Pensées pour Charlotte Cardin: le Québec pense à elle

Pensées pour Charlotte Cardin: le Québec pense à elle

Par David Garel le 2025-09-27

Les projecteurs s’allument, la musique démarre, et une voix s’élève. Tout semble réuni pour une soirée de gloire, un instant qui aurait dû marquer l’histoire.

Il y a des soirs qui marquent une carrière. Certains deviennent des tremplins, d’autres des cicatrices. Pour Charlotte Cardin, l’ouverture de la cérémonie du Ballon d’Or 2025 restera un souvenir amer, un épisode qu’aucun artiste ne devrait vivre.

Sur la scène du Théâtre du Châtelet, elle a livré son tube Feel Good avec la puissance et l’assurance qu’on lui connaît. Mais devant elle, un public figé, presque hostile dans son silence. Pas un cri. Pas une vague d’applaudissements nourris. Pas une chaleur humaine. Rien.

@ballondor What an entrance for the Ballon d'Or ceremony with Charlotte Cardin! #sportstiktok ♬ son original - Ballon d'Or

Le silence... était malaisant... 

Charlotte, 30 ans, est habituée aux foules québécoises qui chantent ses refrains à pleins poumons. Elle connaît la passion des festivals, les salles combles où chaque note résonne dans l’âme du public.

Pas pour rien que dans sa loge, juste avant le spectacle, elle était tout simplement en feu... et en confiance avec son corps...

@charlottecardin_

Little backstage fit check avant le Ballon d’Or ⚽️

♬ Tant pis pour elle - Charlotte Cardin

Mais lundi soir, à Paris, elle a été projetée dans un désert d’émotions. Elle a donné tout ce qu’elle pouvait donner, sa voix, son sourire, son énergie. Et en retour, une salle glaciale, un silence gêné, des spectateurs engoncés dans leur costume trois pièces, incapables de se laisser aller.

Yann Barthès, sur le plateau de l'émission Quotidien, a osé dire tout haut ce que des millions de téléspectateurs avaient ressenti :

« C’est quoi ce public ? Vous n’aviez pas envie de les secouer ? » Charlotte a répondu avec élégance, un sourire pour masquer la douleur :

« C’était un grand moment de solitude… Je n’ai jamais vécu quelque chose comme ça de ma vie. »

On entend la lucidité derrière les mots. On sent la fissure que ce genre de moment peut laisser.

Mais le pire n’était pas encore arrivé. Si la froideur du Théâtre du Châtelet a laissé un goût amer, la cruauté des réseaux sociaux a transformé la blessure en plaie béante. Au lieu de compatir, d’encourager, de reconnaître le courage d’une artiste qui s’est exposée dans un contexte difficile, certains internautes ont choisi la voie la plus vile : l’attaque personnelle.

« Elle ressemble à un homme. »

« Trop maigre. »

« Pas de hanches, pas de féminité. »

« C’est dramatique d’être si maigre ! »

Voilà ce qu’on pouvait lire sous les vidéos et les photos de Charlotte. Des flots de haine déguisés en critiques, des jugements mesquins lancés comme des pierres. On ne parlait plus de sa voix, de son talent, de sa carrière internationale. Non. On parlait de son corps. Comme si le simple fait de monter sur scène donnait un permis de la déshumaniser.

Une société malade de sa méchanceté.

Cet épisode révèle la noirceur de notre époque. Les réseaux sociaux, qui devraient être des espaces de partage et de dialogue, sont devenus des arènes où le venin se déverse sans filtre. Derrière un écran, chacun devient bourreau. Et Charlotte, en une seule soirée, est passée du rôle d’invitée d’honneur à celui de cible.

Comment peut-on s’en prendre à une chanteuse qui n’a rien fait d’autre que de donner son art ? Comment peut-on transformer une prestation musicale en lynchage physique ?

Il ne s’agit plus de critique, il s’agit de haine. Une haine gratuite, mesquine, qui dit beaucoup plus sur ceux qui l’expriment que sur celle qui en est victime.

La cruauté française ?

Il faut le dire : les commentaires les plus odieux sont venus de France. Dans l’Hexagone, une tradition de sarcasme et de dureté semble s’exprimer avec plus de liberté qu’au Québec.

Ici, on protège nos artistes. On les célèbre, on les encourage. Là-bas, on les démonte avec un cynisme presque culturel. Charlotte a eu droit à la froideur d’une salle et, ensuite, à la méchanceté d’une partie du public français.

Est-ce la jalousie devant une Québécoise qui réussit à l’international ? Est-ce la lâcheté d’anonymes qui se défoulent sur une figure publique ? Peu importe. Le résultat est le même : une artiste, une femme, blessée dans sa chair et dans son cœur.

Il faut imaginer Charlotte, après la cérémonie, seule dans sa loge, en train de scroller sur son téléphone. Elle voit les images d’un public de glace. Elle lit les commentaires assassins. Elle se revoit, sourire figé, tentant de cacher le malaise. Et elle se demande : pourquoi ? Pourquoi tant de haine ?

Ce n’est pas seulement une question d’ego ou de carrière. C’est une question d’humanité. Chaque artiste, derrière la scène, reste un être humain fragile, qui doute, qui espère être aimé, reconnu, respecté. Recevoir un tel déferlement d’indifférence puis de cruauté, c’est porter une douleur qu’aucun trophée ne peut effacer.

Le grand gagnant de la soirée, Ousmane Dembélé, Ballon d'Or 2025, aurait pu, d’un mot, d’un sourire, d’un clin d’œil complice, redonner un peu de chaleur à cette ouverture glaciale.

Il aurait suffi qu’il prenne la peine, dans son discours de remerciement, de glisser une phrase comme : « Merci aussi à Charlotte Cardin pour ce beau moment musical qui a lancé la soirée ».

Mais non. Rien. Pas une allusion. Pas une reconnaissance. Comme si sa prestation n’avait jamais existé.

Et ça, c’est violent. Parce que dans une cérémonie où chaque détail est millimétré, où les caméras captent tout, l’absence totale de mention devient un silence lourd de mépris.

Pour Charlotte, c’est doublement humiliant : d’abord un public inerte, ensuite l’indifférence du joueur qui est censé être le roi de la soirée.

On dit souvent que le Ballon d’Or, c’est la consécration du « meilleur joueur du monde ». Mais lundi soir, Ousmane Dembélé n’a pas été le meilleur homme du monde. Il a été muet. Il a laissé passer l’occasion de poser un geste simple d’élégance, qui aurait changé le récit.

Heureusement, il y a eu aussi des vagues de tendresse. Sur Xr, sur Instagram, des milliers de fans ont pris la défense de Charlotte :

« Courage à elle »

« Le public était nul »,

«La pauvre ».

Des messages sincères qui rappellent qu’au-delà des brutes anonymes, il existe une majorité silencieuse qui admire et qui soutient.

Mais la logique des réseaux est sans pitié : la haine fait plus de bruit que l’amour. Et ce que retient l’artiste, ce sont souvent les insultes, pas les louanges.

Ce qui est arrivé à Charlotte nous concerne tous. Parce qu’elle devient le miroir de ce que la société inflige aux femmes, aux artistes, à toute personne qui ose s’exposer. On n’attaque plus seulement le travail, on attaque l’apparence. On réduit une carrière à un physique. On efface le talent derrière des jugements toxiques.

C’est une blessure qui dépasse Charlotte Cardin. C’est une blessure collective. Car en laissant prospérer cette cruauté, on valide l’idée que le corps des femmes est une proie. On banalise le body shaming. On accepte la déshumanisation.

Dans sa dignité, Charlotte devient malgré elle un symbole. Elle incarne la résilience face à la méchanceté. Elle incarne la dignité face au mépris. Elle incarne l’artiste qui continue de chanter, même quand le public se tait.

Son sourire n’était pas un sourire de naïveté. C’était un sourire de résistance. Elle a choisi de répondre avec grâce, alors qu’elle aurait eu toutes les raisons de se briser. Et c’est ce sourire qui restera dans nos mémoires, bien plus que le silence de la salle.

Mais derrière ce sourire, il y a une peine immense. Ne nous y trompons pas : aucun artiste ne sort indemne d’une telle soirée. Derrière les caméras, Charlotte a dû encaisser le choc. Et même si les projecteurs se sont éteints, la douleur reste.

La cruauté des réseaux sociaux n’est pas une anecdote. C’est une cicatrice. Et c’est notre responsabilité collective de dénoncer cette violence, de refuser d’y participer, de protéger ceux qui nous donnent leur art.

Aujourd’hui, nos pensées accompagnent Charlotte Cardin. Parce qu’elle mérite mieux que des huées silencieuses et des insultes anonymes.

Parce qu’elle incarne le talent, la créativité, la fierté du Québec à l’international. Parce qu’aucune chanteuse, aucune femme, aucun artiste ne devrait être réduit à son physique ni humilié pour avoir offert son talent au monde.

Charlotte a chanté Feel Good. Mais ce soir-là, elle ne s’est pas sentie bien. Et nous non plus. Parce que ce qui s’est passé au Ballon d’Or 2025 n’était pas seulement un moment de solitude pour elle.

C’était un moment de honte pour la société.