Il y a des images qui frappent et qui rappellent à quel point la violence est ancrée dans l’ADN du hockey, même loin des projecteurs de la LNH.
Au Québec, un simple match de dek hockey a récemment viré au cauchemar : coup de bâton en plein visage, commotion cérébrale, arcade sourcilière éclatée, fracture de la mâchoire, et même une reconstitution faciale pour une victime.
Ce n’était pas une bagarre de ruelle ni une altercation de bar, mais bien un match amateur, un soir de semaine, où des adultes étaient venus « pour le fun ».
Les journaux ont relayé ces histoires glaçantes, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg.
Les listes de suspensions dans les ligues de dek hockey au Québec sont remplies de termes qui font frémir : étranglements, menaces de mort, coups de pied à la tête, agressions contre des arbitres.
Des gestes de rage pure qui transforment un sport convivial en véritable champ de bataille.
La question est incontournable : pourquoi des adultes ordinaires, parfois respectés dans leur vie professionnelle, basculent-ils dans cette quatrième dimension de violence dès qu’ils enfilent un chandail et prennent un bâton?
La littérature scientifique offre des pistes fascinantes.
Les chercheurs en psychologie sportive parlent d’une déconnexion morale et sociale qui s’installe dans des contextes compétitifs.
Comme la rage au volant, la compétition agit comme un catalyseur de l’impulsivité.
Les athlètes amateurs, même sans enjeu réel, peuvent perdre leurs repères.
Ils se permettent des gestes qu’ils jugeraient impensables dans leur quotidien, parce qu’ils entrent dans ce que certains appellent « l’illusion de l’arène ».
Ils deviennent des gladiateurs modernes : le comptable du coin, le médecin de famille ou l’enseignant du secondaire se transforment en justiciers prêts à casser des mâchoires pour défendre leur honneur ou celui de leur équipe.
Le hockey, plus que tout autre sport, nourrit cette dérive.
Contrairement au volleyball ou au tennis, où les adversaires sont séparés et les interactions physiques inexistantes, le hockey repose sur le contact constant, l’affrontement direct, et une armure complète : bâtons, casques, gants, épaulières.
On s’équipe pour la guerre. La culture même du hockey encourage la défense des coéquipiers, la riposte aux coups, la vengeance face à l’intimidation.
Quand ces codes descendent dans les ligues de garage ou de dek hockey, où les joueurs sont souvent moins habiles et moins encadrés, le mélange devient explosif.
La maladresse technique est souvent compensée par l’agressivité et l’intimidation.
Les comparatifs avec d’autres sports amateurs sont frappants.
Le basketball et le soccer connaissent leur lot de tensions verbales et de fautes dures, mais les agressions physiques graves y sont beaucoup plus rares.
Dans le football américain ou le rugby, le contact est inhérent, mais le cadre disciplinaire est strict et la culture de protection des joueurs est omniprésente.
Le hockey, lui, tolère ... et parfois glorifie ... la revanche et l’intimidation comme faisant partie du spectacle.
Et la psychologie sociale nous apprend que cette glorification se transpose rapidement dans l’imaginaire des joueurs amateurs, qui veulent imiter ce qu’ils voient chez leurs idoles.
Arber Xhekaj incarne malgré lui cette réalité.
Défenseur du Canadien de Montréal, il est devenu le visage de cette violence « codifiée ».
Sa carrière repose en partie sur sa capacité à protéger ses coéquipiers, à imposer le respect par ses poings, à endosser le rôle de shérif.
Derrière ses combats se cache l’histoire touchante d’une famille réfugiée qui a trouvé dans le hockey une voie de salut.
Xhekaj et son frère ont offert à leur famille un espoir et une stabilité financière.
Mais pour survivre dans la LNH, Arber a dû accepter un rôle où la violence est non seulement tolérée, mais attendue.
Chaque combat qu’il livre au Centre Bell est acclamé par la foule, mais dans un autre contexte, ces mêmes gestes mèneraient devant les tribunaux.
La recherche met également en lumière les facteurs personnels qui amplifient les comportements violents : un faible niveau de satisfaction professionnelle, un quotidien frustrant, ou encore un sentiment d’échec social.
Le sport devient alors un exutoire, parfois destructeur.
Contrairement à ce que certains croient, la violence n’est pas réservée aux milieux défavorisés.
Des avocats, des enseignants et même des médecins ont déjà été suspendus pour des gestes inacceptables dans des ligues de dek hockey.
La compétition agit comme un miroir de l’ego : perdre, c’est perdre la face.
Les études démontrent également que le hockey est le sport amateur au Québec qui enregistre le plus d’agressions physiques graves par rapport à sa population de joueurs.
Le soccer et le basketball sont loin derrière, et dans des sports à espaces distincts comme le tennis, le badminton ou le volleyball, ces incidents sont presque inexistants.
Les chercheurs expliquent que le facteur de contact et l’anonymat relatif du jeu en équipe multiplient les risques de comportements impulsifs.
Quand on est protégé par un casque et des épaulières, on se sent invincible.
Et c’est là que la LNH, malgré elle, influence la base.
Quand des jeunes voient Arber Xhekaj jeter les gants et recevoir une ovation, ils intègrent que se battre est « normal » dans le hockey.
Dans les ligues de garage, cette normalisation mène parfois à des drames.
Un coup de poing mal placé, un bâton qui lève un peu trop haut, et une vie peut basculer.
Les histoires récentes de joueurs défigurés, de mâchoires fracturées et d’arbitres blessés devraient servir d’alarme collective.
Il faut donc poser la question : où est la ligne entre la tradition et la barbarie?
Le hockey est un sport magnifique, mais il porte en lui une part sombre qu’on refuse trop souvent de regarder en face.
Les ligues amateurs font ce qu’elles peuvent pour sanctionner, suspendre et sensibiliser.
Mais tant que la culture globale du hockey valorisera la violence comme un outil légitime, les incidents continueront de surgir.
Arber Xhekaj est à la fois un héros et un symbole d’un système qui marche sur cette ligne fragile entre spectacle et tragédie.
L’explosion de rage et de violence lors de ce match amateur est un miroir tendu à notre société sportive.
Si nous ne faisons rien, si nous continuons à applaudir d’une main et à condamner de l’autre, le prochain drame est inévitable.
Le hockey québécois doit décider quel visage il veut montrer : celui d’un sport de passion et de talent… ou celui d’un bain de sang qui finit dans les pages des faits divers.
Misère...