En septembre 2015, la Ville de Québec rêvait en grand.
Le Centre Vidéotron venait d’ouvrir ses portes. Il était flambant neuf, imposant, moderne. On se disait alors que le principal obstacle au retour des Nordiques venait d’être levé.
Pour Régis Labeaume, Pierre Karl Péladeau, Québecor et tous les partisans nostalgiques du Colisée Pepsi, c’était enfin possible.
Possible de ramener la LNH. Possible de revivre les grandes soirées de hockey. Possible de faire de Québec une ville majeure sur l’échiquier sportif nord-américain.
Dix ans plus tard, ce rêve est en lambeaux. Et rien ne symbolise mieux cet échec monumental que le vestiaire… qui n’a jamais vu le jour.
L’article signé par Mikaël Lalancette dans Le Soleil a eu l’effet d’une bombe. Il a mis en lumière ce que plusieurs soupçonnaient depuis longtemps : le fameux vestiaire destiné aux Nordiques n’a jamais été construit.
L’espace a été prévu, les plans ont été dessinés, les promesses ont été faites… mais la réalité est bien crue : ce qui devait être le vestiaire de hockey le plus vaste et le plus avancé au monde n’est aujourd’hui qu’un entrepôt.
22 000 pieds carrés. C’est ce que devait mesurer ce vestiaire de rêve, vanté dans les documents promotionnels de la Ville de Québec en 2015. On y promettait :
Un grand salon pour les joueurs.
Un bain à remous thérapeutique vitré.
Un centre de conditionnement physique.
Une clinique médicale.
Une salle de radiographie.
Des bureaux pour le personnel de hockey.
Un vestiaire principal à la fine pointe.
Mais rien de tout cela n’existe. L’emplacement du bain à remous vitré est devenu un local rempli de palettes et de matériel. Le reste? Une zone de pratique pour les Remparts. Le rêve s’est transformé en débarras.
C’est l’ancien maire Régis Labeaume lui-même qui l’a confirmé, avec son franc-parler habituel, dans une entrevue à Le Soleil. Il a assumé avoir volontairement rayé le vestiaire des plans, sous prétexte que les coûts étaient trop élevés.
« J’ai dit au monde : “On va garder la place, mais on ne met pas une cenne là-dedans.” »
Et plus encore :
« S’il y a un club, vous vous organiserez pour compléter le vestiaire, mais pour moi, ça s’arrête ici, c’est fini! »
Une déclaration qui, aujourd’hui, résonne comme une trahison. Car comment peut-on construire un amphithéâtre de calibre LNH… sans vestiaire de la LNH?
Comment peut-on dépenser près de 400 millions de dollars d’argent public, tout en sabrant l’élément symbolique le plus fort de l’édifice?
Avant la construction, Labeaume avait visité les vestiaires des Kings de Los Angeles et des Penguins de Pittsburgh. Il savait très bien ce que la LNH exigeait. Luc Robitaille, président des opérations hockey chez les Kings, avait tenté de le convaincre de ne pas couper sur cet élément crucial. En vain.
Labeaume, agacé par ce qu’il voyait comme une exagération, s’était même vidé le cœur lors d’un souper avec Guy Lafleur. Ce dernier, avec son humour bien à lui, avait tenté de relativiser la situation :
« Le Canadien nous fournissait le grille-pain, mais il fallait apporter nos propres toasts! »
Pas suffisant pour adoucir le maire. Il a persisté. Et il a décidé de ne pas écouter ceux qui, avec l’expérience de la LNH, comprenaient l’importance du vestiaire pour attirer une équipe.
Mais le vestiaire oublié n’est que la pointe de l’iceberg. Car dix ans après son inauguration, le Centre Vidéotron est déjà passé date. Voici un inventaire rigoureux de ce qui ne fonctionne pas, ou qui doit déjà être remplacé :
1. Système de contrôle d’accès désuet
Un audit indépendant d’ingénierie a confirmé récemment que le système de contrôle des portes et des ascenseurs est en “fin de vie utile”. Résultat? La Ville de Québec a dû débloquer 350 000 $ d’urgence pour tenter de moderniser une technologie qui aurait dû durer au moins 25 ans.
2. Technologies vieillissantes dès la construction
Selon plusieurs sources techniques, le Centre Vidéotron a été livré avec des systèmes informatiques déjà presque obsolètes en 2015.
Système de billetterie, caméras de sécurité, ventilation intelligente, éclairage d’ambiance, réseaux de communication internes… tous choisis sous contrainte budgétaire.
Résultat : aujourd’hui, plusieurs ne sont plus compatibles avec les standards modernes, les mises à jour sont difficiles, voire impossibles, et certains éléments doivent être partiellement remplacés.
3. Accessibilité retardée
Les travaux routiers autour du Centre ont traîné en longueur. Encore aujourd’hui, l’accès piétonnier est sujet à des réaménagements constants. L’interconnexion avec le Grand Marché, l’aménagement de la Place Jean-Béliveau, et l’optimisation des stationnements ont exigé des investissements supplémentaires non prévus.
4. Absence d’équipe de la LNH
Et le plus gros trou noir de tous : l’amphithéâtre n’a jamais rempli sa fonction première. Il devait accueillir les Nordiques. Il a accueilli… des matchs hors-concours, des galas de boxe, des spectacles, des matchs de la LHJMQ. Rien de ce qui avait été promis aux citoyens.
5. Vestiaire secret, téléphones interdits
Pendant les premières années, les visiteurs du vestiaire “des Nordiques” devaient ranger leurs téléphones. Pourquoi? Parce que les rumeurs étaient trop nombreuses. Chaque fois qu’un ouvrier avec un casque était aperçu, les rumeurs de travaux “secrets” circulaient sur les réseaux sociaux.
« Dès que les visiteurs voyaient un employé avec un casque, ils prenaient une photo et ça se ramassait sur les réseaux sociaux avec la mention : “Ça y est, les travaux du vestiaire sont lancés!” » affirmait Sébastien Pelletier, directeur de l’expérience client.
Un folklore devenu une "joke" collective.
Les contribuables ont été floués.
La réalité est dure à avaler : la population de Québec a payé pour un rêve… qu’on ne lui a jamais livré. Le Centre Vidéotron devait être un bijou multifonctionnel. Aujourd’hui, il a l’apparence d’un bijou, mais la structure d’une bâtisse de fortune.
Pas de vestiaire.
Des systèmes en fin de vie.
Des travaux à refaire à peine 10 ans plus tard.
Une mission non remplie.
Et malgré tout cela, on continue de défendre le projet avec des formules vides comme : « Le Centre a une âme », ou « Les gens se le sont approprié ».
Oui, c’est vrai : les Remparts ont fait vibrer les foules. Oui, des événements majeurs s’y sont tenus. Mais rien, rien, n’efface la trahison initiale.
Régis Labeaume a quitté la politique avec une réputation de bâtisseur. Mais l’épisode du vestiaire non construit le hantera longtemps. Car ce n’est pas une simple décision administrative. C’est une cassure symbolique entre la promesse et la livraison. C’est la preuve que l’on vendait un mirage. Une maquette sans fondations.
Et cette phrase, qu’il a livrée candidement :
« De la marde, on n’a pas d’argent pour ça »,
…résonnera longtemps dans les oreilles des contribuables.
L’humiliation de trop?
Ce nouveau chapitre de désillusion vient s’ajouter à d’autres. Loin de redonner confiance, il creuse le fossé entre les ambitions sportives de Québec et sa réalité institutionnelle.
On a perdu les Nordiques en 1995. Trente ans plus tard, non seulement ils ne sont jamais revenus, mais on réalise que l’infrastructure pour les accueillir n’a même jamais été terminée.
Et maintenant, en 2025, on doit investir encore plus pour garder le Centre à flot. Pendant ce temps, Houston et Atlanta se positionnent pour accueillir des équipes. Québec, elle, répare ses ascenseurs.
Le Centre Vidéotron est peut-être propre, beau, adapté aux personnes à mobilité réduite, rempli d’histoire junior et de spectacles réussis. Mais il restera, pour toujours, le plus grand mensonge collectif de la politique municipale moderne au Québec.
On a promis une LNH prête à démarrer.
On a livré une salle de spectacles avec un entrepôt à la place du vestiaire.
Et chaque jour qui passe, chaque dollar supplémentaire investi, chaque rumeur de relocalisation ailleurs qu’à Québec, vient enfoncer le clou.
Le vestiaire n’a jamais existé. Comme le rêve...