Gary Bettman n’occupe pas une grande place dans le cœur de Régis Labeaume. C’est un secret de Polichinelle à Québec.
Mais la sortie publique de l’ancien maire, cette semaine, démontre à quel point le ressentiment est encore vif. et à quel point la vérité a été déformée depuis 10 ans.
Labeaume ne décolère pas. Il continue d’accuser Bettman d’avoir trahi Québec, de l’avoir ignoré, de lui avoir fermé la porte au nez.
Mais les faits, eux, racontent une toute autre histoire : Gary Bettman n’a jamais été l’obstacle au retour des Nordiques.
Il a simplement refusé d’endosser un projet inexistant, porté par un homme, Pierre Karl Péladeau, qui n’a jamais déposé d’offre officielle à la Ligue nationale de hockey.
Dans son entrevue à Martin McGuire et Dany Dubé, Régis Labeaume a ravivé la plaie. Il a admis ne pas pouvoir « tout dire », puisque Brian Mulroney, son intermédiaire auprès de la LNH, est décédé.
Mais il a conclu par une phrase lourde de rancune :
« Peut-être qu’un jour je vais me tanner… mais je vais en vouloir longtemps à Gary Bettman. » Ces mots ont résonné comme un cri du cœur. Pourtant, ils entretiennent un mythe.
Car Bettman n’a jamais bloqué le retour des Nordiques : il a seulement exigé ce que toute ligue professionnelle exige une offre solide, un groupe stable, et des garanties financières crédibles. Ce qu’il n’a jamais reçu.
Lors d’une conférence de presse au Centre Bell en octobre 2024, le commissaire avait d’ailleurs mis les choses au clair devant une meute de journalistes québécois.
« Pierre Karl Péladeau ne m’a jamais fait d’offre. Jamais. »
Une phrase simple, glaciale, livrée sans détour. Bettman, ce jour-là, a accepté d’être le grand méchant loup, celui qu’on accuse, celui qu’on déteste, parce qu’il sait très bien que la vérité est moins vendeuse que la colère.
Il faut remettre les pendules à l’heure : Pierre Karl Péladeau n’a jamais osé aller jusqu’au bout. L’homme de Québecor, après avoir vu que le coût d’entrée pour une nouvelle franchise s’élevait à 500 millions de dollars américains, a tout simplement reculé.
Il a choisi d’abandonner plutôt que de risquer sa fortune dans une aventure incertaine. Aucune soumission, aucune proposition écrite, aucune rencontre officielle avec le bureau des propriétaires : rien n’a jamais existé, malgré tout le cirque médiatique orchestré à Québec pour faire croire le contraire.
Ce que Bettman a fait, c’est endosser volontairement le rôle du méchant, celui qui bloque, celui qui dit non, pour protéger l’image de Québec et éviter d’humilier publiquement Péladeau.
Le commissaire savait très bien que le projet était mort-né, mais il a préféré porter le blâme plutôt que d’exposer l’imposture.
Il savait que la colère du public serait dirigée vers lui, et non vers l’homme d’affaires qui avait abandonné avant même d’essayer. Ce n’est pas Bettman qui a tué le rêve des Nordiques : c’est Péladeau qui n’a jamais eu le courage de déposer l’offre qu’il prétendait avoir.
Bettman aurait pu accuser Québecor, ou ridiculiser les politiciens québécois qui ont transformé un dossier économique (Centre Vidéotron) en fiasco total. Il ne l’a pas fait. Il s’est contenté de dire la vérité.
Et la vérité, elle est brutale : aucun projet concret n’a jamais été soumis. Bettman a répété qu’il aimait la province, qu’il comprenait la passion des partisans, mais qu’il ne pouvait pas inventer une offre de toutes pièces.
« Ce qu’il manque à Québec, ce n’est pas la passion, c’est un groupe solide et stable », avait-il martelé. Derrière ces mots, tout était dit.
Le problème n’est pas Gary Bettman, ni Geoff Molson, ni un complot américain contre le Québec. Le problème, c’est l’absence d’un investisseur crédible, capable de répondre aux exigences financières d’une ligue dont la valeur moyenne des franchises dépasse désormais 1,3 milliard de dollars.
Mais dans l’imaginaire collectif, la version de Labeaume a fini par s’imposer. Parce qu’elle est plus simple. Parce qu’elle flatte l’orgueil d’une ville meurtrie.
Et parce qu’elle trouve un écho dans les médias de Québecor, qui ont bâti depuis dix ans une fable commode : Bettman le bourreau, Péladeau le patriote incompris, Québec la victime.
Pourtant, ceux qui ont suivi les négociations de l’intérieur savent que Bettman n’a jamais fermé la porte à Québec. Il l’a simplement laissée entrouverte, en attendant qu’un projet sérieux frappe enfin.
Ce n’est pas la LNH qui a abandonné Québec. Ce sont les acteurs du dossier qui ont abandonné la LNH. En 2016, lorsque la ligue préparait son expansion, Québecor a soumis une candidature officielle.
Mais elle n’a jamais été accompagnée des garanties financières exigées. Bettman a préféré Las Vegas. Non pas parce qu’il déteste le Québec, mais parce que Bill Foley, le propriétaire des Golden Knights, avait un plan structuré, un financement béton, et un modèle économique viable.
À l’inverse, Québecor offrait des promesses médiatiques et une volonté politique, mais pas de capital suffisant pour rassurer les propriétaires.
En octobre 2024, Bettman l’a redit sans détour :
« Si le projet des Nordiques ne revient pas à la vie, ce n’est pas à cause de la Ligue. C’est parce que personne n’a mis l’argent sur la table. »
Voilà la phrase que Régis Labeaume refuse d’entendre. Bettman n’a jamais craint Québec. Il a craint Péladeau. Le commissaire de la LNH veut des propriétaires stables, patients, discrets.
Péladeau est tout le contraire : impulsif, colrique, polarisant. Les propriétaires américains n’ont jamais voulu de lui autour de la table, et Bettman ne s’en est jamais caché.
« Ce qu’il faut, c’est un groupe solide et stable », a-t-il répété, refusant de nommer directement Québecor, mais tout le monde avait compris.
Labeaume, lui, ne veut pas le comprendre. Il personnifie le rejet, comme si Bettman lui avait volé son rêve personnel.
Pourtant, la responsabilité incombe à ceux qui n’ont pas su bâtir un dossier crédible. Québec a eu un amphithéâtre flambant neuf (qui est déjà désuet) payé sur le dos des contribuables, mais pas de projet d’affaires viable.
Et pendant ce temps, d’autres marchés sont arrivés : Seattle, Utah, bientôt Atlanta et Houston. Tous ont mis sur la table des offres claires, avec des partenaires solides. Bettman les a acceptées. Pourquoi aurait-il refusé Québec si les mêmes conditions avaient été réunies?
Ce qui est fascinant dans cette saga, c’est le rôle de Bettman lui-même. L’homme a accepté d’être détesté, caricaturé, détruit, sans jamais chercher à se défendre.
Il aurait pu humilier Péladeau publiquement. Il ne l’a pas fait. Il aurait pu révéler qu'il n'avait jamais reçu d'offre en 2016.. Il a préféré rester diplomate.
Parce que Bettman, contrairement à l’image qu’on lui colle, est avant tout un stratège. Il sait que dans le sport professionnel, la stabilité prime sur l’émotion. Et s’il doit porter l’étiquette du « méchant » pour protéger la crédibilité de sa ligue, il le fera sans hésiter.
La rancune de Labeaume s’explique par l’échec d’un rêve collectif. Pendant des années, l’ancien maire a fait du retour des Nordiques sa croisade personnelle.
Il a investi du temps, de la crédibilité, de l’espoir politique. Voir tout cela s’effondrer a laissé une cicatrice. Mais en s’en prenant à Bettman, il s’en prend au mauvais homme.
Marcel Aubut l’a d’ailleurs confirmé : Bettman voulait garder Québec dans la LNH. Il était attristé de voir une ville aussi passionnée perdre son équipe. Mais il ne pouvait rien faire sans appui politique ni investisseur crédible.
Et trente ans plus tard, rien n’a changé. Péladeau n’a pas bougé. Aucun groupe alternatif n’a émergé. Et pendant que les dirigeants de Québecor entretiennent l’illusion d’une conspiration américaine, la LNH, elle, avance.
Alors, quand Régis Labeaume affirme qu’il « en voudra longtemps à Gary Bettman », il se trompe de cible. Bettman n’a pas trahi Québec. Il a protégé Péladeau.
La vérité, c’est que Bettman ne déteste pas Québec. Il déteste le théâtre politique et les illusions médiatiques. Il sait que le hockey mérite mieux qu’un projet bâti sur la nostalgie. Il n’a pas fermé la porte aux Nordiques : il a simplement demandé qu’on frappe avec quelque chose de solide. Et jusqu’à présent, personne ne l’a fait.
Tant que Pierre Karl Péladeau ne déposera pas une offre concrète, tant que la Ville de Québec refusera d’admettre ses propres erreurs, le retour des Nordiques restera un mirage commode.
Un mythe utile pour rallumer la fierté, mais vide de substance. Bettman, lui, continuera de passer pour le méchant. Et ça ne le dérange pas. Parce qu’au fond, il sait que l’histoire retiendra une seule chose : le rêve des Nordiques n’est pas mort à cause de Gary Bettman, mais à cause de ceux qui, depuis 10 ans, ont préféré chercher un coupable plutôt que de bâtir une vraie solution.