Depuis le début de l'été, le nom de Sidney Crosby revient avec insistance dans les discussions entourant le Canadien de Montréal.
Et si le légendaire capitaine des Penguins quittait enfin Pittsburgh pour clore sa carrière là où tout a commencé dans son cœur d’enfant?
L’idée est belle, presque poétique. Mais derrière cette image parfaite se cache une réalité bien plus complexe, bien plus délicate. Une réalité que peu osent aborder de front : le malaise silencieux de Nick Suzuki.
C’est Réjean Tremblay qui, le premier, a levé le voile sur cette zone d’ombre. Dans un article publié sur Punching Grace, le vétéran journaliste a posé la bonne question, celle qui dérange : comment Nick Suzuki vivrait-il l’arrivée d’un monument vivant comme Sidney Crosby dans son vestiaire?
Car ne nous méprenons pas : il s’agit bel et bien du vestiaire de Nick Suzuki. Depuis plusieurs saisons, le Canadien s’est construit autour de lui.
De son calme, de sa discipline, de son professionnalisme. On l’a nommé capitaine. On lui a confié les clés du projet Hughes-Gorton. On a instauré une structure salariale autour de lui, refusant de dépasser son contrat annuel de 7,875 M$ (jusqu'au contrat de Noah Dobson), une décision symbolique qui a solidifié sa position comme pilier incontestable de l’organisation. Même Caufield a accepté de gagner moins.
L’arrivée de Sidney Crosby, aussi légendaire soit-il, viendrait bouleverser cet équilibre. Même si son contrat est raisonnable (8,7 M$), même si son rôle se voulait théoriquement secondaire, sa simple présence imposerait une hiérarchie évidente, écrasante. Parce que Crosby, c’est Crosby. On ne l’amène pas pour être un mentor effacé dans un coin du vestiaire. On l’amène pour inspirer, pour gagner. Pour dicter l’exemple, encore une fois.
Et c’est là que ça devient compliqué?
La cohabitation Crosby-Suzuki est-elle impossible?
Nick Suzuki n’a jamais été flamboyant. Il n’a jamais été du genre à frapper les murs ou à crier dans la chambre. Mais c’est précisément ce calme, cette constance, ce côté relax à la Patrice Bergeron, qui ont fait de lui un capitaine naturel.
Maxime Talbot, ancien coéquipier de Crosby et analyste respecté, l’a dit lui-même :
« Nick Suzuki a une belle trempe de leader, à la Patrice Bergeron. Moi, j’appelle Patrice Bergeron le Sidney Crosby du Québec. »
« Mais je pense que Nick, la façon qu'il lead, c'est un leader tranquille comme Sidley. Ce n'est pas un gars qui défonce des portes, qui casse des bâtons.
C'est un gars qui est là, qui se présente toujours. Comme Sidney Crosby, qui est calme, il se présente bien devant les médias. Nick, il a un peu ça en lui aussi, c'est pas du flamboyant,c'est un gars qui se présente, travaille fort, c'est un mordu de hockey.
Ça s'enligne bien pour les Canadiens. Entre lui, entreCaulfield, entre Hudson, entre Demidov, moi, je les appelle les hockey nerds, les gars qui sont à l'aréna et qui travaillent sur leur craft. C'est comme ça qu'on a bâti la culture des Penguins. »
@bpmsportsradio « Nick Suzuki, c’est un leader tranquille comme Sidney Crosby! » - @max25talbot 🔥👀 #nhl #lnh #hockey #mtl #crosby #suzuki ♬ son original - BPMSPORTSRADIO
Une phrase lourde de sens. Parce qu’au fond, Suzuki et Crosby, ce sont deux joueurs du même moule. Deux centres canadiens discrets, intelligents, travaillants, passionnés de hockey.
Deux leaders silencieux qui mènent par l’exemple. Deux cerveaux du jeu, deux passionnés du détail, des nerds de la patinoire.
Alors que se passe-t-il quand on force deux capitaines du même type à cohabiter?
On les met en concurrence. Involontairement, peut-être. Mais inévitablement.
Avec Crosby dans le vestiaire, c’est lui qui dictera le rythme des réunions d’équipe. C’est lui qui parlera dans les moments critiques.
C’est lui que les médias voudront entendre. Et même s’il porte un « A » sur son chandail au lieu du « C », dans les faits, c’est lui qui deviendra le capitaine en réalité.
Alors que reste-t-il à Suzuki? Le titre officiel, certes. Mais pas le pouvoir symbolique. Pas le rôle de figure centrale.
Et dans un club qui a tout misé sur lui, qui a bâti une culture autour de sa personnalité et de son éthique de travail, ce serait plus qu’un simple ajustement. Ce serait un tremblement de terre identitaire.
Depuis le début des rumeurs sur Sidney Crosby, quelque chose a changé dans l’attitude de Nick Suzuki. Plus réservé que jamais en entrevue, plus évasif face aux questions d’avenir, il semble éviter le sujet comme la peste.
Certains journalistes ont même noté qu’il paraît contrarié lorsqu’on aborde la possibilité de voir Crosby enfiler le chandail du Tricolore.
Et au fond, peut-on lui en vouloir?
Il a traversé les années sombres. Il a porté ce club pendant la reconstruction. Il a fait preuve de patience, de loyauté, de résilience.
Et maintenant que le CH commence à sortir du tunnel, voilà qu’on envisage de lui coller dans les pattes une légende vieillissante.
Pas n’importe quelle légende : une qui lui ressemble. Une qui pourrait lui faire de l’ombre, le déposséder de son équipe.
C’est un peu comme demander à un roi d’accueillir l’ancien monarque dans sa propre salle du trône. Avec faste. Avec révérence. Et de le faire avec le sourire.
Mais derrière ce sourire, il y aurait un prix.
Dans ce dossier, Nick Suzuki pense aussi à l’avenir. Pas seulement à sa place dans l’équipe, mais à celle des autres.
À Michael Hage, par exemple, jeune centre prometteur qui incarne l’avenir du CH. À la structure qu’on a lentement construite autour de lui, des Demidov, Caufield, Hutson et cie.
C’est pourquoi Suzuki ne serait pas chaud à l’idée de voir Kent Hughes sacrifier autant d’éléments pour acquérir Crosby. Martin Biron a évoqué un scénario où le Canadien donnerait Michael Hage dans un "package deal".
Trop cher. Beaucoup trop cher, selon Suzuki. Avec raison.
Ce n’est pas qu’il ne respecte pas Crosby. Il l’admire. Mais il croit au projet actuel. Il croit à la jeunesse. Il croit à l’idée que cette équipe, avec ses joueurs actuels, peut grandir et gagner ensemble. Sans avoir besoin d’un dernier coup d’éclat hollywoodien.
Il ne veut pas voir Hage partir. Il ne veut pas voir le groupe exploser pour un symbole. Il veut gagner à la dure, à la loyale. Avec ceux qui ont sué avec lui.
Il peut garder sa tête tranquille. Hughes ne sacrifiera jamais Hage.
Jamais. Le DG du Canadien a trop misé sur ce jeune homme pour l’utiliser comme monnaie d’échange, même pour un monument comme Sidney Crosby. Il le sait. Crosby aussi le sait. Et surtout, Kyle Dubas le sait.
Car dans cette saga, ce ne sera pas une guerre d’offres. Ce sera Sidney Crosby lui-même qui choisira sa nouvelle équipe. Et selon ce qui circule depuis plusieurs semaines, sa liste est très courte : Colorado, Los Angeles… et Montréal. Trois destinations. Une décision.
Et si Crosby dit à son agent Pat Brisson qu’il veut finir à Montréal, Kyle Dubas devra s’exécuter.
Et dans ce contexte, le prix ne sera pas exorbitant. On parle de jeunes espoirs, de choix conditionnels, peut-être de Joshua Roy. Mais ni Hage, ni le choix de première ronde 2026. Il n’y aura pas de rançon. Il y aura un arrangement.
Mais même si le prix devient miraculeusement raisonnable, la question demeure dans le vestiaire : qu’arrive-t-il à Nick Suzuki? Car au-delà des actifs envoyés à Pittsburgh, c’est dans le cœur du capitaine que se joue le véritable coût de cette transaction.
La question n’est pas seulement stratégique. Elle est humaine.
Quel message enverrait-on à Suzuki?
Qu’on ne croit pas assez en lui? Qu’il a besoin d’un tuteur, d’un sauveur, d’un remplaçant?
Ou pire encore : qu’il n’est pas le vrai leader?
Ce serait une claque au visage, masquée sous les traits d’un cadeau empoisonné. Une fracture difficile à réparer.
Suzuki est le ciment de cette jeune formation. S’il se fissure, c’est tout le bloc qui peut s’effondrer.
Alors que faire?
Crosby reste Crosby. Une icône. Une machine à vendre des billets. Une légende du hockey. Un rêve pour des millions de partisans.
Mais ce rêve ne doit pas devenir un cauchemar interne.
La mission de Kent Hughes est claire : ne pas trahir l’âme du vestiaire. Ne pas saboter la culture qu’il a mis trois ans à installer avec Martin St-Louis. Ne pas froisser celui en qui il a mis toute sa confiance.
Oui, Crosby ferait vibrer le Centre Bell. Mais à quel prix?
Car si, dans ce processus, Nick Suzuki se referme, se détache, se fane… le CH aura tout perdu.
Il est tentant d’imaginer une fin de carrière en apothéose pour Sidney Crosby à Montréal. Il est tentant de croire à une histoire parfaite, à un dernier chapitre légendaire dans une ville mythique.
Mais le hockey n’est pas un conte de fées.
Et dans la réalité, chaque geste a un coût. Chaque ajout peut créer une perte.
Dans ce cas-ci, l’ajout de Crosby pourrait coûter bien plus qu’un "prospect" ou un choix de repêchage. Il pourrait coûter le cœur et l’âme du Canadien de Montréal.
Le leadership n’est pas divisible. On ne partage pas un trône à deux. Et en ce moment, ce trône appartient à Nick Suzuki.
Le respecter, c’est refuser de le bousculer au nom du passé.
Et s’il faut un jour écrire une légende à Montréal, que ce soit la sienne.