Il n’a jamais été un joueur comme les autres. Trop petit pour la LNH. Trop lent, disaient-ils. Trop frêle. Trop intense, même, parfois.
Mais pendant plus de dix ans, Brendan Gallagher a déjoué les probabilités et défié la logique. Il a porté le flambeau d’une équipe qui se cherchait une identité, souvent seul contre tous, le visage éraflé, les hanches finies, les mains meurtries.
Mais aujourd’hui, à 31 ans, l’homme fort dans l’âme semble pris en otage par un corps qui n’en peut plus de suivre le rythme.
Ce matin à Brossard, Brendan Gallagher n’était pas sur la glace. Officiellement, il recevait des traitements. Officieusement, il pompait déjà l’huile depuis plusieurs matchs. Son absence, jumelée à celle de Kirby Dach, soulève une inquiétude légitime : combien de temps Gallagher pourra-t-il encore encaisser?
Mardi dernier, contre le Kraken de Seattle, le #11 a disputé l’un de ses matchs les plus effacés de la saison. Zéro tir au but. Zéro impact tangible. Zéro moment typique de Gallagher où il s’enfonce dans l’enclave au prix d’un coup de coude ou d’un double-échec. Il semblait vidé. Physiquement ailleurs. Un fantôme.
Et pourtant, il ne faut pas oublier le début de saison qu’il venait de connaître. Six passes en onze matchs. Un différentiel de +1 dans un rôle de profondeur, sans avantage numérique.
Un Gallagher travaillant, à l’aise avec sa place de plombier de profondeur.
Après des années de douleur et d’acharnement, il avait enfin retrouvé un peu de rythme. On parlait même de renaissance. Mais les signes sont là : deux ans avant la fin de son contrat, le corps... abandonne...
Il n'y a pas si longtemps, Gallagher était au centre de toutes les discussions salariales. À 6,5 M$ par année jusqu’en 2027, plusieurs réclamaient un rachat ou rêvait à liste des blessés à long terme.
Le public québécois n’avait plus la patience. Mais cette saison, le débat n'est plus là. Ce n’est plus le contrat qui fait jaser, c’est l’état du soldat.
Gallagher lui-même, dans une récente entrevue rapportée par le Journal de Montréal, a reconnu que les moments sombres ont été nombreux.
Mais jamais, dit-il, il n’a perdu confiance.
« Je n’ai jamais été inquiet. Je ne me suis jamais remis en question. J’ai toujours continué d’avoir confiance en moi, en ce que je suis capable de faire. »
Ce n’est pas le joueur qui a lâché... c’est le corps.
L’an passé, il a retrouvé la marque des 20 buts (21), ce qui paraissait impensable deux ans plus tôt. Il a même terminé troisième buteur du club, tout en n'ayant raté que cinq matchs en deux saisons.
Une performance qui, dans un alignement surchargé de jeunes talent, a rappelé pourquoi il mérite encore sa place dans la chambre et sur la glace.
Mais là, la fatigue s’installe. Et elle est visible.
Brendan Gallagher n’a jamais triché. Son style de jeu n’est pas fait pour la longévité. Il s’est toujours nourri du chaos : aller devant le filet, prendre les coups, se relever, recommencer.
Une recette d’acharnement, mais aussi d'usure. On ne compte plus les fractures, les entorses, les commotions, les blessures au bas du corps « non divulguées ». Et mardi contre Seattle, tout ça semblait l’avoir rattrapé.
Il était lent à revenir en zone neutre, hésitant sur ses pivots, et n’a jamais menacé le filet dverse. Son visage affichait la fatigue. Pas une fatigue mentale ou émotionnelle, Gallagher est plus heureux que jamais dans sa vie personnelle lui qui est nouveau papa, mais une fatigue physique évidente, presque douloureuse à observer pour ceux qui l’ont connu au sommet de son intensité.
Son absence ce matin à l'entraînement de Brossard n'était pas une surprise. C'était une suite logique. Il joue blessé. Il pousse trop loin. Et tout le monde commence à se demander si son corps tiendra jusqu’à la fin de la saison, ou s’il faudra envisager une relégation sur la LTIR (liste des blessés à long terme), comme plusieurs l'ont déjà vécu avant lui.
Il ne faut pas oublier le choc personnel majeur. En août 2021, sa mère a reçu un diagnostic de cancer du cerveau. Pendant quatre ans, il a vécu ce drame en silence, sans jamais l’utiliser comme excuse, mais tout en admettant aujourd’hui que, pour la première fois de sa vie, le hockey n’était plus la priorité.
« Mon corps s’est mis à avoir de la misère durant la saison et ça m’a pris du temps à revenir avec la même forme, honnêtement. »
Gallagher est aujourd’hui un père, un mari, un homme changé. Il dit avoir trouvé un nouvel équilibre avec son épouse, qu’il cite sans hésiter comme « la chose qu’il aime le plus du Québec ».
Mais ce nouvel équilibre vient avec une prise de conscience : la LNH n’attend personne. Et si tu ne peux plus suivre, elle te montre la sortie.
Gallagher va-t-il finir sur la LTIR?
C’est la question qui flotte, de plus en plus forte. Avec encore deux ans à écouler sur son contrat de 6,5 M$ par saison, est-ce que Gallagher pourra terminer son entente sur la glace?
Ou est-ce que son corps, déjà à bout de souffle, va forcer la main de l’organisation pour l’écarter comme l’ont été Carey Price, Paul Byron ou Shea Weber?
En ce moment, le CH compte seulement 18 patineurs en santé. Si Gallagher est absent samedi, un rappel sera nécessaire.
Mais il sera là. Car tout le monde veut croire que Gallagher peut encore contribuer. Mais personne, pas même lui, ne peut garantir que son corps tiendra 70 matchs de plus.
Contre le Kraken, c’était flagrant. Le guerrier était vidé. Pas sur le plan de l’envie, ni du caractère. Mais dans les jambes. Et à la vitesse où va la LNH actuelle, ce genre de déficit se paie cher.
Peu importe ce qui attend Gallagher d’ici 2027, il aura réussi à reconquérir le respect des partisans et des observateurs. Là où il était moqué, il est aujourd’hui admiré. Là où on voyait un contrat toxique, on voit maintenant un joueur qui a tenu tête au doute, et à la douleur.
Mais le constat reste dur. Son corps est en train de lâcher. Lentement, douloureusement, jusqu'à un point de non-retour. Et personne ne mérite cette sortie plus que Gallagher.
Il ne partira pas en claquant la porte. Il va s’accrocher jusqu’à la dernière seconde. Il va tirer chaque once d’énergie qu’il lui reste.
Mais à Brossard, ce matin, ça sent le début de la fin.
