Il y a des blessures qui ne guérissent jamais. À Québec, la cicatrice du départ des Nordiques en 1995 saigne encore. Et voilà qu’aujourd’hui, une autre gifle vient d’atterrir en plein visage des partisans : les Sénateurs d’Ottawa veulent séduire, séduire sans gêne, les fans orphelins de la Vieille Capitale.
Les Sénateurs vont carrément venir planter leur drapeau au Centre Vidéotron. Deux matchs, deux dates inscrites en lettres rouges : le 28 septembre (dimanche) contre les Devils du New Jersey et le 30 (mardi) face au Canadien de Montréal. Ce n’est plus de la séduction douce, c’est une opération de charme armée.
On va remplir l’amphithéâtre payé par les contribuables québécois avec les chandails des Sénateurs, comme si Ottawa voulait montrer à Bettman et au reste de la LNH :
« Regardez, ce marché est à nous. » Pour les partisans des Nordiques, c’est une claque au visage monumentale. Pas de logo bleu poudre sur la glace, pas de fierté retrouvée… juste une organisation étrangère qui profite du vide laissé par Pierre-Karl Péladeau pour faire main basse sur un public orphelin. C’est une provocation pure et simple, une invasion déguisée en match préparatoire.
La manœuvre est claire. Michael Andlauer, nouveau propriétaire des Sens, veut élargir sa base francophone. Il croit, naïvement ou cyniquement, que Québec est un marché en attente. Qu’il suffira de brandir un chandail noir et rouge, de prononcer deux mots en français, et les nostalgiques tomberont dans ses bras.
Erreur monumentale.
Un peuple... trahi une deuxième fois...
Les partisans de Québec ne sont pas des touristes. Ce sont des survivants. Ils ont vu leur équipe être vendue à Denver, puis soulever la Coupe Stanley dès l’année suivante, en 1996.
Ils ont enduré trois décennies de promesses creuses, de rumeurs manipulées, de conférences de presse bidon. Ils ont vu Pierre Karl Péladeau se dresser en sauveur, avant de reculer au moment crucial.
Et maintenant, on voudrait qu’ils deviennent… des fans des Sénateurs?
Soyons sérieux.
Québec n’a jamais pu aimer le Canadien. Pas par mépris, mais par rivalité historique. Ce n’est pas Montréal qui brûle dans leur cœur, c’est le bleu Nordiques. Alors pourquoi, au nom du ciel, iraient-ils se rallier à Ottawa, une ville sans lien, sans racine, sans histoire avec eux?
C’est comme demander à un veuf d’oublier son épouse disparue en se mariant avec une inconnue. Ce n’est pas seulement maladroit. C’est insultant.
Andlauer se trompe de cible.
Le proprio des sens croit voir dans Québec une mine d’or francophone. Mais il se trompe d’arène. Car si les Sénateurs veulent vraiment séduire un bassin francophone, ce n’est pas à Québec qu’ils devraient frapper… mais à Gatineau.
À Gatineau, des milliers de partisans du Canadien cohabitent déjà avec l’ombre d’Ottawa. À Gatineau, il existe une vraie proximité géographique. Une rivalité tangible. Là-bas, oui, on peut travailler à convertir les cœurs. Mais à Québec? C’est un pari perdu d’avance.
Au lieu de cultiver son jardin, Andlauer s’aventure dans une terre stérile. Un terrain miné par trente ans de rancune.
Et dans cette histoire, il y a un homme qui doit se mordre les lèvres à sang : Pierre Karl Péladeau.
Il avait promis. Promis que Québec retrouverait ses Nordiques. Promis que le Centre Vidéotron serait la clé. Les contribuables ont payé près de 400 millions pour cet amphithéâtre. On leur a juré que tout était prêt.
Mais quand Gary Bettman a ouvert la porte en 2016, avec une expansion à 500 millions US, PKP a reculé. Trop cher, trop risqué, disait-il.
Résultat? Las Vegas a payé, a eu ses Golden Knights, a atteint la finale en deux ans et a gagné la Coupe en 2023. Québec, elle, est restée avec un aréna vide et un peuple humilié.
Aujourd’hui, la valeur d’une expansion est de près de 2 milliards. Le train est passé. Et PKP, qui aurait pu ramener une équipe pour « seulement » 500 millions, doit regarder Andlauer tenter de séduire « son » peuple.
Quelle claque.
Surtout que le Centre Vidéotron... est déjà désuet...
Le plus ironique dans tout ça? Même si les Sénateurs voulaient jouer à Québec, le Centre Vidéotron n’est plus adapté.
On a vendu l’amphithéâtre comme un « NHL-ready arena ». Mais dix ans plus tard, il est déjà déclassé. Pas de vestiaire NHL digne de ce nom. Des systèmes de contrôle d’accès en fin de vie. Des technologies passées date dès leur livraison.
On a promis un temple. On a livré une coquille. Et aujourd’hui, ce bijou payé par les contribuables ressemble davantage à un musée de promesses ratées qu’à un tremplin pour la LNH.
Comment, dans ces conditions, croire qu’Ottawa pourrait venir y bâtir une histoire?
Pour PKP, c’est la double humiliation. Non seulement il a raté l’occasion de 2016, mais voilà qu’Andlauer ose poser un pied dans la Vieille Capitale, comme un conquérant. Comme si Québec n’était plus qu’un territoire abandonné, disponible pour la première organisation qui veut y planter son drapeau.
On imagine la rage froide de Péladeau. Lui qui se voyait comme le gardien du rêve nordique, le héros qui ramènerait la fierté.
Aujourd’hui, il est réduit à un spectateur amer, un homme qui doit se demander chaque jour : pourquoi n’ai-je pas mis 500 millions quand j’en avais l’occasion?
Son équipe vaudrait aujourd’hui des milliards. À la place, il a un aréna vide, une chaîne sportive déficitaire, et un peuple qui ne croit plus à ses promesses.
Dans ce naufrage, un seul nom émerge comme un sauveur : Luc Poirier.
Contrairement à PKP, lui ne craint pas le risque. Il a déjà voulu acheter les Coyotes pour les ramener à Québec. Il dit ouvertement qu’il est prêt à mettre 1,5 à 2 milliards avec les bons partenaires. Et surtout, il n’a pas brûlé ses ponts avec Gary Bettman.
Luc Poirier incarne l’audace que PKP n’a jamais eue. Il est controversé, flamboyant, parfois provocateur. Mais il agit. Il ne promet pas dans le vide. Il achète, il revend, il construit.
Pour beaucoup de partisans, il est le seul qui peut encore sauver le rêve.
Et pendant ce temps, Ottawa déroule son plan. Les Sénateurs s’installent à Québec pour un camp d’entraînement. Ils multiplient les clins d’œil aux fans orphelins. Ils veulent incarner les « nouveaux Nordiques », la petite équipe francophone qui défie les grandes puissances.
Mais à Québec, ce discours sonne creux. Les gens ne veulent pas d’une pâle copie. Ils veulent leurs Nordiques. Pas les Sens. Pas une équipe de passage.
Chaque geste d’Andlauer est ressenti comme une provocation. Comme une tentative de voler non seulement un marché, mais une identité.
La vérité, c’est que Québec a été trahie. Trahie par ses politiciens qui ont vendu un mirage. Trahie par PKP qui a reculé. Et maintenant, on veut lui voler son deuil pour le transformer en base marketing.
C’est une tristesse immense. Un désespoir qui brise le coeur. Les partisans se sentent abandonnés, ridiculisés, et maintenant courtisés par une organisation qui ne comprend rien à leur douleur.
Les fans de Québec ne sont pas à vendre. Ils ne seront jamais des partisans du Canadien, mais ils ne deviendront pas pour autant des partisans des Sénateurs.
Michael Andlauer peut multiplier les clins d’œil. Il peut envoyer Spartacat habillé en bleu et blanc. Il peut promettre des matchs hors-concours. Rien n’y fera.
Québec n’attend pas Ottawa. Québec attend ses Nordiques. Et tant que ce rêve ne renaîtra pas, chaque tentative d’usurpation ne fera qu’approfondir la tristesse et rallumer la colère.
Parce qu’au fond, Québec ne veut pas d’une équipe étrangère. Québec veut son équipe. Son bleu. Son identité.
Et ça, aucun Andlauer ne pourra jamais le comprendre.