Pensées pour Luc Gélinas: RDS l'abandonne

Pensées pour Luc Gélinas: RDS l'abandonne

Par David Garel le 2025-02-28

Luc Gélinas, voix bien connue des amateurs de hockey, a laissé transparaître un profond découragement lors de son passage au balado La Poire et le Fromage de Louis Morissette.

Visiblement fatigué de son métier, il a dressé un constat brutal sur l’avenir des médias sportifs au Québec, et particulièrement sur la situation précaire des journalistes de RDS.

« Je commence à être tanné parce que la job est moins le fun. Parce que le Canadien diffuse tout en direct sur son compte Twitter et youtube.

Il y a des médias qui ne suivent plus. »

Dès le début de son intervention, Gélinas ne cache pas son exaspération. Autrefois, les voyages avec l’équipe étaient un moment de camaraderie, d’échange et de pur plaisir entre journalistes.

Mais aujourd’hui, cet esprit d’équipe a disparu :

« Avant, quand j’arrivais à Chicago, on se rejoint. On était 8-9 à voyager. Là, on va manger où? C’est quoi l’esprit de gang? Tu vas en tournée.

Tu manges avec les boys. Tu as du fun. Tu sors du resto. Il est 10 heures. Il y a de la musique. Tu rentres là. Il y a une petite bande. Tu prends 2-3 bières. »

Aujourd’hui, la réalité est tout autre. Gélinas souligne que la plupart des médias ont drastiquement coupé leurs dépenses en déplacements.

Seuls RDS et La Presse suivent encore assidûment le Canadien sur la route. Le Journal de Montréal et TVA Sports ne couvrent plus tous les matchs. 

The Gazette a pratiquement abandonné la couverture du club.

« Souvent, même quand on parle d’un francophone ou du coach, il n’y a aucune question en anglais. Parce que les médias ne vont pas bien. Ils ont tout le monde laissé. »

Mais ce n’est pas uniquement la situation financière des médias qui pose problème. Gélinas dénonce une perte totale de pertinence du travail de terrain.

Grâce aux plateformes numériques, le Canadien de Montréal diffuse maintenant toutes ses conférences de presse et entrevues en direct, rendant superflu le travail des journalistes qui tentaient autrefois d’obtenir des exclusivités.

« Donc, pourquoi envoyer du monde sur la route quand le Canadien, qui est le seul club dans la Ligue à faire ça, met tout en direct? »

Il illustre bien le problème avec un exemple frappant :

« Tu sais, on rentre dans le vestiaire. Toutes les entrevues que, mettons, on fait… les autres ont accès. Mais c’est pire. C’est encore plus vicieux que ça. »

« Supposons que Samuel Montembeault me donne une belle déclaration. "À ce soir, j’ai été pourri. On a perdu parce que je ne suis pas capable d’arrêter une rondelle. Je n’ai aucune confiance". Je sors du vestiaire. Parfait. Je prends mon téléphone. Je veux mettre ça, cette clip-là, la rendre publique. Et le jeu est sorti. Il est sorti partout, par du monde qui ne sont pas là. »

En d’autres mots, même lorsqu’un journaliste de RDS obtient un bon commentaire d’un joueur, ce dernier se retrouve immédiatement partagé par des sites de fans, des blogues et des comptes Twitter anonymes. Le travail d’exclusivité disparaît avant même d’avoir été exploité.

La frustration est palpable. Gélinas ne cache pas son amertume face à cette nouvelle réalité médiatique.

Avec tout le contenu disponible immédiatement, il devient pratiquement impossible pour les journalistes d’offrir une valeur ajoutée.

Même les nouvelles de dernière heure, autrefois le nerf de la guerre du journalisme sportif, n’existent plus vraiment.

« Il n’y a plus tant de scoop, parce que des gars comme Eric Engels, je pense que tu parlais, comme lui après ça, il n’y a pas de breaking news.

Parce que tous les clips sont sortis par des blogues de partisans. Et les autres, moi, je ferais la même affaire à leur place. »

Le pire dans tout ça? Personne ne semble vouloir ou pouvoir changer la donne. Gélinas explique que même au sein de RDS, il n’y a pas de volonté de lutter contre cette perte d’exclusivité.

« Si mon boss, ça ne le dérange pas, si on continue de leur donner 68 millions par année et que les autres instances de RDS ne disent pas, “Hey, là, c’était un combat que nous autres, on menait”, mais que ça ne dérange pas, je crois que ça ne doit pas déranger mon boss, parce que ça le dérangerait, ça serait arrêté, j’imagine. »

La domination du Canadien de Montréal sur son propre contenu n’est pas due au hasard. Elle est réfléchie et calculée.

« Mais on a réussi à dealer avec Chantal. Le matin, ils attendent une heure. Mais le Canadien a tellement un monopole fort. Mais c’est parce qu’ils le vendent. C’est la seule raison, c’est que c’est vendu. C’est pour ça. Ils le vendent. »

Les médias traditionnels n’ont plus le contrôle, et ils n’ont plus les moyens de rivaliser avec les stratégies commerciales bien huilées du CH.

Résultat : il n’y a plus d’intérêt à envoyer des journalistes sur la route.

Luc Gélinas a exprimé, peut-être sans le vouloir, le chant du cygne du journalisme sportif québécois.

RDS, autrefois un empire incontournable de la couverture du Canadien, semble en fin de cycle. Le hockey se consomme autrement, les médias souffrent, et ceux qui restent doivent faire face à une remise en question existentielle.

Si même un vétéran comme Gélinas sent que tout cela devient inutile, il est légitime de se demander combien de temps encore cette industrie pourra survivre.

Les plateformes numériques, les comptes de fans et même les blogueurs indépendants diffusent les extraits à la vitesse de l’éclair, rendant le travail des journalistes encore plus inutile.

Les effets de cette perte de pertinence se font durement sentir. Les médias traditionnels sont en chute libre. The Gazette a coupé pratiquement toute couverture des matchs. 

TVA Sports et Le Journal de Montréal ne couvrent plus systématiquement les déplacements du Canadien. RDS est l’un des seuls à encore envoyer des reporters, mais même là, la situation devient insoutenable.

Pire encore, cette couverture exclusive que le CH offre gratuitement n’est pas un geste anodin. C’est un produit monétisé.

« Les entrevues d’après-match du Canadien, mettons, il y a un logo de, je ne sais pas moi, de Tim Hortons. »

Le CH vend ces contenus, profitant de la notoriété du club pour attirer des annonceurs. Pendant ce temps, les médias qui devraient être les intermédiaires entre l’équipe et les partisans se retrouvent sans rôle clair.

Tanné, usé, et plus cynique que jamais, Gélinas ne prend même plus la peine de cacher sa fatigue.

Autrefois, suivre l’équipe signifiait vivre des expériences uniques, partager des moments entre collègues, découvrir des nouvelles villes et bâtir des relations avec les joueurs et le staff. Aujourd’hui, tout est devenu mécanique et sans âme.

Le plus inquiétant dans son discours, c’est qu’il ne voit aucune solution. Les patrons de RDS semblent résignés à cette nouvelle réalité. Gélinas est tout simplement abandonné.

Le constat est sans pitié : RDS est au fond du trou. L’entreprise serait même à vendre, preuve que Bell ne voit plus l’intérêt d’investir dans un média sportif qui n’a plus de prise sur le contenu du CH.

Et Gélinas, fidèle soldat, est plus tanné que jamais. Sa voix trahissait quelque chose de plus fort qu’un simple coup de gueule. Il ne s’agit plus seulement d’une frustration passagère.

C’était le discours d’un journaliste qui voit la fin arriver, et qui sait qu’il n’y a plus rien à faire pour la stopper.