Sidney Crosby s’apprête à dépasser Mario Lemieux. Le fait qu'il puisse le dépasser à Montréal est tout simplement incroyable.
1722 points contre 1723. Un seul point sépare Sidney Crosby du Magnifique. Quand le joueur que tu dépasses s’appelle Lemieux, quand il t’a hébergé, guidé, protégé, quand il a été ton idole avant d’être ton mentor, l’instant cesse d’être uniquement historique. Il devient intime... et sacré...
Et à Montréal, ça prend une autre dimension.
« Mario Lemieux, c’était mon idole. Pour moi, c’est le meilleur joueur qui ait joué dans la LNH. Quand tu passes devant ça, c’est quelque chose », a lancé Martin St-Louis.
Puis cette phrase lourde de sens :
« Je ne sais pas exactement où placer Sid dans le top 5 de l'histoire de la LNH, mais si je le mets là, ça résume bien mon respect. »
Dans la bouche de St-Louis, ce n’est pas une banalité. C’est une reconnaissance d’égal à égal. Et surtout, c’est Montréal qui parle à Crosby.
Car Montréal n’a jamais cessé de lui parler.
Le Canadien était l’équipe favorite de Sidney Crosby quand il était enfant. Et quand Troy Crosby se présente au Centre Bell, chandail numéro 87 sur le dos, pendant le voyage annuel des pères, le message passe sans avoir besoin d’être formulé.
« Ce serait très spécial si ça arrivait ici. Le Canadien était l’équipe favorite de Sidney quand il était enfant, et Mario vient d’ici. C’est une situation unique. »
Unique. Le mot est faible. Parce que Troy Crosby n’est pas un simple spectateur. Ancien gardien, repêché par le Tricolore en 1984, passé par les Juniors de Montréal dans la LHJMQ, il incarne ce fil invisible entre la famille Crosby et cette ville. Il ne rêve pas seulement pour son fils. Il rêve pour une histoire complète digne d'Hollywood.
Et quand il ajoute: « Je vois tous les efforts qu’il fait chaque jour, toute l’année, les sacrifices… non, je ne suis pas surpris », il ne parle pas d’un joueur fini. Il parle d’un homme encore capable de porter une franchise.
Alors pourquoi ce rêve paraît-il soudain plus lointain ?
La réponse ne se trouve ni dans le vestiaire des Penguins ni dans la tête de Crosby. Elle se trouve dans un tableau Excel, quelque part entre la liste des blessés à long terme et une ligne à 5,5 millions $.
La transaction de Phillip Danault est venue tout changer.
Quand Kent Hughes a complété cet échange une heure avant le gel des transactions des Fêtes, il savait exactement ce qu’il faisait.
Et surtout, ce qu’il sacrifiait. Parce qu’une équipe ne peut pas dépasser le plafond salarial avec l’intention de se replacer plus tard. Tout devait être légal au moment précis de l’acquisition.
Or, quelques mois plus tôt, le Canadien croyait enfin avoir gagné une bataille salariale : la fin du recours à la LTIR après le départ du contrat de Carey Price. Cette liberté permettait d’accumuler des économies quotidiennes.
Les projections parlaient d’un coussin pouvant atteindre près de 20 millions $ à la date limite. Un coup de circuit et une rareté sur le marché. On parle d'une marge qui rendait toutes les discussions possibles, y compris les plus folles.
Danault a tout fait basculer.
Pour absorber son salaire de 5,5 millions $, le CH a dû replonger dans la LTIR, inscrire rétroactivement Kaiden Guhleet Kirby Dach, et rétrograder Jared Davidson à Laval.
Conséquence immédiate : toutes les économies quotidiennes accumulées depuis le début de la saison ont cessé d’exister dans les livres.
En échange, Montréal a obtenu la permission de dépasser le plafond de 95,5 millions $ de 6,2 millions. Sur papier, il reste environ 2,5 millions de marge. En réalité, c’est une corde raide permanente puisque Guhle, Dach et Newhook vont finir par revenir.
Oui, Hughes l’a dit : « Quand on veut, on peut. » Oui, il y aura encore de la créativité quand Guhle et Dach reviendront.
Mais le Canadien a moins de souplesse qu’avant. Kent Hughes a moins d’oxygène et surtout moins de place pour absorber un contrat majeur ou effectuer une transaction historique.
Alors, si Pittsburgh s’écroule et accepte de tourner la page, si Crosby lui-même regarde une dernière fois vers Montréal, la fenêtre est maintenant plus étroite. Pour ne pas dire complètement fermée.
C’est là que Danault devient, malgré lui, le grain de sable dans la plus belle histoire possible.
Crosby continuera de parler de son équipe avant de parler de lui.
« On veut la victoire », a-t-il répété. « Les points viendront. Je ne change rien. »
Fidèle à lui-même. Et fidèle jusqu’au bout.
Mais Montréal, de son côté, devra vivre avec cette idée cruelle : le rêve est peut-être mort... à cause de Phil Danault...
