On croyait que la guerre entre Michael Andlauer et Geoff Molson allait s’apaiser avec le temps.
C’était mal connaître le nouveau propriétaire des Sénateurs d’Ottawa. L’homme d’affaires, ancien partenaire actionnaire du Canadien de Montréal, a une mémoire longue et une langue cinglante.
Et, une fois de plus, il a choisi la voie publique pour ridiculiser l’organisation montréalaise. Cette fois, le champ de bataille n’est ni une salle de conseil d’administration ni un amphithéâtre bondé : c’est la ville de Québec, où le Canadien a prolongé son séjour après un match préparatoire contre Ottawa, provoquant une nouvelle sortie sans pitié d’Andlauer.
Derrière l’ironie de ses propos se cache une véritable stratégie d’humiliation, qui s’inscrit dans une série d’attaques calculées depuis son arrivée à la tête des Sénateurs.
Tout est parti d’un simple commentaire aux médias et aux partisans. Interrogé sur le fait que le CH avait décidé de demeurer trois jours de plus à Québec après une victoire de 5 à 0 au Centre Vidéotron contre sa formation, Michael Andlauer a répondu de manière tellement baveuse :
« Il a fallu que les Sénateurs passent quatre jours à Québec pour qu’ils réalisent que c’est un bon marché pour eux. »
Derrière cette phrase se cache une gifle symbolique adressée directement à Geoff Molson. Car c’est Andlauer lui-même qui avait initié le retour du Canadien à Québec en calendrier préparatoire, après cinq années d’absence. Ce n’est pas Montréal qui a décidé d’y aller d’elle-même : ce sont les Sénateurs qui ont choisi d’y tenir une partie de leur camp d’entraînement pour élargir leur base de partisans francophones, forçant ainsi la main au Tricolore. Le CH n’a fait que suivre.
Cette sortie est la suite d'un long conflit. En se plaçant au centre de l’initiative, Andlauer se positionne comme celui qui a redonné au marché de Québec une importance dans le calendrier de la LNH. Et en soulignant le retard stratégique du CH, il attaque Molson sur un terrain qui lui est cher : celui de la vision à long terme et de l’influence territoriale.
Pendant des décennies, Québec a été considéré comme le territoire naturel du Canadien. Voir un ancien actionnaire, devenu rival, s’en approprier une partie de l’image pour mieux humilier son ancienne organisation, c’est une scène que personne n’aurait imaginée il y a encore quelques années.
Mais Andlauer ne fonctionne pas comme les autres propriétaires : il parle, il pique et il sème le trouble là où Molson préfère généralement esquiver.
Cette flèche publique trouve toute sa résonance lorsqu’on se replonge dans l’automne 2023, au moment où Michael Andlauer venait tout juste d’acheter les Sénateurs.
Devant ses nouveaux partisans, il avait tenu une séance de questions-réponses qui a marqué les esprits. Interrogé sur son passé comme actionnaire du Canadien, il avait dégainé sans la moindre retenue.
« Geoff et moi, nous n'avons jamais été très proches. Je ne pense pas que ce soit un bon gestionnaire dans le monde du hockey », avait-il lancé.
Cette phrase, prononcée sur un ton calme mais ferme, avait fait l’effet d’une bombe à Montréal. Jamais, dans l’histoire récente de la LNH, un ancien partenaire n’avait ainsi publiquement qualifié le propriétaire d’une autre équipe de « mauvais gestionnaire ». Et encore moins lorsqu’il s’agit d’un club aussi scruté que le Canadien de Montréal.
Mais Andlauer ne s’était pas arrêté là. Il avait expliqué qu’il avait, à plusieurs reprises, tenté d’influencer la direction du Canadien lorsqu’il était actionnaire.
Il voulait que Molson nomme une autre personne comme président de l’équipe, remettant directement en question la structure de gestion interne.
Il avait également confié qu’il avait souvent été en désaccord avec les décisions stratégiques, notamment celle de repêcher le défenseur Logan Mailloux alors que le joueur lui-même avait demandé de ne pas être sélectionné.
Ce choix, selon plusieurs sources, l’avait profondément enragé, au point où il avait activement poussé pour que Marc Bergevin soit congédié.
Mais la relation d’amitié entre Molson et Bergevin rendait cette décision difficile à faire adopter au conseil d’administration. Pour Andlauer, il y avait là un exemple frappant de gestion émotive plutôt que rationnelle.
Ces déclarations publiques avaient été perçues comme un règlement de comptes spectaculaire. Et dans les mois qui ont suivi, Andlauer n’a rien fait pour atténuer la tension.
Il a répété à plusieurs reprises qu’il était soulagé d’avoir enfin sa propre équipe et de ne plus dépendre de quiconque pour prendre des décisions.
L’implication était claire : Geoff Molson et son entourage constituaient un frein. En d’autres mots, le Canadien était dirigé par un cercle fermé imperméable aux idées nouvelles.
Ce ressentiment ne date pourtant pas d’hier. Dès 2012, Andlauer avait une vision alternative pour le CH. Il souhaitait ardemment que Julien Brisebois, alors étoile montante dans les bureaux de la LNH, devienne directeur général, et que Patrick Roy prenne les rênes comme entraîneur-chef.
Ce scénario aurait radicalement changé la trajectoire de l’organisation. Mais Molson a préféré Marc Bergevin, et le tandem Brisebois-Roy est resté dans le domaine du fantasme.
Puis, en 2021, lorsque Geoff Molson a discrètement engagé Jeff Gorton comme vice-président exécutif, Andlauer a encore tenté de pousser pour que Roy soit impliqué dans la relance, soit comme directeur général, soit comme entraîneur.
Mais Gorton avait déjà son « country club » en tête : Kent Hughes comme DG et Martin St-Louis comme coach. La porte était fermée.
Cette série de frustrations accumulées explique la hargne publique d’Andlauer. Il ne s’agit pas simplement de rivalité sportive. Il s’agit d’un ancien partenaire qui a longtemps tenté d’influencer le Canadien de l’intérieur, sans succès, et qui aujourd’hui prend sa revanche en construisant une rivalité structurelle entre deux franchises qui n’ont historiquement jamais été sur un pied d’égalité.
Ottawa a toujours été perçu comme un marché secondaire, sans la force d’attraction de Montréal. Mais avec un propriétaire aussi vocal et stratège qu’Andlauer, la dynamique est en train de changer.
Cette tension ajoute une dimension explosive à la rivalité Montréal–Ottawa. Ce n’est plus seulement une question de classement dans la division Atlantique. C’est une guerre d’image, de symboles, de haine sportive... et humaine..
La sortie sur Québec prend alors une couleur beaucoup plus stratégique. Ce n’est pas simplement une taquinerie : c’est une façon de dire au Canadien que le territoire québécois n’est plus automatiquement le sien.
En mettant les Sénateurs au cœur de la réactivation du marché de Québec, Andlauer envoie le message que son organisation peut non seulement rivaliser sportivement, mais aussi s’imposer culturellement.
Québec, bastion naturel du CH depuis toujours, devient un terrain convoité. Et voir le CH rester trois jours de plus après un match contre Ottawa, alors que c’est l’initiative d’Andlauer qui les a ramenés là, ne pouvait qu’alimenter sa satisfaction moqueuse.
Pendant ce temps, Geoff Molson se retrouve dans une position délicate. Répondre publiquement à Andlauer reviendrait à donner encore plus d’écho à ses attaques.
Ne rien dire, c’est laisser un ancien partenaire façonner le récit à sa place. Et dans le contexte montréalais, où une frange importante de la base partisane remet déjà en question la direction actuelle, chaque mot d’Andlauer trouve un écho particulier.
Quand il dit que Molson est un mauvais gestionnaire, certains partisans hochent la tête. Quand il souligne que c’est lui qui a relancé le marché de Québec, d’autres y voient la preuve d’un manque de vision du CH. Molson, homme discret par nature, n’est pas armé pour répondre sur ce terrain.
Ce duel personnel devient ainsi une rivalité institutionnelle. Ce qui n’était au départ qu’un différend entre deux actionnaires prend aujourd’hui la forme d’une confrontation qui va au-delà de la business.
D’un côté, Geoff Molson, héritier d’une tradition, fidèle à un certain conservatisme stratégique. De l’autre, Michael Andlauer, entrepreneur combatif qui n’hésite pas à provoquer pour exister.
Et si le visage de Geoff Molson était rouge le lendemain de la dernière sortie d’Andlauer, c’était autant de colère que de trahison. Car il sait que l’attaque ne vient pas d’un rival traditionnel, mais d’un homme qui connaît la maison de l’intérieur.
Cette guerre ne fait que commencer...