Le Canadien de Montréal aurait obtenu un défenseur offensif de premier plan. Et surtout un homme avec un mental d'acier qui refuse d’être ignoré.
Avec Bryce Pickford, sélectionné au troisième tour (81e au total), le Canadien de Montréal n’a pas seulement repêché un défenseur offensif capable de marquer des buts au rythme d’un attaquant, il a mis la main sur un profil psychologique rare, un joueur qui se nourrit du mépris, qui retient les noms de ceux qui ne l’ont pas choisi, un compétiteur qui transforme la frustration en carburant.
Pickford ne veut pas prouver qu’il peut jouer dans la LNH : il veut humilier ceux qui ont douté. Et c’est exactement ce genre de personnalité qui change la trajectoire d’une organisation.
«Il n’est pas comme les autres joueurs. Il a une mentalité différente», prévient Willie Desjardins, son entraîneur à Medicine Hat.
«Incroyablement loyal. Quand tu l’as de ton côté, il est all in.»
Montréal l’a repêché à sa deuxième année d’admissibilité. On parle déjà d'un vol. Pour les 31 autres clubs qui l’ont ignoré, ils vont le regretter toute leur vie.
Detroit en sait quelque chose. Après l’avoir snobé en 2024, les Red Wings l’ont invité à leur camp de développement. Il a refusé... par principe.
«J’étais fâché. J’avais déjà prévu passer la semaine au camp de Darryl Belfry, le meilleur entraîneur d’habiletés au monde. Je leur ai répondu:
“Vous ne m’avez pas repêché. Vous ne me voulez pas tant que ça. Alors je ne viens pas.”»
Il raconte ça en riant, mais on peut sentir le feu dans sa voix.
«Ils n’ont jamais répondu à mon texto. Je pense qu’ils étaient aigris.»
Ce n’est pas de l’arrogance. C'est seulement agir par principe. Pickford classe les gens entre ceux qui croient en lui et les autres. Et il n’oublie jamais.
Impossible de ne pas penser à The Last Dance et au carburant psychologique qui animait Michael Jordan. Pickford fonctionne sur le même modèle.
«J’ai utilisé cet épisode avec les Red Wings comme source de motivation. Cet été-là, je l’ai passé à tirer des rondelles sans interruption. Je lançais des rondelles pendant des heures à l’aréna jusqu’à ce qu’il fasse noir.»
Ce n’est pas un hasard si son tir est aujourd’hui considéré comme un boulet. Ce sont des milliers d’heures de rancune transformées en puissance.
Ce contexte permet aussi de comprendre comment Medicine Hat a réveillé ce qu’il était vraiment. À Seattle (Thunderbirds), on lui avait imposé une cage :
«Ils ne m’ont pas donné une vraie chance de montrer ce que j’ai. J’étais confiné à un rôle défensif et ils ne voulaient pas que j’attaque. Si je faisais un revirement quand je me portais à l’attaque, ils se fâchaient.»
Quand les Thunderbirds l’ont échangé, il ne s’est pas contenté d’exploser. Il a réglé des comptes.
«Ils m’ont échangé à Medicine Hat et, eux, ils voulaient que j’appuie l’attaque.» Résultat? Un record moderne de la WHL pour un défenseur en séries : 13 buts, 24 points en 18 matchs.
Il a marqué 20 buts, 27 passes pour 47 points en 48 matchs la saison dernière. Voici tous ses buts:
Cette saison? 21 points (11 buts) en 19 matchs.
Sa puissance offensive ne sort pas de nulle part.
«J’ai tiré une tonne de rondelles dehors en grandissant sur la ferme familiale», dit-il. Il vient de Chauvin, Alberta, 300 habitants.
Une enfance à la dure, à manier des outils, à travailler, à se battre. Littéralement.
«J’ai fait cinq ans de boxe, quatre ans de lutte et du MMA et jiu-jitsu.»
C’est ce qui fascine le Canadien : ce n’est pas un talent "soft", c’est un joueur qui se forme comme un combattant. Quand Martin Lapointe disait au camp de développement :
«Il a un côté sombre si tu le picosses trop».
Ce tempérament est à la fois un moteur et un risque. Pickford est souvent expulsé parce qu'il pète des coches sur la glace. Même quand il se fait frapper légalement, il saute un plomb:
«C’est quelque chose qu’il faut gérer», concède Desjardins. Mais il préfère ça à la mollesse.
«Il est extrêmement compétitif. Il est intempestif et c’est quelque chose qu’il faut gérer. On adore ça, mais on veut le garder sur la glace.»
Et la scène qui résume peut-être le mieux son ADN :
«On jouait à l’étranger à un moment et il nous manquait des gars. Il était vraiment malade sur le banc. Et c’est lui qui a marqué le but gagnant. Il n’y a absolument rien de mou dans ce jeune homme.»
Le fait d'avoir été sélectionné par le Canadien de Montréal est un rêve éveillé.
«C’était incroyable. Les fans sont fous. Je n’ai jamais vu des partisans aussi intenses.»
Il n’a encore rien vu. Mais ce qui compte, c’est la compatibilité : Montréal veut des joueurs avec du chien, pas des figurants. Pickford est un joueur qui se nourrit de l’intensité, qui veut combler un vide, qui veut devenir quelqu’un qu’on n’ignore plus jamais.
Desjardins résume en une phrase pourquoi Pickford pourrait réussir là où tant d’autres défenseurs offensifs échouent :
«Il est ultracompétitif et si tu n’as pas ça, il n’y a aucun espoir d’avoir un joueur de hockey.» Le talent existe partout. Le caractère, beaucoup plus rarement.
Le Canadien n’a aucune garantie. Il n’y a jamais de garantie avec un choix de troisième ronde. Mais il y a deux types d’erreurs dans un repêchage : sélectionner un joueur trop tôt ou ignorer un compétiteur né.
Montréal a misé sur le second scénario. Il ne s’agit pas de deviner si Pickford fera la LNH. Il s’agit de comprendre ce qui arrivera si elle le repousse une fois de trop.
Et l’histoire montre qu’il ne répond pas en acceptant son sort.
Il répond en visant la gorge.
