On pensait que Pierre-Karl Péladeau vivait un drame avec la chute de TVA et TVA Sports.
Mais il y a des jours où la détresse intime et les contradictions sociales se heurtent de plein fouet. Charles Lafortune en est devenu l’incarnation.
Père d’un jeune adulte autiste, figure médiatique de TVA, producteur choyé par le système, il se retrouve malgré lui au centre de deux tempêtes.
La première, intime, déclenchée par Donald Trump, qui a osé pointer du doigt les mères et les Tylenols comme « coupables » de l’autisme.
La seconde, professionnelle, quand Lafortune, aux côtés de Pierre Karl Péladeau, réclame à l’État québécois et canadien de sauver une télévision privée à l’agonie, malgré des millions engloutis dans TVA Sports.
Deux scènes, deux pleurs, deux réalités. Mais toutes révèlent la même chose : Charles Lafortune n’a pas de break.
Lundi, Donald Trump a frappé encore une fois là où ça fait mal. Depuis son pupitre présidentiel, il a annoncé que la FDA allait recommander aux médecins de décourager les femmes enceintes d’utiliser du Tylenol, sous prétexte de « risques très élevés d’autisme » chez l’enfant à naître.
Une déclaration sans fondement scientifique, mais terriblement efficace pour raviver la culpabilité de millions de mères.
Pour Charles Lafortune, cette sortie a été une gifle personnelle. À l’émission de Patrick Lagacé, sa voix s’est brisée :
« Y a sans doute plein d’Américaines qui se sont levées ce matin, qui ont regardé leur enfant et qui ont dit : “C’est de ma faute.” On ne peut pas croire qu’on en est rendus là. Les bras me tombent. C’est triste, c’est juste triste. »
On le comprend. Père d’un fils autiste, Mathis, Charles connaît la lourdeur du quotidien. Les défis, mais aussi les joies. Surtout, il sait à quel point les familles ont besoin de soutien, pas d’accusations gratuites lancées par un président en mal de controverse.
La communauté autiste, au Québec comme ailleurs, a répliqué avec force : tous ont dénoncé ce retour en arrière, cette volonté de raviver de vieilles théories pseudo-scientifiques.
Pendant ce temps, sur Reddit, des milliers d’internautes rappelaient que Trump est le même qui suggérait de boire de l’eau de Javel contre la COVID. L’homme qui renie la science se permet aujourd’hui de condamner des mères.
Et au Québec, c’est Lafortune qui a pris de plein fouet cette absurdité. Non pas comme animateur, mais comme père.
Mais voilà : à peine le temps de sécher ses larmes que Charles Lafortune s’est retrouvé à pleurer sur un autre front.
Non plus en tant que père, mais en tant que producteur millionnaire de TVA. En direct à LCN, il a repris le discours que Pierre Karl Péladeau orchestre depuis des mois : la télévision privée québécoise est en péril, il faut que l’État la sauve.
« La télé privée souffre de la chute des revenus publicitaires », a-t-il lancé, la gorge serrée, comme si cette révélation n’était pas connue de tous depuis une décennie.
Lafortune sait qu’il parle d’un modèle brisé. YouTube, TikTok, Netflix ont changé les habitudes de consommation. La génération Z ne regarde plus la télé comme avant. Mais plutôt que d’innover, Québecor s’accroche à un Titanic nommé TVA Sports.
Depuis sa création en 2011, la chaîne a englouti entre 230 et 300 millions de dollars. Rien, absolument rien, n’a permis d’équilibrer les livres. En 2024 encore, ce sont 15,4 millions qui se sont envolés en fumée. Et malgré cela, Péladeau et Lafortune osent demander aux contribuables de financer leur guerre contre Bell.
C’est là tout le paradoxe. Charles Lafortune, ému et sincère quand il parle de l’autisme, devient soudainement le porte-parole des privilégiés quand il parle de télévision. Père vulnérable d’un côté, producteur millionnaire de l’autre.
Quand il réagit à Trump, il incarne la souffrance de milliers de familles. Quand il réagit à la crise télévisuelle, il incarne l’indécence d’une élite qui nage dans les millions tout en exigeant l’aide de l’État.
Et ce contraste heurte. Comment prendre au sérieux ses larmes télévisuelles alors que son propre avenir n’est pas menacé?
Ses productions fonctionnent, ses revenus sont protégés. Ce ne sont pas les Lafortune ou les Péladeau qui souffrent : ce sont les caméramans, les techniciens, les recherchistes, les monteurs… les employés licenciés à coup de centaines.
Derrière les larmes de Lafortune, il y a toujours l’ombre de Péladeau. Le grand patron de Québecor, qui en 2024 s’est versé 20,44 millions en rémunération totale, alors même que TVA Sports saignait à blanc. Le même Péladeau dont la famille détient 76 % des droits de vote de l’empire.
C’est lui qui tire les ficelles, qui orchestre la mise en scène des animateurs vedettes venant pleurer devant les caméras. Son but? Forcer Ottawa et Québec à injecter de l’argent public dans TVA Sports.
Un PDG milliardaire qui demande l’aumône. Un animateur millionnaire qui répète le discours. Voilà l’indécence à l’état pur.
Pendant ce temps, qui paie la note? Pas Lafortune. Pas Péladeau. Les familles québécoises. Celles qui voient leurs taxes englouties dans des guerres de câblodistributeurs.
Celles qui sautent des repas pour payer l’hypothèque. Celles qui, chaque matin, comptent les sous pour s’acheter une miche de pain.
Elles n’ont pas le luxe de pleurer en direct à LCN. Elles ne peuvent pas s’offrir le confort d’un studio pour exprimer leur détresse. Leur quotidien, ce sont les coupures, la précarité, l’incertitude.
Deux drames, deux poids, deux mesures.
Les propos de Trump rappellent à quel point la société aime culpabiliser les plus vulnérables. Les mères, les familles autistes, celles qui portent déjà un fardeau immense.
Mais les propos de Lafortune et Péladeau rappellent aussi à quel point les plus riches savent instrumentaliser la détresse pour protéger leurs privilèges.
Dans les deux cas, on fait pleurer. Mais dans un cas, les larmes sont celles d’un père sincère, choqué par l’injustice. Dans l’autre, ce sont des larmes stratégiques, versées pour influencer l’opinion publique.
Charles Lafortune, malgré lui, est devenu le symbole de cette époque. Une époque où les millionnaires exigent l’aide de l’État, pendant que les familles vulnérables sont laissées à elles-mêmes.
Une époque où un président américain accuse les femmes d’être responsables de l’autisme, pendant que des réseaux milliardaires refusent d’assumer leurs propres échecs.
Lafortune, c’est la contradiction incarnée. Père bouleversé par l’absurdité d’un Trump en roue libre. Mais aussi producteur privilégié qui défend un empire médiatique en faillite morale.
Il faut recentrer le débat. L’urgence n’est pas de sauver TVA ou TVA Sports. L’urgence est d’investir dans la recherche, dans l’accompagnement, dans les services aux familles autistes. L’urgence est de redonner de la dignité aux mères qui, chaque jour, se battent contre le jugement social.
L’urgence est d’empêcher que des propos comme ceux de Trump alimentent encore plus de culpabilité et d’isolement. Et l’urgence est aussi de dire à Péladeau et Lafortune : assez. Vos millions ne vous donnent pas le droit de tendre la main aux contribuables.
Charles Lafortune n’a pas de break. Père meurtri d’un côté, producteur protégé de l’autre. Mais si ses larmes devant Trump étaient vraies, ses larmes devant TVA étaient mal placées.
La vérité est simple : il est indécent de demander aux familles québécoises de payer pour un empire médiatique déficitaire.
Il est indécent de transformer la détresse d’une industrie en drame national, alors que la vraie détresse est dans les foyers, dans les écoles spécialisées, dans les familles qui manquent de soutien.
Charles Lafortune, malgré lui, nous force à poser la question : qui a vraiment besoin de notre compassion? Les milliardaires de Québecor? Ou les mères que Trump condamne, les familles autistes qui manquent de services, les travailleurs licenciés de TVA qui n’ont plus rien?
La réponse est claire. Et elle ne se trouve pas à LCN, mais dans la vraie vie.