voire inacceptable, c’est oublier que ce sont ces mêmes gens qui remplissent l’amphithéâtre, qui paient pour s’abonner à TVA Sports, qui achètent les chandails de Demidov, Suzuki et... Montembeault.
La “crasse” du Centre Bell, comme l’appelle Bernier, ce sont aussi des pères de famille qui économisent pour offrir une soirée de rêve à leurs enfants. Ce sont des partisans qui, malgré l’inflation, continuent d’investir dans un produit qui leur apporte autant de frustrations que de joies.
Ironiquement, c’est ce même public qui, une période plus tard, scandait son nom à pleins poumons. Car Montembeault, loin de s’effondrer, a répondu de la seule manière possible : en se battant.
Une échappée stoppée contre Tippett en désavantage numérique, un déplacement parfait contre Dvorak, une attitude calme, concentrée, résiliente.
Montembeault redevenait le gardien solide que certains voyaient au sein d’Équipe Canada il y a quelques mois.
Même Martin St-Louis l’a reconnu après la rencontre :
« Il a connu un départ difficile, mais il s’est battu. Il a tenu l’équipe dans le match. »
Zachary Bolduc, visiblement ému, a confié en zone mixte :
« On méritait de l’appuyer dès le début. Il a été là pour nous toute la fin de match. »
Quant à Montembeault lui-même, sa réaction fut d’une sobriété admirable :
« Je n’ai pas bien commencé, mais j’ai voulu me recentrer, et mes coéquipiers m’ont aidé à le faire. La foule? Elle a le droit d’avoir ses réactions. Mon travail, c’est de garder les buts. »
Une déclaration d’une grande classe, mais qui ne règle pas tout.
Ce qui dérange dans le propos de Jonathan Bernier, ce n’est pas qu’il ait défendu Montembeault. C’est qu’il ait, volontairement ou non, creusé une fracture entre les médias et les partisans.
Car en insultant une partie de la foule, même minoritaire, il prend le risque de relancer un vieux débat : celui d’un establishment médiatique défendant constamment le CH, qui se permet de juger moralement ceux qui financent le spectacle.
On comprend l’intention : rappeler que les partisans doivent se montrer solidaires dans l’adversité. Mais dans une ville où les joueurs sont sous microscope, où les erreurs sont décortiquées en direct à la radio, dans les journaux, sur les podcasts, peut-on vraiment reprocher à un partisan de réagir spontanément lorsqu’un gardien donne trois buts sur cinq tirs?
Il faut aussi souligner que les journalistes ne sont pas les seuls à défendre Montembeault. Sur les réseaux sociaux, plusieurs anciens joueurs ont salué sa force mentale. Et ils ont bien fait. Le débat n’est pas de savoir si Montembeault mérite d’être respecté, il le mérite. Mais de savoir si le public mérite d’être traité de “crasse”.
L’émotion du match n’a pas éclipsé les performances individuelles. Ivan Demidov, encore une fois, a électrisé l’aréna. Sa passe magique sur le but de Suzuki, puis son tir foudroyant sur l’avantage numérique, ont permis au Canadien de revenir de l’arrière. Depuis qu’il est sur la première vague de power play, l’unité massive a marqué 7 fois en 11 occasions.
Kirby Dach, souvent critiqué pour sa nonchalance, a également offert un match inspiré : deux buts, un engagement physique rare, et un effort qui nous fait dire qu'il est sur la bonne voie.
Mais le cœur du vestiaire, ce soir-là, battait au rythme des arrêts de Montembeault. Une équipe qui le voyait glisser lentement vers une autre controverse de gardiens, mais qui a décidé de se battre pour lui.
Montréal est une ville exigeante. Elle veut des résultats, des héros, de la constance. Mais elle est aussi une ville passionnée, émotionnelle, parfois cruelle.
Samuel Montembeault le sait. Il l’a vécu. Et il a relevé la tête.
Jonathan Bernier, en reprenant le terme de “crasse”, a peut-être voulu provoquer une réflexion. Mais il l’a fait avec une brutalité inutile. Car au fond, le débat ne devrait pas opposer les journalistes aux partisans, mais plutôt les unifier autour d’un objectif : exiger le meilleur, tout en restant humain.
La prochaine fois que Montembeault accorde un mauvais but, peut-être que la foule retiendra son sarcasme. Mais peut-être aussi que les journalistes retiendront leur mépris.
Après tout, si l’un garde les buts, et l’autre les mots, le public, lui, garde le club vivant.
