Perte de son fils: nos pensées accompagnent José Théodore et sa famille

Perte de son fils: nos pensées accompagnent José Théodore et sa famille

Par David Garel le 2025-10-29

José Théodore n’a jamais été aussi vrai... aussi vulnérable.

Invité du balado Un genou à terre, animé par Isabelle Éthier, l’ancien gardien du Canadien de Montréal s’est livré comme rarement auparavant.

Celui qu’on a longtemps vu comme un joueur flamboyant et fier, parfois provocateur, s’est dévoilé dans toute sa fragilité. Derrière le masque, il y a un homme qui a traversé l’impensable : la perte d’un enfant.

« Le vrai test pour moi dans la vie, ça a été en 2009, quand je jouais à Washington et que mon fils est décédé à deux mois », raconte-t-il, la voix lourde, comme si le temps n’avait rien effacé.

« La saison commençait, j’étais en surpoids, je devais m’entraîner, mais je n’avais pas la tête au hockey. J’ai passé tout l’été à l’hôpital, chaque jour. »

Théodore n’était plus à Montréal à ce moment-là, mais la douleur qu’il portait a traversé les frontières. 

« Il est décédé le 14 août 2009, deux ou trois semaines avant le camp d’entraînement. Je n’avais pas la tête au hockey. Avec ma femme, on ne se parlait presque plus... C’était vraiment un moment très difficile. »

« À ce moment-là, je me suis regardé dans le miroir et je me suis dit : écoute, il faut que tu performes. J’ai un contrat envers l’équipe, je suis numéro un. Il y a du monde qui dépend de moi. Ma femme, ma fille, elles ont besoin de moi. Elles ont besoin que je sois solide », dit-il.

Il raconte comment il s’est jeté dans le travail comme s'il était en transe.

« J’allais au gym, je pratiquais du matin au soir, je restais dans le gym parce que je n’avais pas les mêmes problèmes au gym que quand j’allais ailleurs. C’était comme mon excuse pour être dans une place de paix. Je restais deux, trois heures avec les recrues sur la glace. J’ai droppé peut-être 15, 20 livres. »

Mais ce que Théodore livre surtout, c’est cette vérité brutale sur le deuil : on ne s’en remet jamais.

« Tu n’as jamais un deuil de tout ça, même aujourd’hui. Ce n’est pas que j’ai un deuil, tu apprends juste à dealer avec. Tu ne peux pas dire “ok, j’ai tourné la page”. Tu ne peux jamais tourner la page. »

C’est dans cette saison marquée par la douleur qu’il remportera le trophée Bill Masterton, remis pour la persévérance.

« C’est un trophée qui, sur papier, a moins de prestige qu’un Vézina ou un MVP, mais pour moi, il vaut plus que les deux ».

« Parce que je sais ce qu’il représente, et je sais ce que j’ai traversé pour le mériter. Je sais c’était quoi, du début à la fin », confie José Théodore, la voix qui tremble d'émotion.

À cet instant précis on comprend que ce trophée Masterton, remis pour la persévérance et la détermination, n’a jamais été pour lui une récompense sportive : c’était une reconnaissance silencieuse de son combat intérieur, celui qu’il a mené loin des projecteurs, entre l’hôpital, la douleur et la solitude.

Ce témoignage traverse le cœur. Derrière le gardien que Montréal a adulé, hué, puis oublié, il y avait un père qui essayait simplement de respirer.

Ce que peu de gens savaient, c’est que cette tragédie s’est déroulée juste avant la saison où il perdra son poste de gardien numéro un au profit de Semyon Varlamov.

En séries, ce sera justement contre le Canadien de Montréal, son équipe de cœur, son passé glorieux, que son monde s’écroulera une seconde fois, lui qui a été tassé au profit du Russe. Au final, le CH l'a emporté en 7 matchs, créant l'une des plus grosses surpries de l'histoire du hockey.

On s’est alors moqué de lui. On a ri du vétéran dépassé, sorti dès le deuxième match de la série. Personne ne savait que derrière ces images, il y avait un père en deuil, encore debout uniquement par instinct de survie.

Le public n’a vu qu’une performance fragile. Personne ne pouvait imaginer qu’il portait encore le poids d’un cercueil miniature.

Mais Théodore n’a jamais cherché l’excuse, encore moins la compassion.

« Tu sais, c’est un mauvais match… je ne veux pas le dire parce que je ne suis pas un gars qui trouve des excuses. Mais même autour, il n’y a pas de journaliste ou de coach qui va dire : “Ce n’est pas grave, pauvre gars, il a perdu son enfant, on va lui donner une autre chance.”

Malheureusement, on est dans un monde de performance. Tu n’as pas le choix. Puis moi, je ne voulais pas donner une chance à personne de dire : “Il n’est pas là mentalement, on ne peut pas le faire jouer à cause de ça.” Je ne voulais tellement pas que je mettais une pression additionnelle. »

Dans ses mots, tout est là : la dureté du sport professionnel, la solitude des athlètes, et la cruauté du silence qu’ils s’imposent.

« Finalement, j’ai été capable d’avoir une bonne saison, mais ça a été une saison extrêmement émotive, difficile, en montagne russe. » Et pourtant, il s’en est sorti.

Son salut est venu de l’amour des siens. « Avec le support de ma fille et de ma femme, qui avait peut-être six ans à l’époque, c’est vraiment elles qui m’ont supporté dans tout ça. » 

Quand on lui demande s’il a trouvé des mots, des pensées pour se ramener à la surface, Théodore répond sans détour :

« Tu ne peux pas arrêter de penser à ça. Et pour être honnête, je ne voulais pas arrêter de penser. Parce que si tu arrêtes, tu te dis : je l’oublie mon fils et je veux me rappeler de lui pour toujours. Donc, je pensais toujours à lui, mais dans le fond… c’est drôle, parce que moi, je suis meilleur quand j’ai un genou à terre. Justement, je disais : OK, tout le monde pense que c’est impossible qu’il remonte de tout ça. Je me donnais ça comme défi. Moi, je vais le montrer, je suis capable. »

Le hockey l’avait préparé à souffrir, mais pas à ça. Et pourtant, c’est en redevenant un compétiteur dans la douleur qu’il a retrouvé son équilibre.

« Je me donnais toujours des challenges. C’était comme ça à Montréal quand j’ai eu des problèmes familiaux, quand mon monde s’est fait arrêter. Beaucoup de gardiens auraient dit : je veux partir. Moi, c’était le contraire. Je disais : c’est un gros challenge, je vais le montrer à tout le monde. »

Puis il revient sur un point essentiel : la santé mentale, dont on ne parlait pas à l’époque.

« On ne parlait pas de santé mentale. À l’époque, tu vis un drame humain, ce n’est pas facile. Mais toi, tu dois performer. Les gens s’attendent à ce qu’au prix que tu es payé, tu devrais être capable. Mais excuse-moi, il n’y a pas de prix pour ton enfant », explique-t-il.

Théodore croit que les temps ont un peu changé.

« Je pense qu’on s’est amélioré, oui, mais il faut quand même garder un standard. Moi, je viens de la vieille école. Et il y a encore beaucoup de dirigeants qui le sont aussi. Ce qu’ils disent aux médias et ce qu’ils disent à l’interne, ce n’est pas toujours pareil. Il y a encore un tabou. Le joueur qui a pris deux mois pour un congé, ça se peut qu’il paie pour ça deux ans plus tard. »

Et s’il avait vécu la même chose aujourd’hui ?

« À l’époque, j’étais très privé. Je ne voulais pas aller me pavaner. Je gardais ça à l’interne. Si j’avais été en dépression, j’aurais échoué. J’aurais pas pu performer. »

Même quand il évoque les médias, c’est avec le recul d’un homme qui a vécu le poids de la célébrité sans pouvoir se défendre.

« Les journalistes avaient trop de pouvoir. Aujourd’hui, les jeunes peuvent répondre. Ils ont leurs réseaux sociaux. Moi, je n’avais qu’une entrevue de dix secondes à RDS. Maintenant, ils peuvent remettre les pendules à l’heure. Moi, j’aurais aimé ça pouvoir le faire. »

Et il raconte cette scène presque irréelle :

« Je m’étais fracturé le talon, j’étais chez nous à l’Île-des-Sœurs. Michel Villeneuve et son équipe de TQS sont allés dans les buissons avec une caméra pour me filmer, pour être sûr que j’étais vraiment à béquilles. Après, il m’a dit : “Théo, je faisais ça pour toi.” J’ai juste répondu : “OK, Mike, c’est correct.” »

L’homme qui parlait ce jour-là au micro d’Isabelle Éthier n’était pas une ancienne vedette en quête de nostalgie. C’était un père survivant qui n’a jamais cessé de se battre contre lui-même.

Quand il conclut l’entrevue, il dit :

« Ce que le sport m’a appris ? La discipline et la persévérance. Et surtout, de ne pas me soucier de ce que pensent les autres. S’il n’a pas vécu ce que j’ai vécu, son opinion, je m’en fous. »

Puis il parle de ses deux filles : « Romy et River, elles ont six et dix-neuf ans. Je suis un papa gâteau. Elles savent comment me manipuler. Je danse pour elles. »

Et cette fois, il sourit. Un sourire qui, pour la première fois depuis longtemps, ne cherche plus à cacher la douleur.

José Théodore ne cherche pas à inspirer, il cherche à raconter. Il a tout vécu : la gloire, la chute, la perte, la reconstruction. Et au bout du compte, il ne reste qu’une vérité : même les héros tombent à genoux. Mais certains, comme lui, trouvent encore la force de se relever.

Et nous sommes certains que quelque part dans le ciel, son fils doit être tellement fier de lui.