Le Centre Bell vibrait encore.
Les partisans hurlaient leur amour. Le vestiaire du Canadien débordait de joie, d’adrénaline pure, de cette euphorie rare que seule une grande victoire en séries peut provoquer.
Mais pendant ce temps, dans l’arrière-scène, un malaise glacial s’est installé. Dans la salle de presse, alors que tous s’attendaient à voir un Martin St-Louis soulagé, fier, heureux… on a eu droit à l’inverse.
Un coach tendu, fermé, presque grincheux. Le regard sombre, le ton sec. Comme s’il n’avait pas gagné un match historique. Comme si, au fond de lui, il savait que cette victoire venait de lui faire perdre une bataille bien plus importante : celle de son ego.
L’incompréhension était évidente dans la salle de presse. Après un match d’anthologie où Arber Xhekaj, le shérif honni, avait changé le cours de la série par sa simple présence, on aurait cru que St-Louis lui-même serait le premier à saluer ce coup d’éclat.
Mais non. Interrogé sur la contribution d’Xhekaj, Martin a patiné comme jamais sur la glace de ses émotions refoulées.
Oui, a-t-il admis, il a bien joué. Oui, il a amené une présence physique. Mais surtout, St-Louis a insisté :
« Ce n’est pas juste la robustesse. »
Comme pour minimiser le rôle crucial qu’Xhekaj avait joué dans la transformation de l’équipe, dans le réveil de la foule, dans la débandade psychologique des Capitals.
La séquence était malaisante au possible:
Et quand est venu le temps d’expliquer pourquoi Xhekaj n’avait pas été dans l’alignement dès le début de la série, son explication a encore davantage trahi son malaise :
« Quand je l’ai enlevé de l’alignement, on a gagné six matchs de suite. »
Une réponse défensive, froide, loin d’un hommage à un joueur qui venait de faire chavirer Montréal dans l’euphorie.
On aurait voulu entendre un entraîneur reconnaissant du sacrifice, du courage, de l’impact de son joueur. À la place, on a senti la rancune, l’orgueil blessé, la colère mal camouflée.
Car tout le monde dans la salle le savait. Tout le Québec le savait. Martin St-Louis n’a jamais voulu remettre Arber Xhekaj dans l’alignement. Il a résisté jusqu’à la dernière minute.
Ce sont Jeff Gorton et Kent Hughes qui ont forcé sa main, conscients que l’état-major du Canadien n’avait plus le choix face au massacre physique que subissait leur équipe. Ce n’était pas une décision de St-Louis. C’était une intervention d’urgence.
Et ce soir, Arber Xhekaj n’a pas seulement répondu présent. Il a redéfini l’identité du Canadien. Il a ramené la peur dans le camp adverse.
Il a redonné du courage aux Suzuki, Caufield, Slafkovsky et Hutson. Il a fait taire Tom Wilson. Il a réveillé 21 105 partisans qui n’attendaient que ce signal pour déchaîner leur passion.
Et ça, pour un entraîneur qui s’était entêté pendant des semaines à l’exclure de l’alignement, c’est une gifle monumentale. Une gifle que Martin St-Louis n’était manifestement pas prêt à encaisser avec le sourire.
Pendant que St-Louis patinait avec ses justifications, d’autres, eux, ont eu la décence d’honorer le moment pour ce qu’il était.
Josh Anderson, le héros de la bagarre sur le banc des Capitals, n’a pas hésité une seconde à déclarer qu’Arber Xhekaj était « primordial pour l’équipe ».
Juraj Slafkovsky, pourtant encore jeune et parfois réservé, a aussi souligné à quel point Xhekaj avait changé la dynamique du match.
Il y avait une reconnaissance sincère dans leurs mots. Un respect tangible. Ce que Martin St-Louis, lui, n’a pas été capable d’exprimer.
Ce malaise, cette tension sourde dans la salle de presse, c’était le reflet d’une réalité sans pitié : Martin St-Louis est peut-être en train de perdre plus que des matchs de hockey.
Il risque de perdre sa crédibilité s’il continue de laisser son ego dicter ses décisions. Quand on voit l’enthousiasme des joueurs pour la contribution d’Xhekaj, et la froideur du coach, la fracture devient évidente. Et elle est dangereuse.
Car ce n’est pas juste Arber Xhekaj qui est en cause ici. C’est toute une philosophie d’équipe. C’est l’acceptation que dans les séries, la robustesse est aussi essentielle que le talent. C’est l’humilité de reconnaître qu’on peut avoir tort. Que parfois, la solution que l’on méprise est celle qui nous sauve.
Martin St-Louis n’avait pas envie d’admettre tout ça ce soir. Et son attitude, après une victoire aussi éclatante, a laissé un goût amer dans la bouche de bien des observateurs.
Le Centre Bell a rugi. Montréal a vibré. L’équipe a trouvé une nouvelle vie. Mais l’homme derrière le banc, lui, semblait vivre une toute autre réalité : celle d’une blessure d’orgueil encore ouverte.
Au final, c’est triste. Triste de voir un coach incapable de savourer un triomphe collectif parce qu’il est prisonnier de ses propres certitudes.
Triste de sentir que même dans la victoire, il y avait chez Martin St-Louis cette ombre grise, ce ressentiment intérieur qu’il n’a pas su masquer.
Le Canadien a gagné le match. Mais Martin St-Louis, lui, a perdu une bataille contre lui-même.