C’est une humiliation publique. Une claque en pleine figure pour un ancien champion de la Coupe Stanley. Un rejet qui fait mal, pas parce qu’il est inattendu, mais parce qu’il est limpide, brutal et presque cruel dans sa formulation.
Le Canadien de Montréal n’a pas simplement ignoré Evgeny Kuznetsov : il lui a dit non. Carrément. Froidement. Poliment, peut-être, mais avec une franchise qui laisse des marques.
Et le pire, c’est que le vétéran russe voulait vraiment venir.
Oui, Evgeny Kuznetsov voulait jouer pour le Canadien de Montréal. Oui, il a été clair, via son agent Shumi Babaev, qu’il serait prêt à s’aligner avec le Tricolore.
Oui, il a mentionné qu’il aimerait retrouver Ivan Demidov, avec qui il a formé un duo électrisant à Saint-Pétersbourg cette saison.
Mais Montréal, de son côté, a préféré répondre par une formule que tout le monde a reconnue comme un mensonge diplomatique :
« il n’y a pas de place dans notre alignement ».
Il n’y a pas de place? Sérieusement?
On parle ici d’un club qui n’a pas de centre naturel pour occuper la deuxième ligne. Kirby Dach revient d’une saison perdue. Zachary Bolduc est un projet en développement et il n'est pas un centre naturel. Christian Dvorak a été sacrifié à Philadelphie.
Le poste est vacant. On le sait. Toute la LNH le sait. Et pourtant, Kent Hughes a dit à l’agent de Kuznetsov qu’il n’y avait « pas de place ».
C’est donc que le problème est ailleurs. Le message réel et brutalement simple : Kuznetsov n’est pas le bienvenu. Même s’il supplie, même s’il baisse le prix, même s’il veut venir. Montréal ne veut pas de lui. Point.
Et si le message a été aussi clair, c’est peut-être parce qu’un autre Russe, lui, a eu son mot à dire.
Ivan Demidov.
Depuis la sélection de Demidov au 5e rang du repêchage, le CH construit son avenir autour de lui. C’est le futur de la franchise. Le joueur le plus excitant depuis Guy Lafleur, selon certains. Le joyau de l’organisation. Or, dans ce genre de contexte, on demande toujours l’avis du joyau.
Et tout porte à croire que Demidov n’a pas appuyé la venue de Kuznetsov. Pire encore : qu’il a peut-être carrément signifié à l’état-major qu’il préférait évoluer sans lui.
Pourquoi? Parce que tout, dans le parcours récent de Kuznetsov, va à l’encontre de la culture que Kent Hughes essaie d’instaurer à Montréal. Une culture de rigueur, d’effort, de constance. Une culture saine, débarrassée des distractions et des personnalités volatiles.
Kuznetsov, malheureusement, incarne tout ce que Demidov veut fuir.
Ceux qui connaissent bien Demidov savent qu’il est sérieux. Posé. Attaché à sa famille. Déterminé. Il ne boit pas, il ne s’éparpille pas. Il n’est pas de ces jeunes qui idolâtrent les flamboyants et les fêtards. Il respecte les modèles solides, les vrais pros. Et Evgeny Kuznetsov, pour tout son talent, traîne un lourd passé.
L’histoire est bien connue : des absences répétées à Washington. Un passage au programme d’aide de la LNH. Des commotions. Des conflits internes. Des humeurs changeantes. Des performances en chute libre. Et cette étiquette de joueur nonchalant, qui ne se donne pas toujours à fond.
C’est exactement le genre de coéquipier dont Demidov n’a pas besoin pour s’épanouir à Montréal.
Car l’enjeu dépasse l’aspect purement hockey. Ce que Kent Hughes semble comprendre et que son rejet de Kuznetsov illustre parfaitement, c’est que la présence d’un joueur comme Kuzy pourrait être toxique dans un vestiaire aussi jeune et influençable que celui du CH.
Montréal n’est pas une équipe de vétérans capables de gérer un poison. C’est un groupe en croissance, encore fragile émotionnellement, qui a besoin de leaders inspirants… pas de fantômes du passé.
Et pour Kuznetsov, c’est là qu'il frappe un mur : il croyait que son lien avec Demidov pouvait lui rouvrir les portes de la LNH.
Il avait visiblement misé sur cette relation pour séduire le CH. Il a vanté les qualités de Demidov à la presse. Il l’a comparé à des magiciens du jeu. Il l’a appelé « Vanya », a affirmé qu’il le considérait comme un petit frère. Il voulait jouer les mentors.
Mais Demidov, lui, n’a rien demandé.
Et à en croire les rumeurs, c’est peut-être même Demidov lui-même qui a freiné l’enthousiasme du CH.
Il faut aussi dire la vérité et ce qui s’est réellement passé à Saint-Pétersbourg. Car si Kuznetsov affirme avoir eu une belle chimie avec Demidov, la réalité sur le terrain raconte autre chose.
Dès son arrivée au SKA, Kuznetsov a adopté un comportement méprisant envers le jeune prodige du CH. Il refusait catégoriquement tout rôle de mentor. Dans une entrevue accordée à Sports Express, il a même déclaré :
« Je ne veux pas qu’il m’appelle Oncle Zhenya (le surnom que Demidov lui avait donné). Je suis une personne ouverte, mais je ne suis pas fan de donner des conseils. »
Kuznetsov ne voulait pas prendre Demidov sous son aile. Il ne voulait pas l’encadrer. Et cette attitude distante, mêlée à un comportement de vétéran en préretraite, lui qui revenait en Russie après avoir brisé son contrat avec les Hurricanes et flirté à nouveau avec ses vieux démons, a créé un malaise dans l’entourage du jeune espoir.
Demidov a vu de près ce que représentait la présence de Kuznetsov : un joueur imprévisible, à l’énergie instable, qui n’a plus rien à prouver… et surtout plus rien à transmettre.
Demidov a donc décidé de le rejeter quand le CH lui a demandé son avis s'il fallait signer le vétéran.
Car dans l’entourage du Canadien, personne ne veut revivre un autre épisode à la Patrik Laine. Personne ne veut d’un vétéran en fin de course qui demande l’attention sans livrer la marchandise.
D’ailleurs, la posture du Canadien envers Kuznetsov a de quoi intriguer.
Kent Hughes est, de l’avis général, le DG le plus actif de la ligue en ce moment. Il tente des coups. Il négocie sur plusieurs fronts.
Il cherche un centre top 6 depuis des mois. Il a regardé du côté de Cirelli, de Kyrou, de McTavish... et même de Sidney Crosby.
Il a appelé à Anaheim. Il est au téléphone en permanence. Et pourtant, quand Kuznetsov se dit prêt, disponible, abordable… il lui répond qu’il n’y a « pas de place »?
C’est une façon de lui dire : on te garde comme plan Z, si vraiment on n’a plus le choix. Mais même ce plan Z semble peu probable. Parce qu’en réalité, le CH veut construire autrement. Il veut viser haut, pas bricoler.
Et surtout, il veut envoyer un message clair à son vestiaire et à sa nouvelle étoile : ici, on protège la culture. On protège Demidov. On lui construit un environnement sain. Pas un cirque.
Ce rejet a d’ailleurs eu un effet immédiat sur la réputation de Kuznetsov. Depuis l’annonce du Canadien, son agent a tenté de sauver la face en affirmant que son client voulait jouer à Montréal, qu’il serait un bon fit, qu’il était prêt. Mais tout cela a sonné comme une supplication publique. Une gêne. Une honte.
Car on le voit bien : aucune autre équipe ne se bouscule non plus.
Le retour de Kuznetsov dans la LNH n’est plus une priorité pour personne. Il devient ce qu’il ne pensait jamais devenir : un bouche-trou potentiel. Et Montréal, en lui claquant la porte au nez, vient de lui signifier que même ce rôle-là ne lui est pas garanti.
C’est un message dur. Mais nécessaire.
Le CH a tourné une page. Il ne veut plus être le club qui répare les vétérans brisés. Il veut être celui qui bâtit l’avenir. Et Evgeny Kuznetsov n’en fait pas partie.
Le plus ironique? C’est que Kuznetsov est peut-être sincère. Peut-être qu’il voulait vraiment aider Demidov. Peut-être qu’il se voyait comme un grand frère bienveillant. Peut-être qu’il a changé. Peut-être.
Mais Montréal ne veut pas tester ce peut-être. Montréal ne veut pas prendre le risque.
Dans cette saga, Evgeny Kuznetsov a tout perdu. Son ego, sa place à Montréal, sa fierté. Celle d’un joueur qui croyait avoir une dernière carte à jouer, mais qui découvre aujourd’hui qu’on ne veut même plus de lui comme bouche-trou.
Parce que le Canadien a enfin compris que l’identité d’une équipe se forge d’abord par ceux à qui on dit non.
Et à Evgeny Kuznetsov, le CH vient de dire non. Définitivement.