Sophie Durocher ne fait plus partie de la grille quotidienne du 99,5 FM.
Officiellement, on parle d’un repositionnement. D’un nouveau défi. D’un "balado filmé" diffusé le vendredi soir sur LCN, intitulé Dans le blanc des yeux.
En réalité? Un congédiement déguisé. Une mise à l’écart orchestrée avec les gants blancs de la haute direction de Québecor, dans un ultime effort pour éviter la crise publique.
La vérité est sans pitié : depuis le lancement de QUB sur les ondes du 99,5 FM, les émissions de Sophie Durocher figuraient parmi les pires du réseau.
« Les chiffres d’audience étaient faméliques depuis les débuts », rapportait La Presse.
Numeris confirme : Durocher et Richard Martineau, son conjoint dans la vie, attiraient nettement moins d’auditeurs que le reste de la grille.
La décision est tombée comme une évidence : exit la quotidienne de 14h. Place à un une ’émission d’entrevue, loin du direct, reléguée à un créneau désert du vendredi soir, et programmée sur LCN, chaîne d'information continue... pas sur les ondes de radio parlée.
Ce n’est pas une promotion. C’est une rétrogradation. Un congédiement médiatique déguisé en "nouvelle opportunité".
Il faut dire que la dernière année fut brutale pour Sophie Durocher. Moins visible à la télé, boudée à la radio, et fragilisée par des prises de position de plus en plus décriées, elle s’est retrouvée dans la tourmente sur plusieurs fronts.
Sur le plan judiciaire, elle a témoigné contre Martin Larouche, un internaute qui l’avait menacée de la "commotionner".
Durocher a affirmé en cour :
« Je me suis écroulée, j’avais de la difficulté à croire ce que je lisais. C’était d’une violence à laquelle je ne suis pas habituée. »
Elle a ajouté : « Il y a une différence entre être controversée et être l’objet de menaces. »
Ce passage en cour a éveillé l’empathie. Mais dans l’opinion publique, la mémoire collective n’est pas amnésique. Beaucoup se rappellent que Durocher, elle aussi, a longtemps été une figure de la violence symbolique, parfois gratuite, dans l’univers médiatique québécois.
En juillet 2024, Durocher s’est acharnée sur Céline Galipeau après la cérémonie d'ouverture. Et le mot "acharnement" n’est pas exagéré.
Dans l’un de ses textes les plus cruels, elle a ridiculisé la chef d’antenne de Radio-Canada :
« Parlant de réaction enfantine, Céline Galipeau a réagi aux mauvaises critiques en disant en gros : “C’est pas ma faute, bouhouhou.” »
Elle a ensuite ajouté avec sarcasme :
« Le manque d’enthousiasme, le manque d’émerveillement, le manque de culture générale des deux animateurs, on l’explique comment à Radio-Canada? »
Quelques jours plus tôt, elle écrivait aussi :
« Ni Martin Labrosse ni Céline Galipeau ne m’ont impressionnée : on avait l’impression qu’ils décrivaient des funérailles! »
Ces attaques ont coïncidé avec une vague de haine sans précédent contre Galipeau sur les réseaux sociaux. À son retour à Montréal, elle a été accueillie par une meute de micros tendus, prête à la crucifier.
Et pourtant, Céline Galipeau est une journaliste respectée, au parcours irréprochable. Elle a confié avoir été profondément blessée, parlant d’un état émotionnel "attristé" et de "commentaires qui l’avaient heurtée".
Durocher, dans ce contexte, a été perçue comme celle qui « sent le sang et veut finir la victime ». Ce fut la goutte de trop pour plusieurs.
L’acharnement contre Galipeau, son obession contre Véronique Cloutier, Radio-Canada, Luc Ferrandez, ou même l’écologisme, a transformé Durocher en caricature d’elle-même. Plus personne ne savait si elle croyait encore ce qu’elle écrivait, ou si elle ne faisait que jouer un rôle commandité.
Dans plusieurs chroniques publiées au Journal de Montréal, elle a souvent attaqué l’animatrice vedette, l’accusant notamment d’être « surprotégée par les médias », de ne jamais être confrontée à de véritables critiques, et d’évoluer dans une « bulle de copinage médiatique ».
L’une de ses cibles favorites fut l’émission 1res fois, que Cloutier animait à Radio-Canada. Durocher dénonçait ce qu’elle appelait une émission « d’égoportrait déguisé en télé publique », où la star recevait des amis ou des personnalités avec qui elle entretenait déjà des relations personnelles, créant selon elle une absence de distance journalistique.
Dans une chronique particulièrement virulente, elle écrivait :
« Véronique Cloutier fait partie de ces personnalités québécoises dont on ne peut pas critiquer le travail sans se faire accuser d’être jalouse ou méchante. Pourtant, quand on est payée avec l’argent du public, on doit accepter la critique. »
Elle s’en est également prise à Rétrospective Véro, un projet de balado dans lequel Cloutier revisite sa propre carrière :
« Est-ce qu’on peut passer une année sans un projet sur... Véronique Cloutier? Elle s’interviewe elle-même, elle se met en scène, elle monte sa propre statue en direct. Et personne dans son entourage ne lui dit que ça frôle le ridicule? »
Durocher dénonçait ce qu’elle percevait comme une forme de narcissisme institutionnalisé, tout en accusant Radio-Canada de servir de véhicule promotionnel à une seule animatrice :
« Il y a des talents à Radio-Canada qui attendent leur tour depuis des années. Mais Véro, elle, obtient toujours la priorité sur l’antenne. Parce que c’est Véro. »
Ces attaques répétées ont contribué à installer une tension énorme entre les deux femmes, bien que Cloutier n’ait jamais répondu publiquement.
Dans l’univers médiatique québécois, cette rivalité silencieuse a longtemps fait jaser, notamment parce que Durocher semblait s’acharner avec une constance qui frôlait l’obsession.
Quand une chroniqueuse passe du rôle de voix baveuse à celui d’idéologue grinçante, la frontière est mince entre influence et nuisance. Et la patience du public a ses limites. Les cotes d’écoute désastreuses l’ont confirmé.
Il ne faut jamais oublier la guerre que Durocher a menée contre Véronique Cloutier, qu’elle accusait de favoritisme, de vedettariat, de se faire interviewer « par ses amis », et de manquer de profondeur.
Mais le public, lui, a tranché. Cloutier est restée aimée, écoutée, sollicitée. Durocher, elle, a vu son influence diminuer. Son ton accusateur, sa posture condescendante, et sa rigidité idéologique ont lassé.
L’autre problème pour Québecor, c’est que Durocher incarne aujourd’hui une ligne éditoriale trop rigide pour séduire un auditoire large.
À la rentrée 2025, Mario Dumont et Benoît Dutrizac sont devenus les véritables visages de QUB Radio. Dumont le matin, Dutrizac ensuite, puis Isabelle Maréchal en après-midi. Richard Martineau garde le retour à la maison, mais même lui ne peut plus porter la station à bout de bras.
Durocher, elle, est exclue de la grille en continu, à part quelques segments avec son mari. La honte d'être pris em pitié?
Une heure, le vendredi soir, sur LCN. En différé. Sur un format balado. Autrement dit : invisible pour le grand public.
Et le CRTC dans tout ça?
Cette réorganisation de la grille n’est pas qu’une affaire de contenu. C’est aussi une tentative maladroite de se conformer, en apparence, aux règles du CRTC.
Québecor n’a toujours pas le droit de posséder une station de radio traditionnelle à Montréal. C’est donc par l’entremise du 99,5 FM, propriété de Leclerc Communication, que QUB s’infiltre sur les ondes.
Mais Bell Média et Cogeco ont flairé la tricherie et ont porté plainte.
La plainte est sérieuse : il est interdit à une entreprise qui possède déjà un quotidien et une chaîne de télévision de posséder aussi une station de radio, pour éviter justement les monopoles médiatiques.
Ironique, quand on pense que Péladeau a bâti tout son empirr la dénonciation des monopoles.
La disgrâce de Sophie Durocher, c’est peut-être le retour du balancier.
Pour ne pas dire le karma...
Une journaliste qui a fait sa carrière en attaquant, en provoquant, en blessant, se retrouve aujourd’hui en perte d’audience, marginalisée par sa propre direction, et reléguée à un format dont personne ne veut.
Et c’est triste. Car au-delà de la chroniqueuse cinglante et gratuite, il y avait autrefois une femme cultivée, pertinente, dotée d’un vrai talent pour débusquer l’angle mort dans le discours public. Mais à force de cogner, elle a perdu l’oreille du public.
Aujourd’hui, le public ne l’écoute plus. Il l’évite.
Durocher victime?
Il serait injuste, cependant, d’ignorer ce que Sophie Durocher a vécu sur le plan personnel.
La menace proférée par Martin Larouche était inacceptable. Dire qu’elle « mérite d’être giflée si fort qu’elle tombe dans le coma pour une couple d’années », ce n’est pas une opinion. C’est de la violence pure.
Et Durocher a eu raison de porter plainte. Elle a voulu faire un exemple. Elle a voulu rappeler que le harcèlement en ligne n’est pas un jeu.
Mais cette affaire, aussi grave soit-elle, ne gomme pas les années d’intimidation médiatique qu’elle-même a pratiquées dans ses chroniques. La ligne entre justice et revanche est mince. Et le public n’a pas la mémoire courte.
Sophie Durocher ne sera pas oubliée. Elle continuera d’écrire dans le Journal de Montréal, où elle possède une tribune solide. Mais son influence est en chute libre. Son micro quotidien a été retiré. Sa voix, affaiblie.
On lui a offert un coin d’écran le vendredi soir, comme on offre une chaise à quelqu’un qu’on ne veut pas froisser publiquement. Mais l’étoffe de l’animatrice quotidienne n’y est plus. Ni l’écoute.
Sophie Durocher voulait incarner la parole forte, la contre-culture médiatique, la droite assumée. Elle a fini par incarner une posture raide, un ton revanchard, et une brutalité devenue désagréable.
Elle s’est dressée contre Radio-Canada, contre Véronique Cloutier, contre Céline Galipeau, contre tout ce qui ne cadrait pas avec son monde. Mais ce monde, justement, est en train de la rejeter.
Et si son congédiement déguisé n’est pas un aveu d’échec, c’est au moins une fin de chapitre. La fin d’un cycle.
Et peut-être, qui sait, le début d’une introspection qu’elle a trop souvent refusée.
Toujours plus difficile de se regarder le nombril... avant les autres...