Bombe à la télévision: un nouveau joueur pour diffuser les matchs des Canadiens de Montréal

Bombe à la télévision: un nouveau joueur pour diffuser les matchs des Canadiens de Montréal

Par David Garel le 2025-08-09

La scène est désormais fixée : le Canadien de Montréal vivra ses prochaines saisons télévisées francophones dans un tout nouveau paysage médiatique.

Et dans ce décor en recomposition, un acteur historique est déjà tombé au champ d’honneur : TVA Sports. Pierre Karl Péladeau l’a admis, sans détour ni faux espoir, lors de l’assemblée annuelle des actionnaires en mai dernier. Interrogé sur l’avenir de sa chaîne sportive, le grand patron de Québecor a reconnu que le réseau « ne devrait pas avoir les moyens de payer les sommes requises pour la diffusion des matchs » de la LNH après 2026, allant même jusqu’à prévenir qu’« il ne faudrait pas s’étonner » si TVA Sports cessait ses activités.

C’est dit. L’homme d’affaires, longtemps présenté comme le sauveur du hockey francophone à l’ère de l’hégémonie Rogers, jette l’éponge.

Et ce n’est pas seulement la fin d’un contrat : c’est la fin d’une époque. Depuis 2014, TVA Sports avait fait de la diffusion nationale des matchs du Canadien et des séries éliminatoires le cœur battant de sa grille horaire, son produit d’appel, son drapeau.

Douze ans plus tard et plus de 230 millions $ de pertes cumulées (près de 300 millions), un réseau en sursis, et aucun plan crédible pour absorber le choc financier du nouveau contrat Rogers-LNH.

En avril dernier, Rogers a confirmé ce que tout le monde pressentait : la LNH reste dans son giron jusqu’en 2038. La valeur du nouveau pacte ? 11 milliards de dollars pour 12 ans, soit plus du double de l’entente 2014-2026 (5,2 milliards $).

Pour Rogers, qui détient les droits nationaux exclusifs en anglais, l’enjeu est désormais de revendre la sous-licence francophone pour rentabiliser son investissement. Et c’est là que le jeu se corse.

Car si TVA Sports avait payé environ 120 millions $ par saison pour la période actuelle, les estimations pour 2026-2038 évoquent un montant frôlant ou dépassant les 250 millions $ annuels.

Autant dire que même un groupe comme Bell Média, propriétaire de RDS, n’a plus les moyens d’acheter seul un tel produit.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les chaînes sportives françaises de Bell ont perdu 27,8 millions $ en 2024, malgré un produit phare comme le Canadien en saison régulière et les séries régionales.

Jusqu’à présent, tous les regards se tournaient vers Crave, la plateforme numérique de Bell, et Amazon Prime comme co-détenteurs potentiels des futurs droits.

L’idée, dans les couloirs, était claire : Bell fournirait la production et la diffusion télé linéaire via RDS, tandis qu’Amazon offrirait une vitrine streaming internationale et un financement substantiel.

Mais un nouveau joueur vient de bouleverser l’échiquier : Apple TV+. Selon plusieurs sources bien branchées dans l’industrie, le géant aurait manifesté un intérêt concret pour s’impliquer dans la prochaine entente, non pas comme simple partenaire secondaire, mais comme acteur central dans la distribution numérique.

Après ses percées dans la MLB (Friday Night Baseball) et la MLS (contrat mondial avec le circuit), Apple verrait dans le hockey, et dans le marché canadien-francophone, un terrain stratégique pour diversifier son offre sportive.

Ce qui semblait au départ une course à deux entre Amazon et Bell devient donc un triangle inédit : Bell/Crave, Amazon Prime, et Apple TV+.

Trois géants capables d’écrire un nouveau chapitre dans l’histoire de la diffusion sportive au Québec… sans TVA Sports.

On pourrait croire que Pierre Karl Péladeau se retire uniquement pour des raisons financières. Ce serait réducteur. La vérité est double : d’un côté, les chiffres ne mentent pas. TVA Sports est un gouffre financier depuis sa création.

De l’autre, Québecor n’a jamais réussi à développer un modèle rentable hors hockey du Canadien. Les autres sports diffusés n’ont pas généré de revenus suffisants, les émissions d’analyse n’ont pas fidélisé un large public, et l’ère des abonnements obligatoires par forfait télé est révolue.

En mai dernier, PKP a préféré dire la vérité crue aux actionnaires : « Nous ne devrions pas avoir les moyens ». Traduction : aucune banque, aucun conseil d’administration, aucun investisseur n’accepterait de signer un chèque de 3 milliards $ sur 12 ans pour continuer une activité déficitaire.

Et dans un contexte où Québecor doit déjà défendre ses parts de marché contre Bell dans le sans-fil, l’internet et la télé, dépenser cette somme dans un produit incertain est un risque qu’il refuse de prendre.

L’absence de TVA Sports dans le prochain cycle télévisuel laissera un vide réel. Depuis 2014, le réseau avait apporté un ton différent, parfois plus populaire, parfois plus sensationnaliste que RDS.

Malgré ses nombreuses bourdes, ses reportages exclusifs, ses caméras dans les coulisses, ses débats enflammés sur le plateau de Jean-Charles Lajoie, il faut avouer que TVA Sports avait créé une signature, malgré les cotes d'écoute désastreuses.

Avec son retrait, il ne restera plus qu’un seul producteur majeur francophone de contenu hockey traditionnel : RDS, qui devrait obtenir avec Crave entre 40 et 50 matchs.

Mais RDS lui-même n’est pas dans une santé financière éclatante. Les pertes de 27,8 millions $ en 2024 montrent que même avec le Canadien, la télé sportive linéaire souffre.

Les habitudes changent, et les géants du streaming (Amazon, Apple, Netflix) sont prêts à investir lourdement pour s’imposer.

L’arrivée d’Apple change radicalement le rapport de force. Contrairement à Amazon, qui a déjà un pied dans le hockey via le Monday Night Hockey en anglais, Apple part de zéro dans la LNH.

Mais son modèle est différent : Apple préfère les ententes mondiales exclusives et intègre ses contenus directement dans ses appareils, créant une distribution quasi-automatique.

Pour Rogers et la LNH, cela signifie un partenaire capable de promouvoir le hockey sur des centaines de millions d’écrans, iPhone, iPad, Mac, Apple TV, dans un écosystème verrouillé.

Apple pourrait aussi apporter un aspect technologique inédit : statistiques en temps réel intégrées, angles de caméra interactifs, commentaires alternatifs, intégration avec Apple Music pour les hymnes ou la musique d’aréna.

Ce genre de plus-value séduirait une génération plus jeune, moins attachée à la télé linéaire et plus ouverte au visionnement sur mobile.

Le scénario le plus probable?

À l’heure actuelle, le scénario qui circule dans les cercles bien informés ressemble à ceci :

RDS conserverait un rôle de diffuseur linéaire, avec une quarantaine de matchs régionaux et nationaux. (Bell espère aussi avoir les séries du CH).

Crave hébergerait plusieurs matchs en streaming payant au Canada français, avec la production signée Bell Média.

Amazon Prime et Apple TV+ se partageraient certaines exclusivités, notamment les soirées thématiques ou certains matchs de séries éliminatoires en simultané, moyennant un investissement commun dans les droits.

Ce montage aurait un double avantage pour Rogers : maximiser les revenus en multipliant les diffuseurs tout en gardant le contrôle sur la production et la distribution.

Quoi qu’il arrive, une chose est certaine : la prochaine entente francophone 2026-2038 sera la plus chère et la plus technologique de l’histoire du hockey québécois.

Et dans cette mutation, TVA Sports aura été un pionnier… mais aussi une victime. L’incapacité de Québecor à s’adapter aux nouveaux modèles de diffusion, à absorber la hausse vertigineuse des coûts, et à se diversifier hors hockey, aura scellé son sort.

Pour les amateurs, cela veut dire que le hockey du Canadien ne sera plus jamais « gratuit » au sens classique. Les forfaits numériques prendront le dessus, les exclusivités se multiplieront, et l’ère où un abonnement câble de base suffisait pour suivre la saison au complet sera révolue.

Au final, c’est le consommateur qui va payer. Demain, il faudra multiplier les abonnements : RDS pour les matchs régionaux, Crave pour une partie des droits nationaux, Amazon Prime pour certaines soirées, et peut-être Apple TV+ pour d’autres.

Chaque plateforme voudra sa part du gâteau, et aucune ne fera de cadeau sur le prix. Additionnez tout ça, et vous obtenez une facture mensuelle qui dépasse largement ce que les amateurs payaient hier. Un vrai casse-tête budgétaire, sans parler de la confusion sur « qui diffuse quoi et quand ».

Cette fragmentation des droits n’est pas qu’une transformation du paysage médiatique : c’est une victoire pour les géants du web et un cauchemar pour les amateurs.

En obligeant les partisans à jongler entre plusieurs plateformes, à s’abonner et se désabonner selon les périodes et les exclusivités, on transforme la passion en fardeau financier.

Le hockey, jadis un rendez-vous accessible et unificateur, devient un luxe morcelé. Et dans cette nouvelle ère, une chose est certaine : le grand perdant, c’est celui qui aime assez son équipe pour vouloir la suivre partout.

Le 2e perdant... est celui qui n'est plus capable de payer pour diffuser.

Oui, TVA Sports a tout perdu...