Le ciel tombe sur la tête de Félix Séguin

Le ciel tombe sur la tête de Félix Séguin

Par David Garel le 2025-10-29

Dans cent jours, les yeux du monde entier se tourneront vers l’Italie. Les Jeux olympiques d’hiver de Milano-Cortina 2026 s’annoncent grandioses, mais au Québec, l’annonce de la couverture officielle de Radio-Canada a provoqué un tremblement médiatique sans précédent.

Car derrière le communiqués triomphant de la société d'État, un silence douloureux s’est installé : celui de Félix Séguin.

Radio-Canada a dévoilé sa formation de rêve pour le hockey. Pierre Houde décrira les matchs masculins, Marc Denis l’épaulera à l’analyse, tandis que Danièle Sauvageau et Denis Gauthier commenteront sur place.

Autour d’eux, l'équipe de Radio-Canada: Guillaume Dumas, Alexandre Coupal, Martin Leclerc, Marc-Antoine Godin, Alexandre Gascon et Christine Roger animeront la couverture quotidienne.

Une équipe riche, complète, composée de visages familiers, mais un nom brille par son absence.

Félix Séguin.

L’homme qui, depuis dix ans, incarne la voix du Canadien à TVA Sports. L’homme qui, dans toutes ses entrevues, a répété que décrire le hockey olympique faisait partie des derniers rêves qu’il n’avait pas encore réalisés. L’homme qui, aujourd’hui, découvre que ce rêve lui a glissé entre les doigts.

Le rêve d’un enfant, brisé à 45 ans.

Pour Félix Séguin, les Jeux olympiques n’étaient pas un caprice médiatique. C’était l’accomplissement ultime d’un parcours construit à la sueur du front.

De ses débuts en Abitibi à la description de la LHJMQ, jusqu’à son passage remarqué à RDS, il avait bâti sa carrière sur une promesse d’enfant : un jour, il raconterait au monde entier un match où le Canada jouerait pour l’or.

Et voilà que cette chance, à 45 ans, lui échappe. Pire : elle revient à Pierre Houde, celui qu’il l'a toujours battu dans le coeur du public, et dont la voix continue d’incarner le hockey pour des millions de Québécois.

C’est comme si la vie fermait la boucle. mais pas dans le sens qu’il aurait espéré.

Pour Séguin, c’est une blessure professionnelle, mais aussi une atteinte personnelle. Lui qui a déjà avoué ne pas dormir certaines nuits après une erreur en ondes, comment encaissera-t-il le coup d’être complètement écarté du plus grand événement sportif de la planète ?

Ce revers dépasse le cas individuel. C’est tout TVA Sports qui se voit ignoré. La société d’État, pour bâtir son équipe olympique, est allée puiser… dans le bassin de RDS.

Pas un seul visage de TVA. Pas un seul nom...

Le message est cinglant : TVA Sports n’existe plus dans le paysage crédible du sport national.

Pendant des années, Québecor a rêvé d’un réseau capable de rivaliser avec RDS. En 2014, la chaîne promettait une révolution. Mais onze ans plus tard, c’est un constat d’échec.

Les cotes d’écoute du Canadien s’effondrent, le public décroche, et même Radio-Canada, qui aurait pu tendre la main à un collègue francophone, choisit de s’en remettre aux vétérans de Bell Média.

Cette décision, au-delà du choix de Pierre Houde, traduit une réalité que TVA Sports tente de masquer depuis des mois : le réseau est sur le respirateur artificiel.

Si l’État ne croit plus à leur expertise pour couvrir le hockey olympique, alors que reste-t-il ?

Pour Félix Séguin, cette exclusion olympique est plus qu’un échec : c’est une humiliation publique.

Depuis qu’il a quitté RDS pour TVA, il traîne un fardeau invisible: celui de la comparaison.

Chaque samedi, sa voix est disséquée, ses intonations ridiculisées, ses erreurs amplifiées.

Sur les réseaux sociaux, qu’il a quittés il y a longtemps, les moqueries persistent encore.

« En étant plus dans l’ombre, tu reçois moins de chaleur », disait-il un jour. Mais le feu ne s’est jamais éteint. Et voilà qu’au moment où la plus belle vitrine de sa carrière se dresse, on ne l’invite même pas à la fenêtre.

C’est un choc terrible pour un homme qui vit encore ce métier comme un athlète vit son sport : avec discipline, préparation et passion.

« Pour faire 1500 matchs, il faut que tu t’investisses », confiait-il récemment.

Il s’investit, il persévère, il s’acharne... mais il n’est plus écouté.

Il y a dans cette histoire une cruauté qui donne froid dans le dos.

Car celui qui a été choisi, c’est Pierre Houde.

L’homme dont la simple voix évoque pour des millions de Québécois les plus grands moments de sport.

L’homme que Félix Séguin a grandi en écoutant.

L’homme qu’il n’a jamais cessé d’admirer.

Lorsqu’il a été nommé descripteur du Canadien à TVA, en 2014, tout le Québec voyait en lui le successeur naturel de Houde.

Mais il ne l’a jamais remplacé. Et quand il a modifié son "Et compte!" pour "Et le but" afin d'imiter son idole et rival, le public ne lui a jamais pardonné.

Chaque phrase de Séguin résonnait comme une version nerveuse de celle d’Houde.

Chaque mot devenait une tentative d’atteindre cette perfection tranquille que personne ne maîtrise mieux que lui.

Et maintenant, c’est ce même Houde qui vivra le rêve olympique que Séguin nourrissait depuis vingt ans.

Le coup est dur, presque symbolique... pratiquement olympique...

Comme si le destin voulait rappeler à Séguin qu’il restera toujours « le deuxième ».

Cette annonce met aussi en lumière la lente agonie de TVA Sports.

Le réseau de Québecor a tout perdu : la LNH s’en va, la rentabilité n’est plus qu’un souvenir, et la crédibilité est au fond du trou.

Dans les coulisses, tout le monde sait que Pierre Karl Péladeau tente désespérément de grappiller quelques matchs du Canadien dans la portion francophone du nouveau contrat de Sportsnet, alors que les droits exclusifs de TVA Sports se terminent à l'été 2026.

C’est devenu une question d’ego et de survie à la fois. RDS a déjà obtenu ses 45 matchs, Amazon Prime et Crave négocient leurs matchs et TVA Sports se retrouve à mendier une poignée de soirs de hockey pour exister.

Le public, lui, a parlé. Chaque samedi, quand le Canadien joue sur TVA Sports, des milliers de Québécois changent de chaîne pour écouter le hockey en anglais.

C’est un désaveu massif, un verdict populaire que Péladeau refuse d’entendre. Il s’accroche à sa chaîne comme à une bouée, mais le courant médiatique est trop fort. Et au milieu de ce naufrage silencieux, Félix Séguin reste au micro, conscient que son avenir dépend d’un patron qui refuse de voir que le navire prend l’eau.

Les Jeux olympiques auraient pu offrir une planche de salut, une façon de redonner une raison d’exister à ses équipes.

Mais Radio-Canada n’a pas voulu tendre la main.

En écartant TVA, le diffuseur public confirme ce que tout le monde chuchote : la chaîne ne passera peut-être pas 2026-2027.

Et au milieu de tout cela, Félix Séguin demeure la figure la plus exposée, la plus vulnérable.

Il a beau dire qu’il ne ressent pas le poids des critiques, qu’il vit bien loin de tout cela avec sa famille, il sait que sa voix symbolise désormais l’échec d’un rêve collectif... celui de TVA Sports.

Dans sa dernière grande entrevue, Séguin évoquait encore son admiration pour Richard Garneau, ce géant de la télévision qui lui avait appris l’humilité et la rigueur.

Aujourd’hui, on imagine la même humilité teintée d’une tristesse profonde.

Parce qu’il sait que son nom n’apparaîtra pas sur la feuille des Jeux de Milan.

Parce qu’il sait que la flamme olympique s’allumera sans lui. 

Il va avoir le coeur brisé à décrire un banal match de saison entre Montréal et Nashville, après que le reste du pays vibrait au rythme des Jeux.

C’est triste.

C’est injuste.

Mais c’est la réalité d’un système médiatique qui ne pardonne pas.

Cette annonce n’est pas seulement un revers individuel.

Elle marque peut-être la fin d’une époque.

Celle où TVA Sports croyait pouvoir rivaliser avec RDS.

Celle où Félix Séguin croyait pouvoir devenir la voix de tout un peuple.

Aujourd’hui, l’un comme l’autre sont confrontés au même verdict : le public a choisi.

Radio-Canada a choisi Pierre Houde.

Les auditeurs ont choisi RDS.

Et le Québec sportif, sans le dire, a tourné la page sur TVA Sports.

Le ciel vient de tomber sur la tête de Félix Séguin et, avec lui, sur celle de tout un réseau qui aura cru trop longtemps qu’il suffisait d’acheter les droits pour gagner le cœur du public.