Transaction Montréal-Chicago-Colorado: Kent Hughes gagne la loterie

Transaction Montréal-Chicago-Colorado: Kent Hughes gagne la loterie

Par Nicolas Pérusse le 2025-11-09

Parfois, les plus beaux coups d’un directeur général ne se font pas sur le coup d’éclat d’un échange flamboyant, mais dans la patience obstinée d’un pari que tout le monde croit perdu.

Kent Hughes, au fil de deux transactions tellement critiqués, a vu son audace se transformer en triomphe. En ramenant Kirby Dach et Alex Newhook à Montréal, il a transformé deux retraits sur trois prises en véritables coups de circuit.

Ce que l’on qualifiait d’erreurs de jeunesse, d’actes de favoritisme (Newhook était son ancien client) ou de décisions émotives s’impose aujourd’hui comme la preuve éclatante que le Canadien, sous son règne, n’avance pas à l’aveugle.

Revenons au cas de Kirby Dach, car c’est par lui que la réhabilitation de Hughes commence. L’été 2022 avait été brutal pour le jeune directeur général, moins d'un an dans ses fonctions.

Lorsqu’il a cédé Alexander Romanov aux Islanders pour le 13e choix au total et a ensuite converti cet actif en Kirby Dach, la majorité des observateurs y ont vu un risque insensé.

Dach sortait d’une saison confuse à Chicago, plombée par les blessures, sans véritable progression. Et pour faire bonne mesure, les Blackhawks ont utilisé le choix obtenu de Montréal pour repêcher Frank Nazar, décrit alors comme un diamant brut.

Nazar, disait-on, allait devenir le centre que Hughes aurait dû conserver pour lui-même.

Et bien le jeune Américain est devenu le prodige qu'on attendait. Mais voilà que l'attaquant des Hawks a été blanchi à ses 4 derniers matchs avant de se blesser.

Cinq matchs sans le moindre point. Aucun impact tangible dans une équipe en perdition. Pendant ce temps, Kirby Dach, dans l’uniforme du CH, retrouve la forme et la flamboyance qu’on lui prédisait à 18 ans.

Cinq buts et deux passes en douze rencontres, une présence physique rassurante et, surtout, une confiance retrouvée. On le sent désormais à l’aise, puissant sur ses appuis, dominant sur la rondelle, lucide dans ses décisions.

L’échantillon reste court, mais la tendance, elle, est claire : Kirby Dach est redevenu ce que les recruteurs de 2019 voyaient en lui, un centre de puissance au hockey IQ rare, capable d’imposer son tempo.

Sa déclaration après la victoire de samedi, « Je veux juste marquer », résume bien ce renversement : ce n’est plus un joueur qui cherche à plaire, c’est un joueur qui s’affirme.

Ses coéquipiers le sentent. Cole Caufield l’a dit sans détour :

« On ne peut pas comprendre ce qu’il a traversé, mais c’est le joueur qu’on attendait. »

Même Martin St-Louis, qui choisit toujours ses mots, a parlé de la meilleure version de Dach depuis son arrivée : un joueur enfin aligné entre ses intentions et ses gestes, qui travaille avec humilité et récolte les fruits de ses efforts.

Hughes, en l’acquérant, avait vu juste. Il a misé sur la psychologie, sur la persévérance plus que sur la statistique.

Et voilà que la même logique s’applique au cas d’Alex Newhook. Quand Hughes a fait venir l’ancien de l’Avalanche en juin 2023 contre les choix 31 et 37, les critiques ont fusé avec la même virulence.

« Il a payé trop cher », disaient les uns.

« Encore un de ses anciens clients », se moquaient les autres. Le parallèle avec les bourdes de Marc Bergevin, Andrew Shaw en tête, revenait sans cesse. (Shaw a été échangé pour deux choix de 2e ronde qui allaient devenir Alex DeBrincat et Sam girard)

 Pourtant, Hughes ne cherchait pas un joueur de soutien : il cherchait un jeune talent "pogné" dans un alignement trop riche, un joueur qu’un entraîneur créatif comme St-Louis pouvait libérer.

Et aujourd’hui, c’est exactement ce qu’on voit. Newhook, 24 ans, vit sa métamorphose. Cinq points à ses cinq derniers matchs, douze points en quinze rencontres, et surtout une confiance évidente.

Surtout, il réfléchit sur la glace. L’expression assassine « des jambes trop rapides pour le cerveau » – s’est effondrée sous le poids de la réalité. Newhook est désormais un joueur complet, un patineur intelligent, capable de relancer le jeu tout en assurant les replis défensifs.

Ce qui rend ce dossier fascinant, c’est que le Colorado croyait savoir ce qu’il avait. L’Avalanche, championne en 2022, n’avait plus de marge salariale ni de minutes de jeu à offrir à un jeune encore en apprentissage. Montréal, au contraire, cherchait des joueurs à polir comme des diamants.

Hughes a profité du déséquilibre : il a offert deux choix qui, rétrospectivement, n’ont rien donné. Mikhail Gulyayev patine encore dans l’ombre de la KHL, et Ethan Gauthier reste un espoir de bas de tableau. Newhook, lui, joue au Centre Bell, dans le top six, et incarne ce qu’on appelle une transaction de croissance : le pari sur le développement plutôt que les résultats immédiats.

Hughes a donc réussi là où Bergevin s’était égaré. Plutôt que de payer pour du vécu, il a payé pour du potentiel à révéler.

Pendant des mois, on l’a accusé d’être trop prudent, trop calculateur, trop attaché à son carnet d’agents. Mais Dach et Newhook prouvent le contraire : Hughes est audacieux, mais sur un temps long.

Son audace n’est pas celle du coup d’éclat sur-le-champ, mais celle du pari sur l’intelligence émotionnelle. Il comprend que dans un marché comme Montréal, un joueur doit d’abord sentir qu"on croit en lui pour pour pouvoir grandir. Et dans les deux cas, cette croyance a fait des miracles.

Le résultat, c’est que deux transactions que l’on croyait désastreuses ont fini par redéfinir la reconstruction du CH. Dach, l’éternel blessé de Chicago, redevient le centre de puissance qui manquait. Newhook, l’oublié de l’Avalanche, s’impose comme une pièce polyvalente, capable de dynamiser n’importe quel trio.

Ensemble, ils incarnent la revanche silencieuse de Kent Hughes. Deux joueurs moqués, deux paris incompris, deux validations éclatantes.

Leur succès simultané ne doit rien au hasard. Tous deux ont bénéficié d’un environnement où l’erreur n’est plus punie, mais analysée pour s'améliorer.

Martin St-Louis a bâti un système qui récompense la prise d’initiative. Pour des joueurs longtemps figés par la peur de mal faire, c’est une libération.

Dach et Newhook sont devenus, en quelque sorte, les prototypes du Canadien version Hughes-St-Louis : rapides, intelligents, imparfaits mais en évolution constante.

Et pendant que les Frank Nazar vont connaître les hauts et les bas d'un prodige, Montréal regarde vers l’avenir avec un top six en pleine ascension.

Pour la première fois depuis longtemps, le CH ne cherche plus à acheter la solution ailleurs : il la cultive. Les critiques de 2022 et 2023, qui réclamaient un « vrai deuxième centre » ou un « gros nom offensif », voient maintenant que la patience paie.

Hughes n’a pas choisi la voie des transactions à court terme ; il a bâti une fondation. Et ces fondations-là, lorsqu’elles prennent, durent.

Aujourd’hui, le Canadien n’a peut-être pas encore retrouvé la gloire, mais il possède enfin deux jeunes piliers qui jouent comme des choix de premier tour.

Deux joueurs que personne ne voulait plus, qui sont devenus la preuve vivante que la reconstruction de Montréal repose sur la vision plutôt que sur le hasard.

Dach et Newhook... deux coups de circuit signés Kent Hughes, dans une LNH où la plupart des dirigeants frappent dans le vide.