Il y a des gens qui rêvent toute leur vie de faire fortune. D’autres rêvent de la reconnaissance. Luc Poirier, lui, a confondu les deux.
Depuis quelques semaines, le Québec assiste, médusé, à l’effondrement d’un homme. Un homme qui, à force de vouloir être aimé, admiré, envié, finit aujourd’hui ridiculisé, méprisé, rejeté.
Le nom de Luc Poirier, autrefois entouré d’une aura de self-made-man « inspirant », est devenu un synonyme de malaise, de mauvais goût, d’arrogance clinquante. Un nom qui dérange. Qui fâche. Qui épuise.
Et si Louis Morissette avait eu raison sur toute la ligne?
Il y avait déjà un malaise palpable dans l'émission Vie$ de rêve. Ce cirque de millionnaires futiles qui comptent leurs sacs Hermès et leurs Rolex comme d’autres comptent leurs heures supplémentaires.
Luc Poirier y faisait de brèves apparitions, au bras d’Isabelle Gauvin, son épouse accro au logo, comme un figurant embarrassant dans son propre conte de fées.
Mais ce n’était rien comparé à Luc le milliardaire?, la série documentaire offerte par Crave, où Poirier ouvre grand les portes de son empire… et nous donne envie de les refermer aussitôt.
Hugo Dumas, dans une chronique d’une rare acidité publiée dans La Presse, n’a pas seulement envoyé Luc Poirier sous l’autobus : il l’a broyé dans le moteur, sans airbag, sans pitié.
« C’est également terrifiant de voir un homme de 49 ans avec autant d’argent et si peu de goût », écrit Dumas. Terrifiant. Le mot est fort. Mais juste.
On parle ici d’un homme qui se vante d’avoir 42 Ferrari. Oui, 42. Et qui paie 300 000 $… par mois… en intérêts… sur la dette de 30 millions contractée pour les acheter.
Un homme qui s’achète un yacht à 135 millions d’euros pendant que des familles québécoises n’arrivent plus à payer leur panier d’épicerie. Un homme qui porte un manteau Hermès de 20 000 $ pendant qu’il affirme, sans rire, « ne pas être matérialiste ».
Et c’est là que tout bascule. Parce que même les riches ont des codes. Des limites. Une certaine pudeur. Le quiet luxury, ce luxe discret, sobre, élégant, est devenu la norme chez les ultrariches du monde. Luc Poirier, lui, est l’incarnation du" tacky bling", du mauvais goût sur roulettes, d’un "cash" hurlé dans des haut-parleurs dorés.
Louis Morissette, visionnaire?
Quand Poirier a affirmé publiquement, sans preuve, que Morissette empochait 5000 $ par événement caritatif lié à sa propre fondation, on a cru à une guerre d’ego. Une bourde. Une attaque gratuite.
Des propos jugés « diffamatoires, malicieux, calomnieux » par les avocats de Morissette.
« Louis Morissette, c’est un gars qui veut pas que ça paraisse, comme tous les Québécois qui ont un peu de succès. Il se cache. Il veut pas qu’on voie qu’il a de l’argent. Moi je trouve ça hypocrite. »
Aujourd’hui, on comprend mieux d’où venait la frustration : Poirier voyait en Morissette ce qu’il ne sera jamais.
Un homme respecté, admiré, dont la parole pèse plus que ses Rolex. Et quand Hugo Dumas affirme que Luc Poirier « dégage autant de chaleur humaine qu’une ampoule brûlée », c’est toute la perception du Québec qui s’aligne sur cette gifle. Poirier a perdu perdu l'amour d'une province entière.
Avec le recul, on réalise à quel point Morissette avait mis le doigt sur le bobo.
« Dans une société où les gens ont de la difficulté à payer l’épicerie, aller flasher sa richesse, ses chars de même, je trouve ça vulgaire.” », avait-il dit.
Il y a un moment particulièrement gênant dans Luc le milliardaire ? qui semble avoir échappé à bien des téléspectateurs, mais que Louis Morissette aurait certainement encadré : la scène où Luc Poirier exhibe fièrement son scooter Christian Dior à 60 000 dollars.
Un scooter. Dior. Dans un monde où même les influenceurs les plus décadents commencent à comprendre qu’exhiber leur richesse est une forme d’agression visuelle, Poirier lui, jubile. Il le regarde comme un enfant devant un jouet, sauf que cet enfant a un ego hypertrophié et zéro filtre. Ce n’est pas du luxe. C’est une farce. Une blague malaisante de la richesse. Une insulte à ceux qui peinent à faire le plein d’essence.
Dans la même veine, il faut absolument souligner ce que Poirier appelle son « petit coin de bonheur » : un terrain garni de gazon synthétique à 14 000 $, autour de son château à Candiac.
Qui, dans l’histoire du Québec moderne, peut prétendre avoir dépensé une fortune pour un gazon en plastique dans une province où les gens manifestent contre les hausses de taxes foncières et les factures d’Hydro? C’est au-delà du mauvais goût.
Aujourd’hui, c’est tout le Québec qui donne raison à Morissette. Poirier, loin d’avoir redoré son image, a accéléré son naufrage médiatique. Et les dragons de Radio-Canada n’ont rien pu faire pour le sauver.
Son passage dans Dans l’œil du dragon a été désastreux. Une apparition ternie par une voix monotone, une absence de répartie, un charisme d'un homme qui a créé son identité par les billets verts et qui ne sait pas ce que veut dire le concept de "classe".
Dumas le dit avec la précision d’un chirurgien :
« Cet entrepreneur et philanthrope s’exprime sur le ton monocorde d’un adolescent dont la voix mue. »
Et ça, ce n’est pas une métaphore. C’est une gifle.
Luc Poirier n’a pas seulement perdu la bataille médiatique. Il a perdu quelque chose de plus profond : l’amour du public. Le respect. Cette affection spontanée qu’on peut éprouver pour des gens brillants, mais simples. Riches, mais généreux. Ambitieux, mais discrets.
Poirier, lui, donne l’impression d’un enfant riche dans un magasin de jouets, qui ne comprend pas pourquoi on ne l’applaudit pas plus fort.
Il semble incapable de saisir l’écosystème social dans lequel il baigne. Pendant qu’il nous montre ses diamants, ses bolides, ses sacs Dior, les gens ont de la difficulté à faire leur épicerie.
Et lui? Il fait un documentaire sur ses 3 greffes de cheveux à 12 000 dollars chacune.
Il a beau rappeler qu’il vient d’un HLM à Longueuil, qu’il travaillait 44 heures par semaine à 14 ans, qu’il s’est acheté une Porsche avant même son permis de conduire… la sauce ne prend plus. On ne croit plus à son récit d’ascension. Parce que ce n’est plus de l’admiration qu’on ressent. C’est du dégoût.
Il voulait être aimé. Il est devenu une caricature.
Il y a quelque chose de foncièrement triste dans tout ça. Poirier voulait être reconnu. Aimé. Récompensé pour sa réussite. Il voulait inspirer. L’histoire d’un p’tit gars de Longueuil devenu milliardaire. Mais à force de vouloir prouver sa valeur avec des objets, il a vidé son personnage de toute humanité.
La plus belle richesse, c’est celle qui ne se voit pas. Celle qui s’écoute. Qui se ressent. Qui élève.
Luc Poirier, avec ses jets, ses diamants, ses yachts et ses bolides, est devenu l’illustration parfaite que la classe ne s'achète pas. On peut être riche comme Crésus, et pauvre dans son coeur.
Et maintenant?
Radio-Canada, Crave, Bell Média… Tous les diffuseurs qui ont misé sur l’image de Poirier doivent aujourd’hui se mordre les doigts. Le malaise est palpable. L’irritation monte. Le public décroche.
Le plus ironique, c’est que Poirier lui-même ne semble pas comprendre. Il ne voit pas que les Québécois n’en peuvent plus de cette richesse décomplexée, déconnectée, inutilement vulgaire. Il croit encore que son château à Candiac et son gazon synthétique à 14 000 $ vont faire rêver.
Mais il ne fait rêver personne. Il fait grimacer.