Ça chauffe en Europe.
Filip Eriksson, un nom qui ne disait rien à personne au moment du repêchage 2023, est en train de devenir une obsession pour les partisans du Canadien.
Choix de sixième ronde, 165e au total, ce centre suédois de 20 ans multiplie les performances qui forcent l’attention.
Et à Montréal, dans une organisation qui a vu défiler trop de joueurs de soutien sans jamais trouver ses vedettes, on commence à se dire que le vent a tourné.
Car oui, les vedettes sont là. Slafkovsky, Suzuki, Caufield, Demidov. Le Canadien n’a jamais eu autant de talent offensif dans ses rangs depuis deux décennies. Mais pour compléter ce noyau, il faut autre chose. Des joueurs capables de tuer des pénalités, de bloquer des tirs, de gagner les mises en jeu cruciales.
Des gars capables de tenir l’équipe à flot quand les gros canons ne marquent pas. Et c’est exactement là que le nom d’Eriksson devient fascinant.
On connaît l’histoire récente : David Savard, ce guerrier qui s’imposait devant les tirs et qui imposait le respect dans sa zone, n’est plus là. Christian Dvorak, malgré toutes ses limites, était un spécialiste reconnu des mises en jeu, un gaucher qui avait sa mission dans les fins de match et les désavantages numériques. Même Joel Armia, souvent critiqué, avait fini par trouver un rôle défensif précieux, capable d’éteindre l’adversaire dans les moments serrés.
Ces rôles spécifiques ont disparu avec leur départ. Le Canadien regarde maintenant dans sa banque d’espoirs : qui peut combler ces trous? Qui peut devenir le prochain soldat invisible, celui qui fait gagner deux points en novembre qui te permettent de respirer en avril?
Et c’est là qu’Eriksson entre en scène.
Il est arrivé avec l’étiquette d’un joueur offensif, rapide, créatif, avec des mains qui faisaient lever les foules dans les ligues juniors suédoises. Mais contrairement à Armia, qui n’a jamais réussi à devenir la menace offensive qu’on espérait, Eriksson est en train de bâtir une carrière où la polyvalence prime.
Il a marqué un tour du chapeau en début de saison en SHL, preuve qu’il est encore capable d’exploser offensivement. Mais ses entraîneurs l’utilisent aussi dans des missions défensives, dans des moments critiques, là où on envoie normalement des vétérans endurcis.
À 20 ans, il se forge déjà une réputation de joueur de mission.
Et ce n’est pas seulement les recruteurs qui le disent. Frédéric Allard, son coéquipier en Europe, n’a pas hésité à s’enflammer quand on lui a demandé son avis. « Eriksson est l'un des meilleur joueur de l’équipe en ce moment. Il est rapide, intense, son coup de patin est incroyable, il fonce au filet, il a un bon tir et il est capable de trouver ses coéquipiers en avantage numérique. Pour moi, il y a de très bonnes chances qu’il signe pro à la fin de l’année s’il continue comme ça. »
Quand un joueur québécois, qui vit la réalité de la SHL au quotidien, dit ça… ça prend une autre dimension pour les partisans du Canadien.
Et ce n’est pas comme si Eriksson évoluait dans l’ombre. À Luleå, une équipe championne de la SHL, il joue aux côtés de vétérans ayant goûté à la LNH. Et malgré la hiérarchie, malgré les noms établis, plusieurs observateurs s’entendent pour dire qu’il a été le joueur le plus marquant de son équipe depuis le début de la saison.
C’est un signe clair : Eriksson ne se contente pas de suivre le rythme, il impose le sien.
C’est exactement le genre de profil que Martin St-Louis adore. On se souvient comment il a transformé Josh Anderson en joueur plus complet. Comment il a trouvé une chaise à Jake Evans, en le propulsant comme spécialiste des missions ingrates.
Eriksson est taillé pour ce genre de développement. Un joueur qu’on ne verra peut-être jamais sur le premier trio, mais qui pourrait devenir essentiel dans les séries.
Parce que ce sont ces gars-là qui te font gagner. Le troisième trio qui marque un but inattendu quand les vedettes sont éteintes. Le joueur de soutien qui réussit l’interception qui mène au but victorieux. L’attaquant qu’on envoie dans les dernières minutes avec un but d’avance, et qui réussit à écouler trente secondes de plus, assez pour faire taire l’adversaire.
Eriksson a déjà montré qu’il pouvait être ce joueur.
Et ce n’est pas un hasard. Les recruteurs le décrivent comme un transporteur de rondelle, rapide, agressif dans les transitions. Il n’a pas le physique imposant d’Armia, mais il compense par sa lecture du jeu et par son implication constante.
Il a déjà porté le “C” très jeune dans une ligue d’hommes, un signe qu’il inspire confiance. Aujourd’hui, il transpose cette maturité dans une équipe championne, en se mesurant quotidiennement à des joueurs qui ont vu la LNH.
Il y a quelques années, ce genre de joueur n’aurait peut-être même pas retenu l’attention. Parce que le Canadien se cherchait désespérément une vedette.
On espérait que chaque choix tardif devienne le prochain miracle offensif. Résultat : une succession de carrières incomplètes, des joueurs qui ont fini par flotter entre la LNH et la Ligue américaine sans jamais s’imposer.
Aujourd’hui, le contexte est différent. Les vedettes sont là. Ce qu’il faut, ce sont des Eriksson.
La comparaison avec Armia est inévitable. Armia avait tout pour s’imposer offensivement : gabarit, talent, mains rapides. Mais il n’a jamais réussi à assumer les attentes. Il a survécu grâce à son jeu défensif, devenant un joueur de mission plus qu’un marqueur.
Eriksson, lui, pourrait réussir le pari inverse : conserver un impact offensif tout en assumant un rôle défensif. Si tel est le cas, il aura une valeur immense dans un alignement où chaque détail compte.
Et quand on regarde la trajectoire du Canadien, c’est exactement ce dont il a besoin. Dans les dernières saisons, combien de fois l’équipe a-t-elle perdu un match d’un but parce qu’elle n’avait pas un joueur capable de gagner une mise en jeu clé? Combien de fois un désavantage numérique mal géré a-t-il coûté deux points?
Eriksson incarne la réponse à ces failles. Un joueur capable de combler les trous laissés par les Savard, Dvorak et Armia, mais avec l’énergie et l’ambition d’un jeune qui veut s’imposer.
Bien sûr, rien n’est garanti. Les scouts eux-mêmes le disent : Eriksson est encore un projet. Il a été repêché comme un pari à long terme, et personne ne serait surpris s’il n’atteint pas les pronostics.
Mais il y a une différence entre un espoir ordinaire et un espoir qui répond déjà à un besoin criant dans l’organisation. Et ça, c’est ce qui fait de lui un nom qu’il faudra retenir.
Le Canadien de Montréal est en train de bâtir une nouvelle identité. Fini l’époque où on empilait les joueurs de soutien en espérant qu’un miracle survienne.
Aujourd’hui, on a un noyau de vedettes. Mais pour que ce noyau gagne, il faudra des soldats. Des joueurs de rôle capables d’assumer les missions ingrates, mais aussi d’éclater offensivement quand la situation l’exige. Eriksson s’inscrit parfaitement dans cette logique.
Peut-être qu’il ne sera jamais une vedette. Mais il pourrait devenir bien plus qu’un figurant.
Dans quelques années, quand le Canadien se battra pour une place en séries et qu’un troisième trio marquera le but qui change tout, on se souviendra peut-être que tout a commencé par un choix de sixième ronde, oublié de tous, qui avait décidé de se réinventer.
Et ce jour-là, Filip Eriksson ne sera plus une surprise.
Il sera devenu indispensable.