Dans sa récente entrevue à La Presse, Kent Hughes s’est lancé dans un monologue sur l’importance de la culture, de l’esprit d’équipe, et surtout, de la solidarité salariale.
Un beau discours, plein de principes, dans lequel il cite avec passion Patrice Bergeron, Brad Marchand, Sidney Crosby, Kristopher Letang, même Tom Brady ou Shohei Ohtani, pour justifier le modèle de gestion salariale du Canadien.
Son message est émotif: les vedettes devraient accepter moins d’argent pour gagner. Et son message caché ne s’adressait à personne d’autre qu’à Lane Hutson, son joyau en devenir, qui refuse toujours de signer au prix demandé par le DG du CH.
Mais si Hughes a tenté de jouer la carte du mentor rassembleur, il semble oublier à qui il parle. L’agent de Hutson, Sean Coffey, n’est pas né de la dernière pluie.
Et ce qu’il a entendu dans cette entrevue n’est rien de moins qu’une tentative grossière de pression publique. Un exercice de communication à peine voilé, qui n’a pas du tout passé.
Kent Hughes peut bien jouer les gloires de la retenue, ceux qui l’ont côtoyé dans sa vie d’avant, comme agent de joueurs, le voient autrement.
Pendant plus de 20 ans, Hughes a été le plus redoutable négociateur du circuit, au point où certains directeurs généraux refusaient de lui parler sans avocat dans la pièce. Sa réputation : celle d’un requin parfaitement calibré pour soutirer chaque cenne de valeur à ses clients.
Qu’on se rappelle simplement les chiffres : plus de 290 millions de dollars négociés dans sa carrière, avec des clients comme Vincent Lecavalier (135 M$ engrangés en carrière alors que le plafond salarial était ridiculement bas), Kris Letang (58 M$), Patrice Bergeron (55 M$)… et surtout, l’indépassable arnaque Darnell Nurse, à 9,5 M$ par année pour 8 saisons. Ce contrat toxique, qui asphyxie toujours les Oilers d’Edmonton aujourd’hui, a été négocié par nul autre que… Kent Hughes.
Ses contrats représentaient à eux seuls une valeur totale de 290 millions de dollars.
Et encore, ce chiffre de 290 millions de dollars ne représente qu’une partie de l’équation. Il s’agit uniquement des contrats actifs au moment où Kent Hughes a quitté le métier d’agent pour devenir directeur général du Canadien.
Il n’inclut même pas les contrats de ses anciens clients retraités, comme Vincent Lecavalier, à qui il a négocié des contrats astronomiques valant 135 millions de dollars en carrière.
Si on additionne simplement les contrats actifs (290 M$) à celui de Lecavalier, on dépasse déjà les 425 millions de dollars en valeur cumulée, et on n’a toujours pas compté les dizaines d’autres ententes passées entre 1998 et 2022.
Le vrai total des contrats négociés par Kent Hughes dans sa carrière frôle sans doute le demi-milliard de dollars, ce qui en fait l’un des agents les plus influents et rentables de l’histoire de la LNH.
Alors, lorsque ce même Hughes, aujourd’hui DG du CH, vient parler de “culture salariale” et de “solidarité avec l’équipe”, il y a de quoi faire grimacer n’importe quel agent expérimenté. Encore plus lorsqu’on comprend le véritable enjeu derrière ses propos.
Hutson, 21 ans, voit sa valeur grimpre à chaque match tellement il est prodigieux. Mais voilà : Hughes souhaite éviter un effet domino. Il veut que Hutson se sacrifie comme Nick Suzuki (7,875 M$), Cole Caufield (7,85 M$) ou Juraj Slafkovsky (7,6 M$).
Problème : le plafond salarial a explosé. Kirill Kaprizov vient de signer pour 17 M$ par année, Jackson LaCombe recevra 9 M$ par année, tout comme Luke Hughes.
Alors que Lane Hutson les mange au petit déjeuner. Il mange aussi Noah Dobson au sessert, lui qui touche 9,5 M$ dès cette saison.
Alors, quand Hughes affirme à La Presse que le CH doit « rester fidèle à ses principes » et « ne pas trahir sa ligne salariale », il tente habilement de préparer le terrain médiatique. Il compare Hutson à Bergeron. Il parle d’humilité, de sacrifices. Il cite même l’exemple de Shohei Ohtani, qui diffère ses paiements pour aider les Dodgers.
L’intention est claire : il tente de culpabiliser publiquement le clan Hutson s’il demande un salaire conforme au marché.
Mais l'agent de Hutson, Sean Coffey, n'est pas né de la dernière pluie.
Car s’il y a un homme qui connaît mieux que personne la psychologie d’un agent de joueur, c’est bien Hughes. Il sait que ces messages lancés à demi-mot dans une grande entrevue ne passent pas inaperçus.
Il sait qu’un agent peut lire entre les lignes, et comprendre la stratégie : orienter l’opinion publique contre le joueur si les négos coincent. Se cacher dans le drapeau de la culture de vestiaire pour éviter d’offrir 10 ou 11 M$ à un joueur générationnel.
On parle ici d’un DG qui, en tant qu’agent, a extorqué le marché avec une régularité déconcertante. Un DG qui a maximisé jusqu’au dernier dollar pour ses clients, même quand leurs performances ne le justifiaient plus. Et aujourd’hui, il voudrait qu’on oublie tout ça, qu’on le prenne pour un modèle de sacrifice?
Et même si le Canadien veut vendre un modèle comme Panthers, où Sam Reinhart et Sam Bennett auraient accepté un “rabais”, il faut lui rappeler que la Floride... n'a pas de taxes...
Alors que le Québec mange la laine sur le dos des contribuables.
On peut comprendre Sean Coffey d'être exaspéré par la position de Hughes. Qu’il refuse de négocier tant que le CH ne reconnaîtra pas explicitement la réalité du marché. Qu’il n’est pas là pour faire des fleurs à une équipe qui, il y a six mois à peine, hésitait encore à lui donner 8,5 M$ par année.
Alors non, le DG du Canadien ne peut pas jouer à la vierge offensée quand on lui demande de payer Hutson à sa juste valeur. Il a trop bien joué le jeu pour pouvoir s’en plaindre aujourd’hui.
Si Kent Hughes veut réellement imposer une culture salariale équitable, il devra le faire autrement que par des sermons en entrevue. Il devra convaincre par le respect, par la reconnaissance du talent, et par des négociations de bonne foi.
Car Lane Hutson, lui, n’est pas un enfant. Et son agent non plus. Il a vu les manœuvres. Il connaît les méthodes. Et surtout, il sait exactement qui est Kent Hughes.
Et ça, c’est peut-être le plus grand obstacle du DG aujourd’hui : sa propre réputation. Celle du négociateur impitoyable, devenu gestionnaire "cheap".
Une transition difficile à vendre, surtout à ceux qui ont été de l’autre côté de la table.