La nouvelle du décès de Larry Brooks a frappé le monde du hockey avec tristesse, comme un rappel brutal que certaines voix sont si profondément ancrées dans la mémoire collective d’un sport qu’on finit presque par croire qu’elles sont immortelles.
À New York, on n’imaginait pas le Madison Square Garden sans la présence discrète mais puissante du chroniqueur du New York Post, son carnet dépassant légèrement de sa poche arrière, son air imperturbable, cette façon unique de traverser une salle comme s’il en connaissait déjà toutes les vérités.
À Montréal, l’impact a été tout aussi fort, parce que Brooks n’était pas seulement une institution des Rangers : il était, pour Martin St-Louis, un témoin privilégié d’une carrière improbable, d’une trajectoire de battant, d’un parcours digne d'une histoire de Cendrillon.
La disparition de Brooks, à 75 ans, emporte un morceau entier de l’univers émotionnel de St-Louis, parce que chez cet homme qui se méfiait des caméras mais jamais des regards sincères, il trouvait un chroniqueur qui voyait au-delà des statistiques, des clichés et des paragraphes faciles sur les changements de trio.
Les deux sont devenus des amis à New York.
On l’oublie trop souvent, mais lorsque Martin St-Louis a quitté les Rangers en 2015, lorsque son histoire new-yorkaise s’est éteinte dans une ambiance étrange et tendue, c’est Larry Brooks qui avait été l’un des premiers à capter la nuance, la fragilité et même l’inconfort qui entouraient ses derniers jours avant qu'il annonce sa retaite.
Il avait écrit ce texte qui, aujourd’hui, résonne différemment : St-Louis voulait continuer, voulait terminer sa carrière chez les Rangers, voulait sentir qu’il avait encore un rôle à jouer.
Ce que bien des gens ont oublié, c’est à quel point les derniers mois de Martin St-Louis chez les Rangers avaient été marqués par la colère.
Quelques semaines avant l’annonce officielle de sa retraite, St-Louis répétait publiquement qu’il voulait continuer, qu’il voulait absolument rester à New York
« Il n’y a aucun doute que je veux jouer l’an prochain. Et oui, je veux jouer ici. Je veux finir ma carrière comme Ranger. »
Puis, brutalement, Alain Vigneault lui avait montré la porte de sortie. Larry Brooks avait révélé à l’époque que St-Louis était « visiblement mécontent de la façon dont il avait été utilisé en séries », parlant d’un rôle réduit, de minutes coupées, d’un sentiment d’être mis de côté.
Les Rangers n’avaient pas voulu lui offrir plus qu’un contrat au salaire minimum.. Le clan St-Louis avait mal digéré le message et avait claqué la porte de sortie.
Brooks avait été le premier à écrire noir sur blanc ce malaise que personne n’osait nommer. St-Louis lui avait donné sa dernière entrevue en tant que joueur. Cela avait cimenté la relation entre les deux hommes.
New York, et particulièrement le vestiaire des Rangers, est un cirque où l’on s’habitue vite à se protéger. Les journalistes ne sont pas des confidents ; ils sont des obstacles, des dangers potentiels, des amplificateurs d’incidents qui deviennent souvent des ennemis.
Mais Larry Brooks n’entrait pas dans cette catégorie. Oui, il avait la réputation d’un mouton noir, d’un gêneur, d’un homme qui posait les questions que les autres évitaient, souvent avec une froideur qui choquait les entraîneurs.
Oui, il s’était disputé pendant des années avec John Tortorella, ces altercations verbales devenues légendaires qui faisaient le bonheur du public.
Mais derrière cela, il y avait un respect profond pour le métier, pour le jeu, pour les hommes qui le pratiquaient. C’est ce respect-là qui avait rapproché Brooks et St-Louis.
Dans l’univers new-yorkais, où l’on mesure d’abord la loyauté à la capacité d’endurer la pression collective, les deux parlaient le même langage : celui du dépassement de soi, celui de la quête du détail, celui du besoin de comprendre pourquoi un match bascule, tant positivement que négativement.
Le plus fascinant, c’est que lorsque St-Louis a été nommé entraîneur du Canadien de Montréal, Brooks avait observé la scène avec un mélange de surprise et de fierté.
Surprise, parce que l'idée d’un ancien Rangers, petit format à l'époque, devenu entraîneur en chef du club le plus scruté du monde, tenait presque du conte de fées improbable.
Fierté, parce que Brooks avait compris avant beaucoup de personnes que St-Louis n’était pas un ancien joueur reconverti par défaut, mais un analyste du jeu d’une profondeur rare, un homme capable d'analyser la logique d’une séquence en trois secondes.
Brooks écrivait qu’il trouvait l’embauche étrange, oui, mais « fascinante », parce qu’elle provenait d’un instinct qu’il respectait profondément : celui de reconnaître l’intelligence que les statistiques ne peuvent mesurer.
Aujourd’hui, c’est cette relation-là qui donne à la mort de Brooks une dimension encore plus lourde pour St-Louis. Montréal ne l’a jamais vu de près, mais St-Louis a passé deux années à New York à vivre sous le regard de Brooks, à comprendre son honnêteté, sa franchise, sa manière de chercher les vérités que tout le monde tente de cacher derrière des clichés préparés.
Quand on vit cela, on se détache difficilement. St-Louis est devenu entraîneur en sachant exactement comment Brooks aurait critiqué ses débuts, comment il aurait mesuré sa progression, comment il aurait décortiqué ses erreurs.
Et ce n’est pas un hasard si, dans les jours précédant sa mort, John Tortorella, pourtant son grand rival médiatique, l’a appelé pour prendre de ses nouvelles.
C’est encore moins un hasard si St-Louis, bien que très discret, a toujours été parmi ceux qui lisaient Brooks, même après son départ de New York.
Même si le défunt journaliste pouvait être très dur avec "Marty", en tant que joueur et en tant que coach.
La mort de Brooks n’est donc pas seulement la disparition d’un journaliste légendaire. C’est la fin d’un regard qui accompagnait St-Louis depuis presque une décennie, un regard qui l’avait suivi comme joueur, observé comme futur retraité, questionné comme entraîneur.
C’est la fin d’un témoin de confiance dans un milieu où l’on ment souvent pour protéger les joueurs afin d'avoir des privilèges (comme à Montréal en ce moment).
Brooks, lui, ne faisait pas cela. Il disait ce qu’il avait à dire, même si ça dérangeait, même si ça provoquait des frictions, même si les dirigeants lui en voulaient.
C’est exactement pour ça que St-Louis le respectait : parce que dans une vie passée à combattre les préjugés, il sait reconnaître ceux qui ne se cachent pas derrière les apparences.
On imagine très bien St-Louis aujourd’hui, prendre connaissance de la nouvelle, s’arrêter quelques secondes, penser à ce carnet dans la poche arrière, à cette façon de se promener dans la passerelle du Madison Square Garden, à ce ton neutre et presque sec qui précédait toujours une question tranchante.
On imagine aussi le pincement au cœur, parce qu’il sait ce que cela représente : la fin d’une époque, la disparition d’un repère, la perte d’un homme qui ne lui a jamais fait de cadeau mais qui lui a toujours offert quelque chose de plus précieux que les éloges : la vérité.
Quiconque connaît un peu le hockey sait que cette disparition atteint profondément St-Louis. Parce qu’entre les lignes des textes de Brooks, il y avait toujours une forme de respect silencieux pour les joueurs qui avaient dû se battre pour exister.
Et personne ne représente cela mieux que St-Louis. C’est pour cela que la mort de Brooks, au-delà du choc qu’elle provoque dans le monde du hockey, résonne avec une intensité particulière dans la trajectoire de l’entraîneur du Canadien. Elle marque la fin d’un chapitre.
Nos pensées sont avec la famille et les proches de Larry Brooks.
