Bombe sportive en Amérique du Nord: le lock-out sera déclaré

Bombe sportive en Amérique du Nord: le lock-out sera déclaré

Par David Garel le 2025-07-28

Imaginez la scène. Dans le vestiaire d’une équipe professionnelle, la plus grande vedette du club, armée d’un bâton, se lève, traverse la pièce, se plante devant le commissaire du sport professionnel en question, le regarde droit dans les yeux et lui dit :

« Si tu veux parler de ça, tu peux foutre le camp de notre vestiaire. »

C’est exactement ce qui s’est produit la semaine dernière dans le vestiaire des Phillies de Philadelphie, alors que Bryce Harper, double récipiendaire du titre de joueur le plus utile dans la Ligue nationale, a fait face au commissaire du baseball majeur, Rob Manfred, dans ce qui s’annonce déjà comme un moment charnière de la guerre qui couve entre les joueurs et les propriétaires.

Officiellement, Manfred était là dans le cadre de sa tournée annuelle, durant laquelle il rencontre les 30 équipes de la MLB pour faire le point avec les joueurs.

Officieusement, cette réunion s’est rapidement transformée en confrontation explosive. Manfred, comme à son habitude, a évité d’utiliser les mots « salary cap » de manière explicite.

Mais les insinuations, les allusions à l’économie du baseball, et les critiques voilées contre l’état actuel des finances du sport ont suffi à faire bouillir Harper.

Tranquille durant la première partie de la réunion, le cogneur étoile des Phillies tenait un bâton dans ses mains, assis sur une chaise.

Puis, visiblement exaspéré, il s’est levé. Il s’est dirigé vers le centre de la pièce, s’est mis nez à nez avec le commissaire, et lui a lancé :

« Si tu veux parler de ça, tu vas foutre le camp de notre clubhouse. »

Autrement dit, si tu veux parler de plafond salarial, dégage.

Un geste impensable dans n’importe quel autre sport.

Pour mettre cette scène en perspective, c’est comme si Connor McDavid, capitaine des Oilers d’Edmonton et visage incontesté de la LNH, disait à Gary Bettman :

« Va-t’en de notre vestiaire. »

L’impact serait monumental, immédiat, et possiblement irréversible. Or, dans le monde chaotique du baseball majeur, ce genre de confrontation, bien que rare, n’est pas inimaginable.

Car contrairement à la LNH, la NFL, la NBA et même la MLS, la MLB est le seul grand circuit nord-américain sans plafond salarial.

Et c’est exactement ça le cœur du conflit.

Les propriétaires veulent un plafond salarial. Les joueurs n’en veulent pas. C’est un vieux combat, qui a déjà mené à la pire crise de l’histoire du sport en 1994, lorsque la Série mondiale a été annulée à cause d’une grève des joueurs. 

Depuis, le statu quo règne : pas de plafond, mais une « taxe de luxe » qui pénalise les équipes qui dépassent un certain seuil de dépenses.

Mais cette taxe, qui devait à l’origine servir de mesure incitative pour maintenir une certaine équité, est devenue un simple prix à payer pour les grandes franchises riches comme les Dodgers, les Yankees ou les Mets.

Pendant que Los Angeles aligne une masse salariale de plus de 400 millions de dollars, des équipes comme les Marlins tournent à peine sous les 90 millions. Ce gouffre est perçu par plusieurs comme un affront à l’idée même de compétition sportive.

Bryce Harper, bien qu’il ait rarement été un acteur central dans les dossiers de relations de travail dans le passé, est désormais le visage du refus des joueurs.

À 32 ans, fort d’un contrat de 330 millions $ sur 13 ans, il a tout à perdre d’un arrêt de travail. Et pourtant, il a lancé ce message clair :

« Si vous voulez aller jusqu’au bout pour imposer un cap salarial, nous sommes prêts à perdre 162 matchs. »

En d’autres mots : si vous voulez la guerre, vous l’aurez.

Selon plusieurs sources, Rob Manfred aurait même évoqué le mot « lockout », un arrêt de travail imposé par les propriétaires, alors que la convention collective actuelle n’expire que le 1er décembre 2026.

Pour Nick Castellanos, coéquipier de Harper et témoin direct de l’affrontement, c’est un aveu de faiblesse :

« C’est comme dire dans un mariage : je pense que le divorce s’en vient. Tu ne lances pas ça comme ça. »

Dans l’esprit des joueurs, cette insistance soudaine à vouloir parler de plafond salarial deux ans à l’avance sent la panique. Manfred a peut-être perdu le contrôle du vestiaire… et du narratif.

Pendant ce temps, dans la LNH, tout est calme. Gary Bettman, souvent critiqué pour sa rigidité, a pourtant réussi là où Manfred échoue : maintenir la paix avec l’Association des joueurs.

En juillet dernier, la LNH et l’AJLNH ont discrètement prolongé la convention collective jusqu’en 2030. Aucun scandale, aucun coup d’éclat, aucune grève à l’horizon.

Le plafond salarial, instauré en 2005 après une saison annulée, a permis une croissance soutenue de la parité dans le circuit Bettman.

Dans le monde du baseball, cette idée est encore reçue comme un affront. Pour les joueurs, le cap est une invention des propriétaires pour enrichir leurs franchises, pas pour équilibrer le jeu.

L’incident entre Harper et Manfred a marqué un tournant. Officiellement, les deux hommes se sont serré la main à la fin de la rencontre.

Officieusement, Harper a ignoré les appels de Manfred le lendemain. Le lien est brisé. Et dans une industrie où la confiance entre la ligue et le syndicat est déjà fragile, ce genre de fissure peut annoncer un tremblement.

D’ailleurs, Tony Clark, directeur exécutif du syndicat des joueurs, a déjà qualifié l’idée de plafond salarial de « collusion institutionnalisée ».

Il n’est pas question d’en parler, encore moins d’en débattre. Pour lui, pour Harper, pour Boras (l’agent de Harper), et pour des centaines de joueurs à travers les 30 équipes, c’est un « non » catégorique.

Ce qui rend ce débat encore plus explosif, c’est que la MLB n’a jamais généré autant de revenus : plus de 12 milliards $ en 2023.

Pourtant, plusieurs propriétaires, comme David Rubenstein (Orioles), John Henry (Red Sox) ou Bob Nutting (Pirates), plaident que l’économie du sport est insoutenable sans cap salarial.

Pour les joueurs, ces propos sont une insulte à l’intelligence. Comme l’a dit Castellanos :

« Pourquoi vous nous parlez comme si posséder une équipe de baseball, c’était comme posséder un salon de manucure ? »

Avec les négociations officielles qui s’amorceront en 2026, les deux camps s’arment déjà pour une guerre de relations publiques. Du côté des propriétaires, on brandira l’argument de l’équité. Du côté des joueurs, on dénoncera la cupidité et la manipulation.

Et si rien ne change, le scénario catastrophe de 1994 pourrait bien se reproduire : un lockout ou une grève qui annule une saison, ou pire, une Série mondiale.

Ce que vit le baseball actuellement est un avertissement pour toutes les autres ligues professionnelles. La NFL, la NBA et la LNH ont toutes connu des conflits de travail dans le passé. Mais elles ont appris, souvent à leurs dépens, que l’instabilité détruit la confiance du public.

Gary Bettman le sait. Et malgré les critiques, il a su mettre en place un système économique stable, accepté (tant bien que mal) par tous les acteurs du hockey professionnel. Il n’est pas parfait. Mais il a au moins évité ce que Rob Manfred vit aujourd’hui : une mutinerie ouverte dans un vestiaire.

Il reste deux ans avant l’échéance de la convention collective. Deux années pour calmer le jeu, établir un dialogue, trouver un terrain d’entente.

Mais si le ton continue sur cette lancée, si les propriétaires persistent à brandir le spectre d’un cap, et si des vedettes comme Harper sont prêtes à sacrifier une saison complète, alors oui, ça sent le lockout à plein nez.

Ce qui s’est passé dans le vestiaire des Phillies n’est pas un détail. C’est peut-être le moment où le baseball majeur a basculé vers une autre crise existentielle.

Et contrairement aux autres sports, la MLB n’a pas le filet de sécurité d’un plafond salarial. La bombe à retardement pourrait bientôt exploser.

Au moins, Gary Bettman et Connor McDavid peuvent respirer.