Mardi, au Centre Bell, le Canadien a battu les Flyers de Philadelphie 4-2 dans un match préparatoire sans enjeu.
Pourtant, ce qui aurait dû être un moment d’optimisme, la victoire, les jeunes qui s’illustrent, l’émotion des frères Xhekaj réunis, s’est transformé en une séance publique de démolition.
Après Stéphane Leroux, qui avait lancé son fameux « 1-0 Struble » pour rabaisser Arber, voilà que Dany Dubé a choisi son bouc émissaire : encore et toujours le même, Arber Xhekaj.
Dans son analyse d’après-match à Cogeco, Dany Dubé n’y est pas allé avec la langue de bois. Le journaliste a tenu à souligner la performance… d’un joueur qui n’a jamais mis un pied dans la LNH : Tobie Paquette-Bisson.
« J’ai aimé son match. J’ai trouvé que c’est un vrai compétiteur. Tu sais, il y avait vraiment cette intensité dans toutes les situations : engagement en un contre un, utilisation de son bâton, et il n’hésitait pas à transporter la rondelle. Donc, écoute, Tobie Paquette-Bisson était une belle surprise pour moi, surtout pour le match de ce soir », a-t-il lancé, laissant entendre que Bisson avait mieux fait qu’Arber Xhekaj.
Voilà où nous en sommes : comparer un vétéran de la Ligue américaine de 28 ans, qui n’a jamais disputé une seule rencontre dans la grande ligue, au défenseur qui a pourtant joué 70 matchs avec le Canadien la saison dernière et qui s’est imposé comme l’un des hommes forts les plus craints du circuit.
Est-ce de l’analyse ou du règlement de comptes?
Après Leroux, Dubé... décidément...
Deux voix respectées du hockey québécois. Deux discours qui tombent sur la tête du même joueur. Arber Xhekaj est devenu le souffre-douleur d’un certain milieu médiatique francophone.
C'est rendu de la maltraitance médiatique.
Pendant ce temps, d’autres sont couverts d’indulgence... et d'immunité.
David Reinbacher a joué mardi. On l’a vu hésitant, brouillon par moments, visiblement en quête de confiance après une saison écourtée par une blessure au genou. Il a joué de manière horrible.
Mais les médias québécois ont sorti le coussin.
Mathias Brunet, dans La Presse, a immédiatement enfilé la cape du défenseur public. Le cinquième choix au total en 2023 doit être « protégé », dit-on.
On invoque la patience. On répète que « les défenseurs mettent plus de temps à se développer », qu’il faut comparer Reinbacher non pas à Cale Makar ou Quinn Hughes, qui se sont imposés dès 19 ans, mais à des trajectoires plus lentes comme Adam Larsson ou Thomas Harley.
Reinbacher a toutes les excuses du monde. Blessure, contexte, âge, patience, avenir. On nous dresse même une liste interminable de défenseurs qui ont percé plus tard, pour justifier qu’il ne soit pas encore prêt.
Et personne ne l’attaque. Personne ne lui reproche ses hésitations. Personne ne remet en doute sa place dans l’organisation.
Pourquoi Xhekaj, lui, n’a pas droit au même traitement?
Le deux poids, deux mesures.
C’est là que l’injustice saute aux yeux. D’un côté, Arber Xhekaj, choix non repêché, qui a forcé la main du Canadien par son travail acharné, qui a gagné son poste à la sueur de son front, qui s’est battu (au sens propre comme au figuré) pour défendre ses coéquipiers.
De l’autre, David Reinbacher, choix de première ronde protégé comme de la porcelaine, traité comme un futur Victor Hedman par défaut, même quand ses performances ne le justifient pas.
Et les médias francophones, eux, tombent encore et toujours sur Xhekaj.
Pourquoi? Parce qu’il dérange. Parce qu’il est imprévisible. Parce qu’il parle sans filtre. Parce qu’il refuse de rentrer dans le moule du hockeyeur aseptisé. Il fait du marketing, il s’associe avec des restaurants, il a une personnalité flamboyante. Et ça, certains ne le pardonnent pas.
Alors on guette la moindre erreur. Une pénalité de quatre minutes pour s’être fait justice? On l’étripe. Un match préparatoire un peu terne? On le compare à un joueur de la Ligue américaine. Pendant ce temps, Reinbacher peut multiplier les hésitations et recevoir une pluie de câlins médiatiques.
Ce qui choque encore plus, c’est la mémoire sélective. Quand Xhekaj jette les gants et change le momentum d’un match, silence radio.
Quand il marque un but dans un filet désert, clin d’œil à son père qui suit le match à distance, les médias préfèrent tourner la page.
Quand sa mère parcourt 600 km pour voir ses deux fils jouer ensemble et fond en larmes de fierté, l’angle choisi est… sa pénalité de quatre minutes.
On préfère pointer le négatif. Toujours.
Or, mardi soir, ce n’est pas seulement Florian qui a volé le spectacle. C’est toute la famille Xhekaj qui a offert une leçon d’émotion et de résilience.
Une histoire de sacrifices parentaux, de rêves devenus réalité, de deux frères réunis sous le même chandail du Canadien. Une histoire qui aurait dû être célébrée.
Mais non. À l’Antichambre, on comptait les pénalités. À Cogeco, on comparait Arber à Tobie Paquette-Bisson.
Arber Xhekaj est devenu la cible facile. Trop robuste pour plaire aux puristes qui n'aiment pas la violence, trop coloré pour les médias has been, trop populaire auprès des partisans pour être ignoré. Alors on le tape. Parce qu’on sait que ça fait réagir. Parce qu’on sait que son nom attire les clics.
Mais à force de taper sur le même clou, les médias risquent de scier la planche sous leurs propres pieds. Car les partisans ne sont pas naïfs.
Ils voient bien que le traitement est injuste. Ils voient bien que Reinbacher bénéficie d’une immunité médiatique pendant que Xhekaj est crucifié pour chaque détail.
Et tôt ou tard, ce décalage va éclater.
Et que dire de Martin St-Louis? Son rôle est ambigu. L’an passé, il a benché Xhekaj à plusieurs reprises, lui envoyant un message clair : trop de pénalités, trop de risque.
Mais cette année, il a changé son fusil d’épaule. Il répète qu’il « aime Arber », qu’il préfère « retenir un joueur agressif que pousser un joueur timide à être plus agressif ».
En façade, le coach le défend. Mais sur la glace? Les médias se font complices de cette tension autour de Xhekaj en relançant sans cesse le débat : Xhekaj mérite-t-il sa place?
Pendant ce temps…
Pendant ce temps, Reinbacher est protégé. Mathias Brunet prend la plume pour rappeler qu’il « faut être patient », que la comparaison avec d’autres top 10 est injuste, qu’il faut regarder les exceptions qui ont pris plus de temps.
Pourtant...
Drew Doughty (Kings) : régulier à 18 ans (2008), top-4 instantané, 23:50 TOI en moyenne.
Victor Hedman (Lightning) : régulier à 18 ans (2009), rôle important malgré une production modeste.
Erik Karlsson (Senators) : régulier à 19 ans (2009-2010), 26 points en 60 matchs.
Zach Werenski (Blue Jackets) : 19 ans (2016-17), 47 points dès sa saison recrue.
Miro Heiskanen (Stars) : 19 ans (2018-19), 33 points, plus de 23 minutes par match.
Cale Makar (Avalanche) : débarque en séries à 20 ans (2019), déjà défenseur #1.
Quinn Hughes (Canucks) : 19 ans (2019), 53 points à 20 ans, premier PP.
Rasmus Dahlin (Sabres) : régulier dès 18 ans (2018), 44 points en recrue.
Moritz Seider (Red Wings) : régulier à 20 ans (2021), 50 points et Calder.
Noah Dobson (Islanders) : fait ses débuts à 19 ans, mais devient régulier à 20 ans.
Seth Jones (Predators) : 19 ans (2013), 77 matchs, plus de 19 minutes/jour.
Aaron Ekblad (Panthers) : 18 ans (2014), 39 points et Calder.
Charlie McAvoy (Bruins) : 19 ans en séries (2017), régulier dès 20 ans.
Thomas Chabot (Senators) : régulier dès 20 ans (2017-18).
Jake Sanderson (Senators) : 20 ans (2022), 32 points et top-4 d’emblée.
Kaiden Guhle (16e en 2020): 20 ans, déjà 20:31 minutes de moyenne avec Montréal, opposé aux meilleurs trios adverses, établi dans le top-4. Exemple parfait local.
Alex Pietrangelo (4e en 2008): 19 ans, flirte avec la LNH: 20 ans, régulier à St-Louis, 43 points.
Jonas Brodin (10e en 2011): 19 ans, défenseur de top-4 au Wild, 23 minutes par match.
Noah Dobson (12e en 2018): 19 ans, déjà inséré chez les Islanders. À 21 ans, il explose avec 51 points.
Charlie McAvoy (14e en 2016): 19 ans, il joue les séries avec Boston. À 20 ans, 32 points en 63 matchs.
Thomas Chabot (18e en 2015): 20 ans, 25 points. Puis progression constante jusqu’à devenir un cheval de trait à Ottawa.
Josh Morrissey (13e en 2013): 20 ans, il s’impose à Winnipeg. Devenu pilier offensif aujourd’hui.
Défenseurs plus anciens (avant 2008) mais marquants
Chris Pronger (Whalers/Blues) : 19 ans (1993), régulier.
Scott Niedermayer (Devils) : régulier à 19 ans (1992), pilier défensif d’entrée de jeu.
Ray Bourque (Bruins) : régulier à 19 ans (1979), 65 points comme recrue.
Phil Housley (Sabres) : régulier à 18 ans (1982), 66 points.
Paul Coffey (Oilers) : régulier à 19 ans (1980), 89 points à 20 ans.
La fameuse idée qu’un défenseur doit attendre 22-23 ans pour s’imposer est un mythe entretenu par certains pour justifier les lenteurs ou masquer les déceptions.
Oui, il existe des exceptions (ex. Adam Larsson, Travis Sanheim, Thomas Harley, etc.) qui se sont stabilisés plus tard, mais l’élite de la LNH, ceux que chaque club rêve d’avoir, s’impose tôt.
En gros, si tu es vraiment spécial, tu es déjà dans le line-up à 18-20 ans, et tu restes. Reinbacher, à 21 ans bientôt, n’a toujours pas cette assise. Et ça, les partisans le voient bien.
Un récit protecteur, cousu de fil blanc.
La question mérite d’être posée : assiste-t-on à une véritable croisade médiatique contre Arber Xhekaj? L’acharnement de Leroux, puis de Dubé, en quelques jours à peine, laisse songeur. Quand, à chaque fois qu’il met un patin sur la glace, on cherche la faille pour l’exposer, on n’est plus dans l’analyse objective. On est dans la chasse aux sorcières.
Et ça, les partisans le sentent.
Arber Xhekaj n’est pas parfait. Il prend parfois de mauvaises pénalités. Son style de jeu est risqué. Mais il incarne quelque chose que Montréal réclame depuis toujours : de la robustesse, du caractère, du cœur. Et ça, les médias devraient le célébrer au lieu de l’enterrer.
Car au rythme où vont les choses, ce n’est pas Xhekaj qui risque d’être brisé. Ce sont les médias québécois qui risquent de perdre la confiance du public.