À Montréal, on rêve déjà d’un alignement d’étoiles. Dobson, Demidov, Hutson, Suzuki… la constellation semble magique.
Mais Gilbert Delorme est venu jeter une douche froide sur l’euphorie. Sur les ondes de BPM Sports, il a rappelé que le Canadien risque de souffrir défensivement cette saison, car croire que Noah Dobson peut remplacer David Savard dans les missions critiques est, selon lui, une grave erreur.
La réaction a été instantanée. Une partie des partisans s'en est pris à Delorme, l’accusant d’attiser la controverse autour d’un joueur qui n’a même pas patiné une vraie minute au Centre Bell.
Normal. Quand un gros nom débarque, on veut croire au sauveur. On veut oublier les angles morts. On veut penser que 9,5 M, ça achète un rempart.
Mais la mémoire du hockey est cruelle : à Long Island, les critiques se déchaînent depuis des mois pour dire exactement l’inverse de nos espoirs. Et dans ce vacarme, une chose demeure… Roy et Delorme regardent Dobson par la même fenêtre.
Le cœur du dossier, il est simple. Dobson n’est pas Savard. On peut débattre des chiffres, de l’offensive, des projections, des vidéos d’entraînement avec une lumière dorée à l’heure bleue. Mais on ne peut pas débattre de l’ADN.
David Savard, c’était le pompier de service. Le gars qu’on envoie quand il reste 58 secondes, une mise en jeu défensive, un banc qui retient son souffle et une rondelle qui saute sur une palette ennemie. Savard vit pour se coucher devant des lancers, pour écœurer un gros ailier au bord du filet, pour casser le rythme d’un avantage numérique qui sent le but.
Ce sont des métiers qui ne se partagent pas. Ce sont des réflexes qui se gravent.
Dobson, lui, c’est la vitesse d’exécution, la transition qui claque, le premier passeur qui transforme une sortie chancelante en 2-contre-1. Il a la dimension physique, oui. Il a la maturité athlétique. Mais ce n’est pas un défenseur qui impose son gabarit par instinct.
Il protège, anticipe, relance. Il n’écrase pas. Il n’efface pas. Dans l’Est, on connaît déjà ce genre de silhouette : pensez à Patrik Laine. Grand, imposant, spectaculaire, mais rarement l’angle dur du jeu. Ce n’est pas une insulte. C’est un profil.
Et c’est là où les révélations choc de Patrick Roy deviennent la clé de voûte du débat. Roy n’a jamais caché qu’il veut des défenseurs engagés, lourds sur les hanches, maniaques du détail dans l’enclave. Le hockey sans rondelle le fascine, parce que c’est là que se gagnent les séries qui ne veulent pas se donner.
Quand Delorme débarque à la radio pour dire “attention, Dobson en défense, c’est un pari”, il ne fait pas que lancer une bombe : il tend un miroir. Il renvoie la position d’un entraîneur qui, à Long Island, a vu les mêmes choses que lui.
Une lecture sévère? Peut-être. Une lecture isolée? Pas du tout.
Le Canadien, lui, vit une autre histoire. La perte de Savard n’est pas seulement un trou sur la feuille. C’est un vide dans le vestiaire, dans l’ADN de la brigade, dans l’exemple quotidien. On peut vanter le jeu de Guhle, le toucher de Hutson, le coup de patin de Matheson. Rien ne remplace le réflexe primaire d’un spécialiste défensif qui sait exactement où se placer quand le chaos déferle.
La grande question de septembre n’est pas “combien de points fera Dobson”, mais “qui fermera un match à 2-1 contre Tampa, Boston, Toronto, quand le centre adverse gagne sa mise en jeu et que le trafic monte au carré bleu”.
C’est ici que la division Atlantique impose son style. Du forecheck qui te gruge les os. Des écrasements en deuxième vague. Une volonté de vivre à l’intérieur de ta boîte, trois mètres devant ton gardien, jusqu’à te forcer à céder une passe faible ou un rebond sale. Boston va t’étouffer. Tampa va te faire tourner. Toronto va t’aspirer au périmètre et frapper par le milieu.
Si Dobson ne solidifie pas ses angles, s’il ne hausse pas son niveau de friction dans les coins, s’il ne transforme pas sa taille en dissuasion réelle, le coût ne se lira pas sur sa colonne “points” mais sur la colonne “usure de l’équipe”.
On peut bien dire que le système montréalais va l’aider. Martin St-Louis veut des défenseurs qui participent, qui relancent, qui osent. Parfait. Mais le hockey moderne impose une double citoyenneté : être dangereux en mouvement et impitoyable quand ça se fige.
Delorme l’a répété sur BPM : en désavantage numérique, en gestion de fin de match, dans ces 90 secondes où tout se joue… tu n’as pas droit aux hésitations. Tu n’as pas droit à la belle lecture qui arrive une demi-seconde trop tard. Tu n’as pas droit à la rondelle déposée dans une zone grise. Savard, c’était la certitude. Dobson, aujourd’hui, c’est la promesse.
Et la promesse, à 9,5 millions, ne suffit pas. Elle doit devenir une habitude.
Ce n’est pas un procès à charge. Personne ne nie que Dobson a du talent à en revendre. Sa première passe peut t’arracher un soupir. Sa mobilité sur la ligne bleue ouvre des lignes de tir que peu voient. Son calme, par séquences, donne l’impression qu’il joue avec une seconde de plus que tout le monde.
Mais c’est précisément là que Roy et Delorme demandent le reste : l’âpreté, l’entêtement, la misère volontaire. Les fameux gestes qui ne finissent pas dans un montage sur les réseaux, mais qui changent le momentum d’un match de novembre à Ottawa ou d’un samedi soir contre les Bruins. Le hockey plate. Le hockey utile.
“Constellation à Montréal”, c’est joli. Suzuki, Caufield, Demidov, Hutson… le ciel est peuplé. Mais sans l’étoile froide du “shutdown”, celle qui ne scintille pas et qui pourtant te sauve trois points par mois, tu restes une affiche lumineuse.
Le Canadien peut choisir de redessiner ses fins de match autour d’un comité : Guhle en première bataille, Matheson pour la relance courte, un centre qui gagne ses mises en jeu, un ailier qui vient boucher l’enclave. Mais tôt ou tard, la LNH te demande un responsable. Un nom. Un réflexe. Savard incarnait ça. Et s’il n’existe plus, il faut que quelqu’un l’invente.
Dobson peut-il devenir ce quelqu’un? C’est la seule question qui compte.
Tout le reste — la colère de Long Island, l’imaginaire Cadillac, les rumeurs de vestiaire, la gifle des comparaisons — ne sont que du bruit si, en octobre, on remarque que sa première lecture défensive est plus haute, que son bâton est plus mordant, que son corps lui appartient vraiment le long des bandes.
On ne lui demande pas de se réincarner en bélier. On lui demande de sortir du match avec des traces de bataille, 58 secondes à 2-1, sans ballonner.
Et si Delorme a subi le retour de flamme, c’est aussi parce qu’il touche à une peur bien réelle chez les partisans : et si on s’était emballés trop vite?
Et si, à force de vouloir une superstar à droite, on confondait profil et rôle? Et si la constellation n’éclairait pas ces minutes sombres où le hockey redevient une guerre d’angles et de sacrifices? C’est là que la “révélation” de Roy est utile. Elle ne tue pas le rêve. Elle le recadre. Elle impose une exigence.
Montréal n’a pas besoin que Dobson soit Savard. Montréal a besoin que Dobson assume la partie de Savard qu’aucun autre ne peut emprunter. Ce n’est pas la même chose. Qu’il reste le joueur de transition, le moteur de relance, l’arrière qui fait respirer Suzuki et Caufield.
Mais qu’il ajoute, par-dessus, ce 10 % d’âpreté qui transforme un bon défenseur en joueur indispensable au printemps. Une mise en échec au bon moment. Un tir bloqué qui brise un cycle. Une clairance intelligente à 20 secondes.
Le genre de détail qui, étrangement, finit toujours par rapporter plus que n’importe quel point en novembre.
Delorme n’a pas “détruit” Dobson. Roy n’a pas “perdu” contre lui. Tous deux ont rappelé une vérité que Montréal a trop souvent oubliée quand l’enthousiasme prend le volant : dans l’Atlantique, on te teste dans la boue avant de te laisser danser sur la glace.
Si Noah Dobson accepte ce pacte, s’il épouse la misère qui vient avec la gloire, la constellation tiendra. Sinon, la ville retombera dans ce vieux réflexe de déchirer les étoiles dès qu’elles cessent d’éclairer.
À lui maintenant d’écrire la fin du chapitre. Pas avec une quote. Pas avec une pub.
Avec 58 secondes à protéger, une épaule qui lève et une rondelle qui sort.