Jacques Martin aura 73 ans le 1er octobre. Un âge vénérable, une carrière immense derrière lui, et encore aujourd’hui, une présence remarquée dans le hockey puisqu’il agit comme conseiller spécial avec les Sénateurs d’Ottawa.
En fin de semaine, il débarque dans la Vieille Capitale pour y passer six jours de camp d’entraînement avec l’organisation ontarienne. Un retour chargé de souvenirs pour l’homme qui, en 1995, avait vu son équipe des Nordiques déménager à Denver, devenant l’Avalanche du Colorado.
À Québec, on se prépare à l’accueillir comme un enfant du pays revenu saluer une ancienne maison. Mais ses propos, donnés en entrevue, ont eu l’effet d’une bombe.
Car Jacques Martin a osé comparer les deux marchés, Montréal et Québec. Et selon lui, Québec était « plus chaleureux ». Une phrase qui, dans la métropole, passe très mal.
Jacques Martin n’a jamais caché la marque au fer rouge laissée par son passage derrière le banc des Nordiques. À ses yeux, c’était une équipe spéciale, un noyau exceptionnel. Il se souvient encore du goût amer d’avoir vu ce groupe, Forsberg, Sakic, Foote, Deadmarsh et compagnie, soulever la Coupe Stanley un an après le déménagement, à Denver.
« Le noyau était fantastique », répète-t-il, comme si l’histoire lui collait encore au cœur.
Et on comprend que Québec, avec ses partisans passionnés, ses petites rues où tout le monde reconnaissait l’entraîneur adjoint, ait laissé un souvenir impérissable.
Il habitait à Sainte-Foy, puis à Lac-Beauport, et chaque sortie devenait une rencontre avec des amateurs de hockey. « Les gens voulaient me parler de hockey partout », dit-il.
Mais c’est cette phrase qui a dérapé. « À Québec, c’était plus chaleureux. »
Une phrase simple, lancée avec sincérité… mais qui résonne comme une gifle pour Montréal. Parce qu’à Montréal aussi, les partisans l’ont accueilli avec chaleur.
On se souvient du printemps 2010, des exploits de Jaroslav Halak, de l’élimination des Capitals d’Ovechkin et des Penguins de Crosby. Une épopée qui avait ramené la passion folle dans les rues de la métropole. Jacques Martin était l’entraîneur de cette équipe. Montréal vibrait avec lui.
Alors comment peut-il dire que c’était « plus chaleureux » ailleurs?
Sur la toile, les réactions n’ont pas tardé. On reproche à Martin d’avoir oublié la passion montréalaise. Oui, Montréal est critique. Oui, les journalistes sont nombreux, parfois durs, parfois impitoyables. Mais la passion est la même, sinon plus intense encore.
À Montréal, l’entraîneur du Canadien est scruté, disséqué, analysé comme une figure politique. Mais il est aussi adulé lorsqu’il gagne. Et en 2010, Jacques Martin a goûté à cette adulation. Dire aujourd’hui que Québec était plus chaleureux, c’est comme effacer ce chapitre de l’histoire du CH.
Le malaise est réel. Parce que Montréal, malgré ses critiques, se veut aussi le temple du hockey. Et entendre un ancien entraîneur minimiser cet attachement fait mal à l’orgueil collectif.
Il faut replacer ces propos dans un autre contexte : Jacques Martin n’était pas seulement nostalgique. Il parlait aussi au nom des Sénateurs d’Ottawa, qui cherchent à séduire le marché francophone.
Leur propriétaire, Michael Andlauer, l’a dit clairement : Ottawa veut se rapprocher des amateurs de Québec, ces orphelins des Nordiques qui ne se sont jamais reconvertis en partisans du Canadien.
Alors Jacques Martin, volontairement ou non, a joué le jeu. Il a vanté Québec. Il a rappelé la chaleur, la proximité, la passion. Il a donné des munitions à son organisation pour séduire le public de la Capitale.
Mais ce qu’il a peut-être oublié, c’est que tout ce qu’il dit sur Québec résonne à Montréal. Et que Montréal, avec ses millions d’habitants et son marché médiatique immense, n’aime pas être comparée, encore moins diminuée.
Les amateurs du CH sont habitués à la critique. Ils peuvent encaisser les moqueries de Toronto, les railleries de Boston, les comparaisons avec les Rangers. Mais pas ça. Pas de la part d’un ancien entraîneur qui a vécu la passion montréalaise de l’intérieur.
Quand Jacques Martin dit que Québec était plus chaleureux, les partisans du Canadien entendent : Montréal est froid, ingrat, dur. Une image qu’ils rejettent catégoriquement.
Parce que oui, Montréal met de la pression. Mais Montréal, c’est aussi 21 000 personnes au Centre Bell, soir après soir, peu importe les résultats. C’est une ferveur qui ne faiblit jamais.
À 73 ans, Jacques Martin n’a plus rien à prouver. Mais il vient de rappeler une vérité cinglante : dans le hockey québécois, chaque mot compte. Surtout quand on parle des Nordiques et du Canadien. La rivalité est encore vive, même trente ans après le départ de l’équipe de Québec.
Et cette fois, en voulant célébrer ses souvenirs, il a réveillé une vieille cicatrice. Montréal se sent comparée. Montréal se sent attaquée. Montréal se sent trahie.
Ironiquement, les propos de Martin pourraient nuire à la stratégie d’Ottawa. Oui, ils séduisent Québec. Mais ils irritent Montréal. Or, le bassin francophone est immense, et Ottawa a besoin des deux pôles pour espérer élargir sa base de partisans.
En tentant de rallumer la flamme de Québec, Martin risque de refroidir Montréal. Et ce n’est pas certain que Michael Andlauer, en homme d’affaires pragmatique, souhaitait ce genre de controverse.
Jacques Martin voulait sans doute parler avec son cœur. Il voulait dire combien Québec lui avait laissé un souvenir impérissable. Mais en opposant Québec à Montréal, il a franchi une ligne délicate.
Parce qu’à Montréal aussi, il a été accueilli. Parce qu’à Montréal aussi, il a vibré. Parce qu’à Montréal aussi, il a écrit un chapitre de l’histoire du hockey.
Sa nostalgie pour Québec est sincère. Mais elle sonne comme une gifle dans la métropole. Et dans un Québec toujours divisé entre ses deux grandes villes, ce genre de comparaison ne fait qu’envenimer la rivalité.
Jacques Martin voulait raviver des souvenirs. Il a surtout réveillé un malaise.