Il y a des chiffres qui résonnent plus fort que d'autres. Pas pour des raisons de statistiques ou de performance, mais pour ce qu'ils représentent. Le chiffre 53 est l'un de ceux-là.
Cette semaine, Patrick Lagacé a écrit un texte qui a secoué bien des gens au Québec. Il racontait avoir atteint le 19 516e jour de sa vie.
Un jour de plus que son père, décédé à l'âge de 53 ans. Il a pris le temps de calculer. 19 515 jours. C'est tout ce que la vie avait offert à son père.
Et lui, en 2025, a franchi cette ligne. Une journée de plus. Une journée qui frappe. Qui donne le vertige. Et qui donne un sens nouveau à un chiffre qu'on considère d'habitude comme banal.
Et puis, quelques jours plus tard, Noah Dobson est à Montréal. Et annonce qu'il portera le numéro 53. Pas parce que c'était libre.
Pas parce qu'il aimait le look du chiffre sur un chandail.
Mais pour rendre hommage à son grand-père, David LeBlanc, mort lui aussi à 53 ans, des suites de la sclérose en plaques.
Deux histoires. Deux hommes. Deux deuils. Même chiffre. Même choc.
Noah Dobson portait déjà le 53 dans le junior. Pas pour le style, mais pour la mémoire.
Son grand-père venait de Bathurst. C'était un gars simple, travaillant, qui aurait donné sa chemise à n'importe qui. Il a travaillé dans les mines. Il n'a jamais été une star, mais il avait le respect de tout le monde. Et c'est ce respect-là que Dobson veut garder vivant.
Quand Patrick Lagacé parle de son père, on sent une même volonté. Garder présent un homme qui a marqué sa vie, même s'il n'est plus là. C'est pas de la nostalgie, c'est pas du sentimentalisme. C'est juste une façon de dire :
« J'oublie pas. Tu fais encore partie de moi. »
Et quand Dobson enfile le chandail du Canadien avec ce 53 dans le dos, c'est exactement ça. Une promesse. Une mémoire tatouée entre les épaules.
Il y a quelque chose de troublant, presque mystique, dans le fait que ce même chiffre, 53, ait été au centre de deux récits puissants à quelques jours d'intervalle.
Comme si la vie nous rappelait, sans trop crier, que tout peut basculer rapidement. Qu'on a souvent moins de temps qu'on pense. Et que chaque jour supplémentaire est une occasion de dire merci.
Dobson est un joueur flamboyant. Mais il est aussi stable, intelligent, calme dans la vie. Un défenseur qui fait bien les choses sur la glace comme à l'extérieur.
Mais son choix de numéro, c'est tout sauf anodin. Et c'est peut-être ce genre de joueur-là que le Canadien avait besoin. Pas juste pour ses statistiques. Mais pour sa capacité à se souvenir. À porter quelque chose de plus grand que lui.
Kent Hughes a parlé de son acquisition avec fierté. Mais ce qu'il n'a pas dit, c'est que le 53 de Dobson risque de faire plus que boucher un trou à la ligne bleue. Il va créer un pont. Entre les générations. Entre les douleurs. Entre les silences.
Parce qu'en fin de compte, ce n'est pas juste un numéro. C'est une date invisible, tatouée dans le dos. Une façon de dire : « Je me rappelle. »
Et on ne pourra plus jamais regarder ce numéro sans penser à Patrick Lagacé et à son père. Sans penser à Noah Dobson et à son grand-père. Sans penser à tout ce qu'on perd. Et tout ce qu'on garde vivant, grâce à la mémoire.
Quand Patrick Lagacé a publié sa chronique intitulée Une journée de plus, des milliers de lecteurs à travers le Québec ont été frappés de plein fouet.
Ce n’était pas un texte d’opinion classique, ni une chronique sur l’actualité ou les dérives sociales. C’était un aveu brut, personnel, d’un homme qui venait de dépasser en âge son propre père, mort à 53 ans. Un chiffre qui prend maintenant une portée nationale.
À partir de ce moment, il entrait dans une zone inconnue : il vivait plus longtemps que celui qui l’avait élevé. Cette pensée, simple mais brutale, a éveillé une tempête intérieure chez lui et chez tous ceux qui l’ont lu.
Dans sa chronique, il avoue ne pas avoir su comment vivre cette journée. Il parle d’un vertige. D’un malaise. D’une nausée.
Et c’est là que tout le monde s’est senti concerné : parce qu’on a tous une date, qu’on le sache ou pas, à laquelle on dépassera ceux qui nous ont quittés trop tôt.
Et cette pensée-là, elle est universelle. Ce n’était plus l’histoire du père de Lagacé. C’était devenu l’histoire de tout le monde.
Il parle aussi de l’injustice. Il dit que la mort, la maladie, les destins brisés, c’est une loterie. Pas de logique. Pas de morale. Pas de mérite.
Et il a raison. On connaît tous un être exceptionnel parti trop vite. Un homme bon, une femme forte, un enfant prometteur. Et on ne peut jamais s’empêcher de se poser cette question-là : « Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? »
Dans son texte, Lagacé cite un survivant du cancer qui répondait toujours : « Pourquoi pas toi? » C’est froid. C’est implacable. Et c’est réel.
Ce texte-là a frappé un nerf. Parce que dans notre société obsédée par la performance, le travail, l’hyperconnexion, Lagacé nous rappelle qu’on oublie trop souvent que la simple chance d’être vivant est un privilège.
Il parle d’un moment banal, un soir de semaine, un souper tranquille avec sa blonde, sans rien d’extraordinaire. Mais ce soir-là, c’était la première fois qu’il vivait plus longtemps que son père. Et tout à coup, c’est devenu un moment sacré.
Et à la fin, Lagacé en vient à cette phrase qui résume tout :
« La vie, c’est fort. Mais l’amour, des fois, c’est encore plus fort que la mort. »
Ce genre de confession publique, on n’en lit pas souvent dans les grands médias. Pas avec autant d’honnêteté. Pas avec autant de vulnérabilité.
Et surtout, pas avec autant d’impact. Lagacé n’essaie pas de nous impressionner. Il ne cherche pas à avoir raison. Il nous invite juste à prendre une pause, à regarder nos vies, à penser à ceux qui ne sont plus là… et à ceux qu’on veut garder encore longtemps près de nous.
Et puis, arrive le lien troublant. Le choc venu d'un autre monde: Noah Dobson portera le numéro 53 pour son grand-papa. Le même chiffre. La même coupure. La même injustice. La même nécessité de mémoire. C’est presque trop fort pour être une coïncidence.
Et c’est là que la magie opère. Le 53 devient plus qu’un numéro. Il devient un symbole. Celui du temps qu’on n’a pas eu. Celui qu’on a perdu. Celui qu’on prolonge en mémoire de ceux qui n’ont pas pu continuer.
Ce que Lagacé a réussi à faire, c’est de remettre l’humanité au cœur de notre quotidien. Il a brisé le mur entre sa vie privée et notre espace public pour nous rappeler que sous nos masques de professionnels, de citoyens, de parents, de journalistes ou de joueurs de hockey, on est d’abord des enfants qui pleurent encore leurs parents. Des êtres humains qui calculent parfois les jours, non pas pour en faire plus, mais pour en vivre mieux.
Dans ce contexte, la décision de Dobson de porter le numéro 53 ne devient pas un simple choix logistique. C’est un acte d’amour. Une continuité. Une manière d’honorer un homme qui a travaillé dur toute sa vie dans les mines pour faire vivre sa famille.
Un homme que Noah admire, dont il porte l’héritage. Et en faisant ça à Montréal, devant le Québec au complet, il fait aussi écho à Lagacé. Il devient, sans le savoir, une extension du texte.
Bienvenue à Montréal, Noah. Et merci pour le rappel Monsieur Lagacé. Chaque jour de plus, c'est un privilège.