Congédiement à TVA: l'entrevue de Martin St-Louis marquée à vie

Congédiement à TVA: l'entrevue de Martin St-Louis marquée à vie

Par David Garel le 2025-10-16

TVA vit une crise structurelle. Le réseau, déjà fragilisé par l’essor du numérique, la chute de la publicité traditionnelle et la concurrence féroce des géants technologiques, est désormais contraint de réduire ses effectifs au milieu de l’effondrement de TVA Sports.

Jeudi matin, six cadres ont appris qu’ils perdaient leur poste. Parmi eux : Maggie Haché, directrice générale de TVA Productions et Opérations, qui supervisait les productions internes, y compris Salut Bonjour. Cette division est cruciale pour le réseau, car elle est l’une des rares à conserver une présence locale forte.

Le symbole le plus cruel de cette journée noire, c’est sans doute le renvoi de Madame Haché, qui a perdu son emploi le même jour où l’entrevue de Martin St-Louis à Salut Bonjour explosait les cotes d’écoute.

Cruel. Pendant que la direction se félicitait d’avoir livré un moment de télévision rare et humain, véritable coup de circuit pour l’émission-phare du matin, on remerciait celle qui faisait partie de l’équipe de production qui rendait ce genre d’entrevue possible.

Cette contradiction illustre à quel point TVA coupe désormais dans la chair vive. On coupe au cœur même de ce qui fonctionne, comme si la logique financière s’était déconnectée de toute reconnaissance humaine ou stratégique.

Et comme si le destin voulait enfoncer le clou, cette vague de compressions est survenue le même jour où Martin St-Louis faisait pleurer tout le Québec.

Dans cette entrevue remplie d’émotion, il parlait de sa défunte mère, de sa femme, des femmes de sa vie, de leur patience, de leurs sacrifices, de cette humanité qu’il porte sur la glace et dans son regard.

Pendant que St-Louis incarnait ce que la télévision québécoise sait encore faire de plus vrai et de plus noble, dans les couloirs du même bâtiment, on remerciait des femmes comme Maggie Haché, pilier discret mais essentiel de cette mécanique fragile.

On entend encore la voix tremblante de St-Louis, pendant qu’en arrière-plan, des producteur-ices, des technicien-nes, des gestionnaires fermaient leurs ordinateurs pour la dernière fois.

Ce n’est plus seulement une crise financière : c’est une crise d’âme. TVA coupe au moment même où elle redonnait foi au public. C’est terriblement triste, et c’est peut-être le résumé le plus cruel de ce que vit le réseau aujourd’hui.

À l’interne, plusieurs employés parlent d’une ambiance glaciale : on célèbre les succès à l’écran tout en distribuant les lettres de congédiement en coulisses.

Ce coup touche aussi le secteur syndiqué : la semaine précédente, neuf employés syndiqués, notamment ceux chargés du placement des annonces publicitaires dans les émissions, ont vu leur poste supprimé.

Le syndicat ne reste pas silencieux : le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a dénoncé l’usage de logiciels d’intelligence artificielle pour remplacer des employés humains, affirmant que les patrons de TVA “se plaignent des géants du web qui grugent leurs revenus publicitaires, mais n’ont aucun scrupule à recourir aux logiciels d’IA d’Amazon pour couper dans le personnel.”

Ces suppressions de postes s’inscrivent dans une stratégie de sauvetage à marche forcée. Le président de Québecor, Pierre Karl Péladeau, accuse souvent la migration des revenus publicitaires vers les géants numériques pour expliquer les difficultés du Groupe TVA. Et, dans les dernières années, l’entreprise a réduit ses effectifs à plusieurs reprises, dans tous les secteurs.

Mais ce qu’on observe aujourd’hui est plus brutal : des gens du cœur opérationnel du réseau (technique, mise en ondes, programmation) sont directement visés.

Pendant que TVA supprime des postes, TVA Sports continue de couler dans le rouge. Les pertes cumulées du réseau sportif, de 2011 à aujourd’hui, sont proches de 300 millions de dollars. Malgré cela, TVA tente encore de négocier une part des 39 matchs nationaux francophones de hockey laissés en suspens.

C’est absurde, sur le plan financier : on tente d’acheter des droits très coûteux dans un contexte où TVA n’est même plus capable de maintenir ses effectifs et assure la survie minimale de son réseau.

C’est comme si on essayait de recoller les planches d’un bateau qui prend l’eau… avec le peu de bois qu’il reste.

Ce paradoxe, vouloir payer pour diffuser le Canadien alors même qu’on jette des employés, illustre la tension existentielle du réseau : vouloir sauver l’apparence de force médiatique, mais sans les ressources pour la soutenir.

La voix syndicale est rare mais cinglante. Le SCFP, dans un communiqué, a qualifié de “comique” l’attitude de TVA :

« Les patrons de TVA sont les premiers à se plaindre des géants du web, mais ils n’hésitent pas à recourir aux logiciels d’IA d’Amazon pour couper dans le personnel. »

Ce propos souligne un malaise profond : la direction de TVA justifie sa crise par la concurrence numérique, mais adopte elle-même les outils numériques (IA) pour accélérer les sacrifices humains.

Derrière les chiffres, il y a des familles. Des techniciens, des monteurs, des diffuseurs, des opérateurs de plateau, des maquilleurs, des cadres intermédiaires : tous risquent de perdre leur gagne-pain.

Le SCFP rappelle que couper dans le personnel est souvent la première solution de facilité financière. Mais dans un réseau déjà affaibli, c’est l’identité même de TVA qui est en jeu.

Maggie Haché, directrice des Productions & Opérations, a longtemps été visible uniquement dans les coulisses. Elle coordonnait les tournages, les studios, les flux internes, les barrages publicitaires, etc. Sa perte est symbolique : on touche à l’ossature du réseau.

Quand on coupe à ce niveau, ce n’est plus un ajustement de coûts. C’est un démembrement.

Et ces suppressions surviennent alors que TVA Sports pousse à faire des deals de hockey à tout prix, comme si l’argent investi en droits allait régler le reste.

Mais les employés, eux, sont rarement considérés dans ce calcul.

TVA Sports n’a jamais atteint la rentabilité. Chaque saison, les pertes s’accumulent. Aujourd’hui, TVA n’a plus les moyens d’entretenir une structure lourde pour un réseau déficitaire.

En coupant les divisions internes et en externalisant ou automatisant des fonctions (IA, logiciels), TVA cherche à alléger ses coûts pour “survivre dans le model numérique”.

Si TVA veut négocier des droits du Canadien tout en brisant ses propres fondations, elle joue une partie risquée.

C’est comme essayer de reconstruire une maison en retirant les poutres principales. Le plafond peut tenir un moment, mais le moindre souffle la fera s’effondrer.

Pierre Karl Péladeau est livré à lui-même dans ce pari.

Veut-il sauver TVA Sports à tout prix, même au détriment des employés? Veut-il sauver les emplois, même au prix du déficit accru?

Il n’y a pas de réponse facile.

Mais ce que l’on voit maintenant, c’est qu’il cherche la solution de dernier recours : dépenser pour obtenir des droits de hockey, espérant que ça relance le réseau, pendant que le personnel fond comme neige au soleil.

Dans l’entreprise, on murmure que Péladeau a ordonné de “sauver ce qui peut l’être”, y compris avec des coupes douloureuses mais nécessaires.

On dit que tous les départements sont surveillés : les salaires, les contrats, les dépenses de production. On parle même de demander aux animateurs vedettes d’accepter des baisses de revenus.

Mais tout cela paraît dérisoire si le problème de base n’est pas corrigé : TVA doit redevenir crédible aux yeux des téléspectateurs.

Sur les réseaux, l’indignation monte.

Des internautes disent :

« TVA coupe les techniciens pendant qu’ils négocient les droits du CH ? Sérieusement ? »

« On supprime du monde et on achète des droits ? Quel plan malsain. »

« Si TVA Sports veut survivre, elle commence par respecter ses employés. »

La colère est réelle.

Quand la chaîne parle de “sauvetage” alors qu’elle licencie des gens, ça ne passe plus.

Si TVA ne change pas, ce n’est pas seulement la fermeture d’un canal sportif qui sera perdue. C’est des centaines d’emplois, la confiance du public... et le dernier réseau sportif francophone autonome qui s’éteindra.