Il y a des soirs, dans un vestiaire de la LNH, où tu sens que tu portes plus qu’un chandail.
Tu portes une histoire. Tu portes un nom qui dépasse ton propre nom.
Tu deviens, malgré toi, l’incarnation d’une tradition que le temps est en train de détruire à coups de patin.
Et Samuel Montembeault, aujourd’hui, c’est exactement ça.
On parle ici du dernier gardien québécois encore debout dans une ligue qui, il n’y a pas si longtemps, croulait sous le poids de ses masques tricolores venus de chez nous.
Patrick Roy, Martin Brodeur, José Théodore, Roberto Luongo, Marc-André Fleury… des géants, des figures qui pouvaient changer le cours d’un match par pure volonté.
Ces gars-là ne faisaient pas juste arrêter des rondelles. Ils faisaient plier la réalité à leur avantage.
Roy a redéfini la position avec son style papillon, Brodeur a transformé le poste avec ses relances et son jeu hors du filet, Théodore a raflé un Hart et un Vézina dans la même saison, Fleury ... 3 fois champion de la coupe Stanley.
Et pendant plus de deux décennies, si tu voulais soulever la Coupe Stanley, tu avais intérêt à passer par un gardien québécois… ou prier pour ne pas en croiser un sur ta route.
Mais cette époque est morte. Enterrée. Et Montembeault regarde tout ça s’effriter devant lui.
La saison 2025-2026 pourrait marquer un tournant historique : il pourrait être le seul gardien québécois de toute la LNH.
Pas “l’un des seuls”. Le seul. Le dernier Mohican. Olivier Rodrigue file dans la KHL, Louis Domingue prend le même chemin, Marc-André Fleury vient de ranger ses jambières, Devon Levi et Yaniv Perets devraient commencer l’année dans la Ligue américaine…
Résultat : si Montembeault trébuche, c’est tout un pan de l’héritage québécois qui s’effondre sans personne pour le relever.
Et ce n’est pas juste une question de statistiques. C’est une question de symbole. Quand tu es le dernier représentant d’une tradition qui a fait rêver des générations, chaque but que tu manges, chaque victoire que tu arraches, ça prend une importance démesurée.
Il fut un temps où le système québécois sortait des gardiens comme une chaîne de montage de miracles.
La LHJMQ envoyait des masques aux quatre coins de la ligue. Les jeunes s’entraînaient dans les patinoires municipales en rêvant d’imiter les acrobaties de Roy ou les arrêts impossibles de Brodeur.
C’était une fierté nationale. Une carte de visite.
Mais aujourd’hui, le pipeline est sec. Et on peut se raconter toutes les histoires qu’on veut : la faute aux Européens qui arrivent plus préparés physiquement, la faute aux Américains qui ont compris comment former des monstres de constance, la faute au système québécois qui n’a pas su s’adapter…
La vérité, c’est que personne n’a pris le relais quand la génération dorée a commencé à s’éteindre.
À 28 ans, Montembeault n’a jamais demandé à devenir le porte-drapeau d’une nation de gardiens.
Il voulait juste faire sa place dans la LNH, prouver qu’il pouvait être un numéro un fiable.
Il y est arrivé à force de patience, de travail, et de soirs où il a littéralement volé des matchs pour un Canadien en reconstruction.
Mais là, il ne joue plus seulement pour des points au classement. Il joue pour une lignée.
Chaque arrêt qu’il fait, chaque séquence où il tient le fort, c’est une déclaration : « On est encore là. »
Et le pire, c’est que ce rôle, il va devoir l’assumer dans un marché où chaque détail devient une affaire d’État.
Si Montembeault traverse une mauvaise séquence, ce ne sera pas juste “un gardien qui a des hauts et des bas”. Ce sera “le dernier gardien québécois en LNH qui coule”.
Imagine la pression : tu sais que tu es assis à la même table que Roy, Brodeur, Théodore, Fleury… mais sans les bagues, sans les trophées, sans l’aura quasi-mystique qui leur permettait de traverser les tempêtes médiatiques.
Tu portes un héritage qui n’est pas le tien, et si tu échoues, l’histoire retiendra que c’est à ton époque que la lignée s’est éteinte.
Et ce n’est pas comme si Montembeault avait l’option de se cacher derrière un coéquipier québécois à ce poste. Il est seul. Seul à porter un drapeau qui devient de plus en plus lourd.
Soyons honnêtes : la disparition des gardiens québécois n’est pas un accident. C’est le résultat d’années de laisser-aller dans le développement local. Les autres provinces, les États-Unis, l’Europe… tout le monde a professionnalisé ses structures.
Pendant ce temps-là, ici, on a continué à former des gardiens comme dans les années 90, en espérant que le talent naturel fasse le reste.
Résultat : des recruteurs qui ne viennent plus chercher chez nous. Des choix de repêchage qui filent vers l’étranger.
Et une génération de jeunes qui, faute de modèles dominants dans la LNH, choisit tout simplement d’aller jouer à l’avant.
La question, elle est brutale : est-ce que Montembeault est un symbole… ou juste le dernier témoin d’un cycle terminé ?
Si, dans cinq ans, il est encore là, entouré de nouveaux visages québécois dans les buts, alors il aura été le lien entre deux générations.
Mais si, dans cinq ans, il est parti lui aussi et que personne n’a pris sa place, alors il sera juste celui qui a assisté à la fin d’un chapitre.
Et c’est ça, le drame. Parce que Montembeault, peu importe ses performances, ne peut pas porter seul toute la responsabilité de cet héritage. Mais l’histoire, elle, ne fera pas de nuance.
Aujourd’hui, quand Samuel Montembeault enfile son masque, il ne défend pas juste un filet de 6 pieds par 4.
Il défend un demi-siècle de fierté québécoise. Il défend le souvenir de nuits où Roy fermait la porte à tout le monde, où Brodeur jouait le puck comme un défenseur élite, où Théodore volait des trophées aux supervedettes... et où Jean-Sébastien Giguère, seul au monde dans ses filets, remportait le trophée Conn Smythe en séries éliminatoires… sans même soulever la Coupe Stanley.
Et il le fait en sachant que, peut-être, personne ne viendra prendre le relais.
Alors oui, pensées pour Samuel Montembeault. Parce qu’il n’a pas demandé cette mission. Parce qu’il n’a pas choisi d’être le dernier masque.
Mais parce que, tant qu’il sera là, une partie de cet héritage vivra encore.
Et que, dans une ligue qui a oublié à quel point les gardiens québécois pouvaient être légendaires, il reste le dernier à pouvoir le rappeler.
AMEN