Prisonnier du cauchemar : Phillip Danault et la blessure qui ne cicatrise jamais

Prisonnier du cauchemar : Phillip Danault et la blessure qui ne cicatrise jamais

Par André Soueidan le 2025-08-17
kings phil danault

On pensait que le cauchemar finirait par se briser.

On pensait qu’un gars comme Phillip Danault, reconnu pour son intelligence défensive et son sens du sacrifice, allait finir par trouver la lumière au bout du tunnel.

Mais chaque printemps, c’est la même gifle qui revient frapper en plein visage : les Kings foncent dans le mur et Danault, lui, reste condamné à revivre la même série d’horreurs, année après année.

Pas de miracle, pas de sortie par la grande porte, juste la répétition infernale d’un scénario qui vire à la tragédie.

En saison, tout va bien ou presque, la mécanique tourne, et Los Angeles donne l’impression d’avoir trouvé l’équilibre entre maturité, vitesse et responsabilité.

Puis arrive le printemps, et le même film recommence.

Même antagonistes. Même ressort dramatique. Même sortie par la porte latérale alors que le tapis rouge était déroulé.

Quatre printemps d’affilée à se cogner à Edmonton, quatre fois le même goût de fer dans la bouche, quatre fois cette impression de faire tout « comme il faut » sans jamais réussir à casser la séquence.

Danault l’a dit sans détour cette semaine, avec le calme d’un gars qui a tout essayé : « C’est sûr que tu te poses des questions.

Qu’est-ce qu’on a besoin de plus ? On a changé le désavantage numérique, on a changé l’avantage numérique…

Un moment donné, c’est peut-être juste une question de timing. » On pourrait traduire : on remonte les vis, on ajuste les écrous, mais le moteur finit toujours par hoqueter au même endroit, au même moment.

Et l’éléphant dans la pièce, Danault ne s’est pas gêné pour le nommer.

Parce que le hockey est parfois un jeu simple : quand tu tombes sur les deux meilleurs joueurs au monde, tu n’as pas le droit à la moindre seconde de sommeil.

« C’est sûr que Connor McDavid et Leon Draisaitl, ce sont les meilleurs joueurs au monde. Les bonnes équipes comme les Oilers vont prendre avantage des petits détails. Tu ne peux pas dormir une seconde, et il faut que tu sois aux aguets tout le temps. »

Voilà. On peut discuter de structures, d’entrées de zone contrôlées ou de sorties par la rampe faible, mais la réalité du printemps, pour LA, c’est McDavid en pleine montée, Draisaitl en décalage d’un pas et une fraction de seconde qui se transforme en fatalité.

Ce qui rend le cas Danault fascinant, c’est la noblesse de son rôle.

À Montréal, il s’est fait un nom en avalant des minutes contre les meilleurs, en étouffant des lignes de premier plan, en rendant des matchs ordinaires pour des superstars qui ne le sont jamais.

À Los Angeles, on l’a engagé précisément pour répéter ce tour de magie en avril.

Et personne ne conteste qu’il livre.

Échec avant discipliné, bâton actif dans la ligne de passe, angle fermé sur l’épaule intérieure, intelligence pour vivre avec la rondelle sans la gaspiller : Danault coche tous les items.

Mais la série te rappelle que même le joueur « parfait » pour survivre au tempo des séries peut se faire aspirer dans la spirale quand McDavid et Draisaitl imposent leur logique.

C’est la même blessure qui s’ouvre, année après année, et qui ne cicatrise pas.

Ce n’est pas comme si les Kings restaient immobiles.

Cet été, ils ont ajouté du poids, de l’expérience, des profils qui cognent et qui compliquent les soirées adverses.

Joel Armia arrive avec ce gros gabarit droitier que Danault connaît bien, ce talent de grand bonhomme qui, quand il est branché, joue comme un top-6.

Corey Perry débarque à 40 ans, encore assez rusé pour te soutirer une punition au moment le plus bête et se planter devant le gardien comme s’il avait 27 ans.

En défense, les trous laissés par Gavrikov et Spence sont comblés par Brian Dumoulin et Cody Ceci : pas clinquants, mais lourds, réguliers, capables de survivre à des minutes ingrates.

Danault n’a pas fait semblant : « On a posé de bons gestes… on est allés chercher plus de poids à la défense. » Traduction : on a réarmé la tranchée.

Le problème, c’est que la tranchée finit toujours par être contournée.

Parce que la répétition use. Parce que préparer un plan McDavid sur sept matchs, puis recommencer l’année suivante, puis encore l’année suivante, finit par bouffer de l’énergie à tous les étages : dans les jambes, dans la tête, dans la foi.

Danault n’est pas un personnage secondaire dans cette histoire ; il en est le pivot.

C’est lui qu’on envoie sur la première mise au jeu défensive, c’est lui qui ferme la porte à la ligne bleue quand les jambes brûlent, c’est lui qui doit gagner la bataille invisible de l’intérieur de la glace.

Et la punition, ce sont ces détails dont il parlait : une relance qui saute un bâton, une couverture qui se décale d’un demi-mètre, une rotation en retard d’un battement de cœur.

Tu ne « perds » pas contre Edmonton ; tu te fais gruger.

À force d’un millier de petits mordillements.

Il y a aussi la psychologie.

Los Angeles, c’est le marché où l’on respire mieux, où les micros sont moins agressifs, où on te laisse jouer sans transformer chaque séquence en procès.

C’est parfait jusqu’au jour où la même fin revient s’imposer.

Et là, l’air se fait mince. L’été, au Pro-Am Sun Life à Québec, Danault avait l’air bien, entouré, souriant, généreux de son temps.

Mais derrière, on sent l’aiguille qui pique. Le gars de 32 ans qui a fait tout « dans les règles », qui a choisi son équipe, sa ville, son rôle, et qui se retrouve à revivre la même élimination quatre fois d’affilée.

Sur la glace, rien n’indique que Danault ait perdu sa main.

Au contraire. Ses responsabilités demeurent lourdes, et il les assume. On ne lui demande pas d’être le plus bruyant, on lui demande d’être le plus fiable.

Quand ça brasse et que les coups d’œil deviennent rares, c’est lui qui ralentit l’échange et replace tout le monde dans sa boîte.

Los Angeles n’est pas une équipe de talent en manque d’ordre ; c’est une équipe d’ordre qui doit apprendre à tricher un peu contre le talent brut.

Et c’est là que la marge se joue contre Edmonton : si les Kings ne trouvent pas, au-delà du lourd et du responsable, un grain d’insolence offensive pour punir l’erreur rare de l’autre côté, la série finit toujours par se recalibrer vers McDavid et Draisaitl.

La bonne nouvelle, c’est que l’organigramme a cessé d’être romantique.

Personne à LA ne s’imagine qu’on peut gagner « propre » sans se salir.

Brian Dumoulin ne te fera pas applaudir sur YouTube, mais il va t’éteindre une poussée en étirant une canne et en mangeant un tir en angle mort.

Cody Ceci ne deviendra pas une carte recrue convoitée, mais il va jouer ses 17 minutes sans te couler.

Armia, si on le garde éveillé, va garder des rondelles vivantes et transformer une mise en échec en possession prolongée.

Perry, lui, va hocher la tête, se planter dans le bleu, et accepter de prendre un coup de coupe-chandelle pour créer le décalage.

Tout ça, c’est pensé pour avril. Tout ça, c’est construit pour que Danault n’ait pas à porter la valise seul.

Reste que la route passe encore au même endroit.

Personne au sein du groupe n’ose le nier.

Danault, le premier, sait d’avance ce que sera l’ennemi naturel.

Il l’a dit : « Tu as 82 matchs et tu sais contre qui tu vas jouer en partant ! »

Ce fatalisme lucide n’est pas un abandon. C’est au contraire une obsession structurée.

Tu t’entraînes toute l’année pour jouer un adversaire qui accélère plus vite, qui lit plus vite, qui convertit plus vite.

Tu ne bâtis pas ton équipe pour le 15 novembre ; tu la bâtis pour le 22 avril à 21 h 37, quand un changement raté peut te coûter un printemps.

Dans ce contexte, Danault demeure le joueur le plus « utile » des Kings dès que le calendrier tourne.

Celui qui donne une chance, qui tire tout le monde vers les bons réflexes, qui garde le match dans les clous pendant que les autres essaient de le gagner.

Et pourtant, la blessure ne ferme pas. C’est peut-être ça, le vrai cauchemar de Phillip Danault : faire tout ce qu’il faut, tout le temps, et sentir que la cicatrice s’ouvre exactement au même endroit.

On peut ironiser sur le karma, invoquer le hasard, relativiser en rappelant que des géants tombent contre des génies tous les ans.

Mais pour un joueur dont la carrière s’est bâtie sur la maîtrise des choses contrôlables, il n’y a rien de plus cruel que d’être puni par l’incontrôlable.

Tu peux tuer deux avantages, gagner 14 mises au jeu sur 22, finir à +1 à forces égales… et perdre 4-2 parce que la seconde et demie qui t’a échappé ne reviendra jamais.

Alors, qu’est-ce qui reste ? Rester têtu. C’est la seule option.

Continuer à traiter chaque détail comme s’il allait inverser l’axe de la série, continuer à croire qu’un printemps, la bascule se fera pour toi.

Et si un jour la blessure cicatrise, elle le fera à sa manière : pas avec une avalanche de points, mais avec une série où McDavid finit frustré de ne voir que l’épaule intérieure de Danault, où Draisaitl passe plus de temps à bord de la rampe qu’au milieu de la glace.

Ce jour-là, on appellera ça « le timing ».

En attendant, le calendrier repart, les vis sont resserrées, le lourd est arrivé, et Phillip Danault retourne à son poste.

Même mission, même calme, même entêtement.

La blessure pique encore, oui. Mais c’est précisément pour ça que les gars comme lui existent.

À suivre ...