Il y a des gestes symboliques qui en disent plus long que mille conférences de presse.
Le Canadien de Montréal vient d’en poser un.
Discret? Pas vraiment. Anodin? Pas du tout.
Car ce n’est pas seulement une question de peinture sur la glace : c’est un message lancé à toute une organisation, à toute une ville, à toute une époque.
Le nouveau logo au centre du Centre Bell est arrivé.
Rouge, massif, avec ce « 1909 » planté au milieu comme un rappel à l’histoire.
Et derrière ce clin d’œil aux 24 Coupes Stanley, il y a un autre détail qu’on ne peut pas ignorer : c’est la première fois que Carey Price ne fait plus partie du décor.
La première année où l’ombre du gardien ne plane plus au-dessus du vestiaire.
La première saison, depuis 2005, où l’équipe ne commence pas avec cette fameuse question : « Carey est-il en santé? Carey peut-il nous sauver? »
Non. Carey n’est plus là. Et Molson le sait. Molson l’assume.
Et c’est pour ça que ce changement, aussi « esthétique » qu’il paraisse, tombe comme une bombe.
Parce qu’au moment même où Kent Hughes s’échine à écouler le contrat de Price, au moment où les journalistes de TVA et Sportsnet se demandent qui aura le culot d’absorber son 10,5 millions de cap hit pour deux ans encore, le Canadien décide de repeindre son centre de glace. Une nouvelle glace, un nouveau cercle, un nouveau symbole.
Comme pour dire : on tourne la page.
Carey Price, c’est le paradoxe le plus cruel de l’histoire récente du CH.
Le talent pur d’un Hall of Famer, mais le destin brisé d’un homme qui a vu ses genoux lâcher au pire moment.
Entre 2014 et 2017, il aurait pu marquer l’histoire, porter le CH sur ses épaules, ramener une Coupe dans une ville en manque d’air. Au lieu de ça, il a traîné un genou en lambeaux comme une malédiction.
Le dernier grand moment? 2021, quand il a poussé le CH en finale de la Coupe Stanley à lui seul, un run magique, une anomalie statistique, un chant du cygne.
Mais on sait tous comment ça a fini : Tampa a mis fin au rêve, et Carey a disparu.
Depuis, on n’a plus revu que son contrat.
Et ce contrat, c’était un fantôme dans le vestiaire.
Chaque calcul de masse salariale partait de lui.
Chaque projet offensif devait composer avec ce 10,5 millions planté comme un mur de béton. Hughes a tenté d’écouler la pilule à San Jose, à Chicago, à Pittsburgh.
On lui demandait un choix de 2e ronde. Il a dit non.
Même un 3e, il faisait de l’urticaire.
Bref, Price devenait un fardeau administratif, plus qu’un joueur.
Et voilà que lundi, Carey a touché son dernier bonus. 5,5 millions dans ses poches.
La dernière carotte du contrat. À partir de maintenant, son deal n’est plus qu’une coquille vide : deux millions de vrai cash à payer par an, mais encore 10,5 millions qui bouffent la masse.
Autrement dit, le moment parfait pour trouver un pigeon… pardon, une équipe prête à absorber son contrat en échange d’un petit bonbon. Mais Hughes refuse de donner ce bonbon.
Pas question de sacrifier un espoir ou un choix pour acheter sa liberté.
Et pendant que les négos patinent dans la coulisse, le Canadien choisit ce moment précis pour sortir sa nouvelle glace.
Le message est limpide : Price appartient au passé.
Le futur commence ici, au milieu du Centre Bell, sur ce logo 3D clinquant qui annonce qu’on ne vit plus dans les souvenirs, mais qu’on essaie de construire autre chose.
Le problème? Comme toujours avec le CH, même un coup de peinture déclenche la controverse.
Déjà, les partisans ont remarqué un détail croustillant : avec tout ce rouge au centre de la glace, comment tu veux voir une rondelle noire?
Sur une surface blanche, la rondelle saute aux yeux.
Sur une surface rouge, elle disparaît.
Les commentaires se multiplient : « Les joueurs ne verront rien », « Les arbitres vont se planter », « On n’y verra plus clair à la télé ».
Bref, Montréal réussit encore l’exploit d’alimenter une polémique avant même la première mise au jeu.
Mais derrière le folklore visuel, il y a une vérité plus lourde : Geoff Molson a compris que son club devait briser avec son passé récent.
Le CH a vécu trop longtemps dans le culte de Carey. Carey sauve tout.
Carey sauve l’équipe. Carey efface les erreurs. Carey cache la misère.
Et le pire, c’est que ça a marché. Pendant dix ans, Price a tenu ce club à bout de bras, masquant les carences, effaçant les bourdes de Gauthier, de Bergevin, des coachs de passage.
Quand Carey allait bien, le CH survivait. Quand Carey tombait, tout s’effondrait.
Aujourd’hui, Molson ne veut plus revivre ça.
Aujourd’hui, l’équipe appartient à Suzuki, à Caufield, à Slafkovsky, à Demidov, à Dach.
Carey ne fait plus partie du tableau.
Et ce tableau, justement, on le repeint de rouge au milieu du Centre Bell.
Un clin d’œil aux 24 bannières, mais aussi une ligne de rupture. Comme pour dire : merci Carey, mais maintenant, on passe à autre chose.
Est-ce que ce sera suffisant? Pas sûr. Parce que la mémoire des partisans, elle, n’a pas changé.
Le 5 février 2012, tout le monde se souvient encore du dernier but de Scott Gomez.
Eh bien, dans la même logique, tout le monde se souviendra toujours que Carey Price n’a jamais remporté la Coupe à Montréal.
Les blessures, le sort, la malchance, appelle ça comme tu veux.
Mais l’histoire retiendra que le dernier grand gardien de la Sainte-Flanelle est parti sans couronne.
Alors oui, ce nouveau logo est beau. Oui, ça brille. Oui, ça fait moderne.
Mais la vraie question, c’est : est-ce que ça change quelque chose sur la glace?
La rondelle va-t-elle mieux rentrer dans le filet parce que le centre de la patinoire est rouge?
Est-ce que Suzuki va marquer 40 buts parce que le « 1909 » est inscrit au milieu?
Est-ce que Kent Hughes va enfin trouver son deuxième centre parce que la peinture est fraîche? On peut en douter.
Ce qui est sûr, c’est que le timing est impeccable.
Price touche son dernier bonus.
Hughes répète qu’il n’est pas obligé de l’échanger, mais qu’il aimerait bien le faire.
Les Sharks, les Hawks, les Penguins sont encore dans le décor.
Et pendant ce temps, Molson sort sa nouvelle glace.
Coïncidence? Pas vraiment. C’est un statement. Un appel au renouveau.
Reste que les partisans ne sont pas dupes. Ils savent qu’un logo ne change pas une culture.
Ils savent que le problème du CH, ce n’était pas la peinture au centre, mais bien la dépendance maladive à un seul homme.
Carey Price. Et maintenant qu’il est officiellement effacé du tableau, l’organisation n’a plus d’excuses.
Le futur appartient aux jeunes.
À Demidov, qui fait déjà saliver tout le monde.
À Dach, qui doit prouver qu’il peut rester en santé.
À Laine, qui doit montrer qu’il peut se transformer en joueur complet.
À Slafkovsky, qui doit éviter de s’endormir sur son jackpot.
C’est ça, le vrai changement de décor. Carey n’est plus là. Molson repeint le milieu de la glace comme pour s’en convaincre.
Mais la vérité, c’est que la saison qui s’en vient va dire si ce logo 3D, ce rouge tape-à-l’œil, ce clin d’œil historique, aura servi à autre chose qu’à provoquer un débat sur la visibilité de la rondelle.
Parce qu’au final, ce que les partisans veulent voir, ce n’est pas un logo flambant neuf.
Ce n’est pas un cercle rouge qui camoufle le disque.
C’est une équipe qui gagne.
Une équipe qui ne vit plus dans le passé, qui ne prie plus pour que Carey Price arrête 45 tirs pour arracher une victoire 2-1.
Le CH vient peut-être de tourner la page, mais tourner la page, ce n’est pas assez.
Il faut écrire un nouveau chapitre.
Et ça, Geoff Molson le sait très bien : la nouvelle glace n’est qu’une promesse.
C’est aux joueurs de décider si elle deviendra une renaissance ou un simple trompe-l’œil.
À suivre ...
