C’était censé être une parenthèse douce dans la tempête. Une entrevue sans prétention, un moment léger, une sœur qui parle de l’autre, avec tendresse et réconciliation. Mais au Québec, rien n’est jamais simple quand on s’appelle Bouchard.
Béatrice Bouchard, sœur jumelle d’Eugénie, a vécu cette semaine ce que sa sœur a subi pendant dix ans : le tribunal populaire.
Et cette fois, le verdict est tombé en moins de vingt-quatre heures. Impitoyable. Sans appel. Béatrice s’est fait envoyer sous l’autobus par tout le Québec francophone pour une seule et unique raison : elle a osé s’exprimer en anglais dans une entrevue accordée à Frédéric Gay sur TVA Sports.
Une avalanche de critiques… et une censure immédiate...
Les insultes ont fusé. Les commentaires ont débordé. Les réseaux sociaux ont explosé. Et TVA Sports, visiblement dépassée par la tempête, a fait ce que peu de médias osent faire aujourd’hui : ils ont désactivé les commentaires sur YouTube.
Pour se rendre compte que les commentaires de leur chaîne au complet avaient été désactivées. Car TVA Sports sait trop bien que sur leurs ondes, les choses peuvent vite déraper.
Mais qu’avait-elle dit, exactement, cette Béatrice Bouchard, pour déclencher un tel tsunami d’indignation?
Rien de grave. Rien d’agressif. Rien d’insultant. Elle a simplement répondu en anglais aux questions d’une animatrice francophone.
Le pire, c'est qu'elle a tenté de répondre en français. Et elle le faisait bien, même si son ton était hésitant. Elle a juste abandonné par paresse devant tout le Québec.
Elle a retrouvé son accent anglais parfait, son calme habituel, son élégance toute Instagrammée. Et dans ce Québec écorché par les insécurités linguistiques, ça a suffi à faire exploser la poudrière.
Un détail… ou un symbole?
Le problème, ce n’est pas juste qu’elle ait parlé en anglais. C’est qu’elle ait parlé en anglais à TVA Sports, une chaîne francophone, à une heure de grande écoute, devant un public déjà survolté par les adieux d’Eugénie … des adieux eux-mêmes principalement livrés en anglais.
Et pourtant, Béatrice parle français. On le sait. Elle l’a déjà démontré. Elle l’a utilisé dans le passé, notamment lorsqu’elle travaillait comme hôtesse dans plusieurs établissements branchés de Montréal, dont le Mayfair, ce bar huppé aujourd’hui fermé mais autrefois symbole de la vie nocturne montréalaise.
Elle savait dire « bonsoir », elle savait vendre des bouteilles à 400 $, elle savait gérer une clientèle francophone.
Alors pourquoi ce choix de l’anglais, sur les ondes d’un réseau francophone? Pourquoi ne pas faire le moindre effort linguistique pour saluer le public d’ici? Voilà la question qui fâche. Et qui, pour beaucoup, justifie l’acharnement.
La mémoire collective a la rancune tenace, surtout ici.
Ce n’est pas nouveau : au Québec, la famille Bouchard ne fait jamais les choses à moitié. Eugénie, on le sait, a elle-même provoqué de vives polémiques avec ses déclarations sur son « accent anglais » et son rejet explicite de l’accent québécois, qu’elle qualifiait, à demi-mot, de honteux.
Une phrase est restée dans les mémoires :
« Je ne parle pas avec un accent québécois, alors au moins, ça, c’est bon. »
Cette déclaration avait enflammé les réseaux sociaux, provoqué des chroniques incendiaires, et même fait sortir de leurs gonds des figures publiques comme Mathieu Bock-Côté ou Michel Villeneuve.
Ce dernier ne s’est d’ailleurs pas gêné cette semaine pour revenir à la charge, affirmant qu’Eugénie n’a rien compris au Québec, et qu’elle ne mérite pas de figurer parmi les grands noms du sport d’ici.
Son crime? Avoir prononcé la quasi-totalité de son discours d’adieu en anglais, devant un Stade IGA rempli à ras bord de partisans francophones.
Alors quand Béatrice, à peine quelques jours plus tard, vient elle aussi parler en anglais dans une entrevue très attendue… c’est la goutte de trop.
Elle rouvre des blessures non refermées. Et surtout, elle donne l’impression que chez les Bouchard, le Québec n’est qu’un tremplin, jamais une appartenance.
Une entrevue qui voulait faire le bien… mais qui a tout cassé...
Ce qui rend l’affaire encore plus ironique, c’est que le message de Béatrice était à mille lieues de la provocation. Elle voulait parler de paix, de réconciliation.
Elle voulait dire que les deux sœurs, après des années de silence, avaient fait la paix. Qu’elles avaient enterré la hache de guerre. Qu’après des années à se faire mal dans les médias, elles avaient retrouvé le lien jumeau qui les unissait.
Et c’est vrai que les cicatrices étaient profondes. Béatrice avait jadis raconté publiquement à quel point elle s’était sentie rejetée par Eugénie.
Elle avait raconté qu’après le divorce de leurs parents, les deux jumelles avaient été séparées, et que depuis l’âge de dix ans, elle ne voyait sa sœur qu’à peine deux fois par an.
Elle avait même lancé, dans une déclaration devenue virale :
« Je connais plus mon caissier à l’épicerie que ma propre sœur. »
Et plus encore :
« Si je voulais aller la voir à Wimbledon, elle me disait : achète ton billet. »
Ces mots avaient fait mal. Très mal. À Eugénie, à leur mère, et à bien des partisans. Mais cette semaine, tout semblait derrière elles.
Elles s’étaient retrouvées, enlacées, complices sur Instagram. Elles avaient fêté leur anniversaire ensemble à Aspen.
Elles s’étaient affichées à Coachella. Deux reines d’Instagram, deux ambassadrices du glamour, enfin réconciliées. Le conte de fée retrouvait sa trame.
Mais encore une fois, au Québec, le langage est roi. Et le pardon ne passe pas par un filtre. Il passe par le français.
Ce que Béatrice ne semble pas avoir compris, ou qu’elle a peut-être délibérément ignoré, c’est qu’au Québec, le français n’est pas un simple outil de communication. C’est un marqueur identitaire. Une ligne de front culturelle. Une fierté.
Et quand une célébrité, née ici, élevée ici, choisit de s’exprimer publiquement en anglais, c’est perçu comme une trahison. Un abandon. Même si c’est dit avec amour. Même si c’est dit avec tact.
C’est peut-être injuste. C’est peut-être exagéré. Mais c’est réel.
Et dans un Québec blessé par l’insécurité linguistique, dans un Québec où l’anglais gruge du terrain chaque jour dans les rues, les entreprises, les services, les figures publiques n’ont pas le luxe de l’indifférence linguistique.
Et pendant que Béatrice tentait de faire bonne figure à TVA Sports, pendant que les modérateurs supprimaient les insultes sur YouTube, un autre front s’ouvrait ailleurs.
Michel Villeneuve, toujours prêt à cogner fort, affirmait sur les ondes que la sortie d’Eugénie en anglais était une insulte, et qu’elle ne serait jamais une grande du sport québécois.
« Elle n’a rien compris… s’adresser prioritairement à la foule montréalaise majoritairement en anglais. »
Et pourtant, Eugénie avait fini son discours par un court message en français :
« Merci, merci, merci ! Je vous aime. »
Mais c’était trop peu, trop tard.
Et maintenant?
Il faut le dire franchement : il y a un malaise collectif au Québec avec les sœurs Bouchard. Leur glamour, leur distance, leur anglais, leur image trop léchée, trop parfaite, trop californienne.
Elles ne cochent pas les cases. Elles ne font pas les courbettes. Elles ne parlent pas souvent français. Et quand elles le font, c’est à la toute fin, comme un post-scriptum gêné.
Et pourtant, elles sont d’ici. Nées à Westmount, certes. Mais d’ici. Elles ont grandi ici. Béatrice a travaillé ici. Eugénie a frappé ses premières balles à Montréal. Le public les a acclamées, jugées, rejetées, réhabilitées. Mais il n’est jamais resté indifférent.
Alors, faut-il crucifier Béatrice pour quelques phrases en anglais? Faut-il la condamner à l’oubli? Ou faut-il, au contraire, lui dire que la porte reste ouverte, à condition qu’elle fasse un pas vers nous?
Le choix lui appartient.
Mais une chose est certaine : au Québec, on peut pardonner beaucoup de choses, sauf l’oubli de notre langue.