Darren Dreger n’a pas l’habitude de parler pour rien dire. Quand une bombe sort de sa bouche, surtout à quelques heures du dernier match préparatoire d’une équipe, ce n’est jamais une coïncidence.
Vendredi soir, sur le plateau de TSN, il a lâché une phrase qui a électrisé Montréal en une fraction de seconde :
« Quand on parle des Canadiens de Montréal et de la profondeur de leur jeune réservoir de talents, Montréal fera tout ce qui est possible pour obtenir Sidney Crosby. »
Ce n’est pas une rumeur de forum. Ce n’est pas une spéculation d’animateur de radio. C’est Darren Dreger. Et à Montréal, tout le monde sait que lorsqu’il s’avance aussi clairement sur un dossier, c’est qu’il y a une véritable mécanique en marche derrière le rideau.
Le timing est parfait. Pendant tout le camp d’entraînement, la rumeur Crosby s’était assoupie. Après avoir enflammé les conversations pendant tout l’été, elle avait disparu de la une pour laisser la place aux batailles de postes, aux performances d’Ivan Demidov, aux décisions de Martin St-Louis et aux mouvements de Kent Hughes.
Mais à la veille du lancement de la saison, Dreger est venu rappeler à tout le monde que ce dossier n’est pas mort. Bien au contraire : il entre dans une nouvelle phase.
Ce retour soudain ne sort pas de nulle part. Il faut remonter au mois de février dernier pour comprendre pourquoi le nom de Crosby et celui du Canadien sont liés depuis des mois comme jamais auparavant.
C’était lors du tournoi du 4 Nations Faceoff, dans un Centre Bell incandescent. Le Canada venait de battre la Suède 4-3 en prolongation. Et lorsque Sidney Crosby est sorti de la glace, les 21 000 spectateurs debout ont scandé son nom comme s’il portait déjà le chandail tricolore.
Ce moment, Crosby lui-même ne l’a pas oublié.
« Comme quelqu’un qui aime jouer dans des environnements comme celui-là, moi qui ai grandi en étant un fan des Canadiens de Montréal, recevoir une ovation comme ça ici, c’était vraiment spécial et quelque chose dont je vais toujours me souvenir », avait-il déclaré ce soir-là.
La phrase a fait le tour du Québec en quelques heures. J’ai grandi en étant un fan des Canadiens de Montréal. Pour une génération entière, cette déclaration avait un parfum de prophétie. Et au même moment, à Pittsburgh, les signes d’essoufflement commençaient à s’accumuler.
Trois années consécutives sans séries. Un noyau vieillissant. Un directeur général, Kyle Dubas, en mode reconstruction douce, parlant ouvertement de donner de la place aux jeunes. Pour la première fois depuis qu’il a été repêché en 2005, l’idée de voir Crosby ailleurs n’était plus un blasphème : c’était une hypothèse que son entourage lui-même commençait à considérer.
Son agent, Pat Brisson, l’a reconnu dans une entrevue accordée à The Athletic en septembre.
« C’est une réalité. Cela fait trois ans qu’ils n’ont pas fait les séries. Tout dépendra de la façon dont Sid se sentira et de la performance de l’équipe. Mais dans mon esprit, Sidney doit jouer du hockey printanier chaque année », a-t-il expliqué.
Il l’a comparé à Tom Brady, rappelant que même les légendes changent parfois de décor pour poursuivre la conquête. Brady a quitté la Nouvelle-Angleterre pour aller soulever un autre trophée à Tampa. La porte, pour Crosby, n’est pas officiellement ouverte. Mais elle n’est plus murée non plus.
Lui-même en a parlé ouvertement lors de la tournée médiatique des joueurs, en répondant à une question sur la spéculation constante entourant son avenir.
« Je comprends, a-t-il dit. Ce n’est pas un sujet dont tu as envie de discuter. Tu préférerais parler des transactions à venir à la date limite ou de ta position dans la division.
Mais c’est ça, la partie difficile quand tu perds. Ce n’est pas juste la défaite à la sirène, c’est tout le reste : le roulement d’effectif, l’incertitude, les points d’interrogation. Ça te fait apprécier les années où tu te battais pour les gros coups. »
Crosby n’est pas en train de forcer son départ. Mais il constate le temps qui passe. À 38 ans, il veut encore gagner. Il reste parmi les meilleurs joueurs de la planète, capable d’influencer un match à chaque présence. Ce n’est pas un capitaine fatigué : c’est une légende encore affamée. Et c’est là que Montréal entre en scène.
Kent Hughes et Jeff Gorton ont compris l’opportunité historique qui se présente. Contrairement à d’autres équipes, le Canadien possède une combinaison rare : une réserve exceptionnelle de jeunes talents (Demidov, Hutson, Reinbacher, Fowler…), une flexibilité salariale rendue possible par une planification intelligente et la montée du plafond, et une aura culturelle unique qui parle directement au cœur de Crosby.
Ce n’est pas simplement une transaction potentielle. C’est une histoire qui a du sens sur tous les plans.
Pendant tout l’été, les rumeurs n’ont cessé de gonfler. Les discussions entre organisations n’ont jamais été confirmées officiellement, mais plusieurs sources ont évoqué des « contacts exploratoires ».
Montréal ne cache pas son intérêt. Dreger l’a dit tout haut : si la porte s’entrouvre, le CH sera prêt à tout. Et quand on parle de « tout » dans ce contexte, ça signifie des choix de première ronde (2026 ou 2027), des espoirs de haut niveau. (mais le CH a rendu Michael Hage et David Reinbacher intouchables.
Pittsburgh, de son côté, est dans une situation délicate. Dubas peut bien répéter que son attention est tournée vers les jeunes au camp, la vérité est que la dynamique sportive des Penguins ne repose plus sur Crosby comme moteur de reconstruction.
Elle repose sur un passage de témoin graduel. Et dans une organisation où Crosby a toujours eu son mot à dire, ce sera lui et Brisson qui décideront du moment. Pas Dubas.
Le facteur émotionnel rend Montréal plus dangereux que n’importe quel autre prétendant. Ce n’est pas seulement une destination sportive crédible : c’est la seule franchise capable de transformer son arrivée en événement culturel national.
On parle ici d’un Québécois d’adoption, héros d’enfance du Centre Bell, héros de Rimouski, qui reviendrait dans la ville qu’il idolâtrait pour conclure sa carrière en héros. L’impact médiatique, économique et sportif serait gigantesque.
Dreger n’a pas choisi ses mots au hasard. Il a choisi son moment. Juste avant la saison, alors que tout le monde pensait que la poussière était retombée.
Il a relancé la machine. Ce genre de déclaration, à ce moment précis, sert souvent à préparer l’opinion publique. Soit à Pittsburgh, où l’on teste la réaction à une éventuelle ouverture. Soit à Montréal, où l’on commence à préparer les partisans à l’idée que le rêve d’enfant pourrait devenir une réalité concrète.
Dans l’histoire récente de la LNH, peu de scénarios ont une telle portée. Gretzky à Los Angeles avait transformé la ligue. Brady à Tampa avait bouleversé la NFL.
Crosby à Montréal aurait cette même puissance symbolique. À une différence près : ici, la romance entre le joueur et la ville dure depuis son enfance. Ce n’est pas un mariage de raison. C’est une promesse d’enfant restée suspendue dans le temps.
C’est pour cela que la déclaration de Dreger est si lourde de sens. Elle n’est pas le début d’une rumeur : elle est la réactivation d’un récit qui couve depuis des mois, alimenté par des faits tangibles.
Crosby a publiquement reconnu son attachement au CH. Brisson a admis que le statu quo à Pittsburgh pourrait changer. Les Penguins ont échoué trois années de suite. Montréal dispose de tous les atouts pour frapper. Et la légende a encore faim.
Le scénario le plus réaliste reste un départ éventuel à la date limite 2026, si Pittsburgh s’enlise encore. Mais le ton adopté aujourd’hui par Dreger laisse planer une autre possibilité : que Montréal et Crosby se rapprochent plus tôt que prévu.
Et si Hughes voit une fenêtre de Coupe Stanley accélérée grâce à l’éclosion rapide de ses jeunes, il n’hésitera pas. Il sait que Crosby changerait tout.
À Montréal, la rumeur n’a jamais vraiment cessé de circuler dans les coulisses. Mais avec la déclaration de Dreger, elle a quitté le domaine du fantasme pour entrer dans celui du plausible.
La saison commence, mais déjà, le plus grand feuilleton de l’année est lancé.