L’inévitable est arrivé. Arber Xhekaj a perdu sa place. Ce soir, au Centre Bell, face aux Predators de Nashville, le numéro 72 du Canadien regardera la rencontre du haut de la galerie de presse pendant que Jayden Struble enfilera l’uniforme.
Une décision attendue, logique, mais surtout idéale pour Martin St-Louis. Car dans cette histoire, tout tourne en sa faveur : le coach n’a plus rien à prouver, plus rien à défendre. Ceux qui l’accusaient de saboter le « Shérif » devront se rendre à l’évidence : Xhekaj s’est coulé lui-même.
Mardi contre le Kraken de Seattle, il a livré l'un des pires match de sa jeune carrière. Trois buts encaissés alors qu’il était sur la glace, deux directement de son côté, un différentiel négatif, et plus de douze minutes passées cloué au banc après la bourde de Jared McCann.
À Montréal, où chaque erreur est disséquée comme un procès public, le verdict a été unanime : il n’est pas prêt. Martin St-Louis n’a même pas eu besoin de se justifier. Tout le monde a vu. Tout le monde a compris.
Et c’est là que le scénario devient parfait pour lui. Parce que désormais, il n’a plus à se défendre des accusations de favoritisme envers Struble.
Il n’a plus à s’expliquer sur sa gestion d’un joueur populaire, adoré du public, perçu comme un symbole d’authenticité.
Non. Arber Xhekaj a offert sur un plateau la justification que St-Louis attendait. Une sortie ratée, un positionnement catastrophique, et le public qui, pour la première fois, ne proteste plus. Même les plus fidèles partisans du « Shérif » reconnaissent que le coach n’avait plus le choix.
Pendant des mois, St-Louis a marché sur des œufs. Il savait que retirer Xhekaj de l’alignement déclencherait un incendie.
Il savait que le vestiaire adorait son tempérament, que le Québec était devenu amoureux de ce géant sorti de nulle part... ou du Costco.
Mais en une soirée, tout a basculé. Xhekaj a perdu la rondelle, perdu ses repères, perdu sa crédibilité. Et St-Louis, lui, a gagné la liberté.
Car désormais, il peut remettre Struble, son défenseur modèle, discipliné, sobre, effacé, sans être accusé de parti pris.
Struble incarne ce que St-Louis prêche depuis deux ans : l’engagement, la constance, la simplicité. Il ne parle pas, ne se met pas en scène, ne cherche pas les projecteurs. Le parfait soldat. Et pour le coach, ce comportement vaut bien plus que les photos de Xhekaj, ses burgers et son déjeuner viral.
Ce rejet de St-Louis ne tombe pas du ciel. Depuis deux ans, il observe avec un mélange d’agacement et d’incompréhension la façon dont Arber Xhekaj attire sans cesse la lumière hors de la patinoire.
Le lancement du Shérif Burger avec une bannière rivale (La Belle et le Boeuf) de La Cage aux Sports, partenaire du Canadien, la publicité du festival LASSO qui recyclait le surnom de Shérif (détesté par St-Louis), et plus récemment la fameuse photo du déjeuner familial partagée par sa mère (une montagne d’œufs, de foie et de viande rouge devenue virale) ont exaspéré l’entraîneur.
Pour St-Louis, chaque éclat médiatique renforce l’image d’un joueur distrait, plus soucieux de sa marque que de sa mission collective. Et dans son système, où la discrétion est synonyme de respect, ce genre de vedettariat lui pue au nez.
Même les partisans le sentent. L’aura populaire de Xhekaj s’effondre. Les réseaux sociaux, jadis pleins de hashtags #WiFi et #Sherif, se sont tus.
On y parle maintenant de « maturité », de « responsabilité », de « message envoyé ». Montréal aime ses héros, mais elle aime encore plus les gagnants. Et tant que le Canadien enchaîne les victoires, personne ne contestera la mise à l’écart du défenseur malheureux.
Le plus cruel c’est que Xhekaj aurait pu se sauver lui-même. Martin St-Louis lui a donné toutes les chances : du temps de jeu en présaison, une place fixe à gauche de Guhle, la possibilité de se racheter après chaque erreur. Mais rien n’a collé. Et mardi, tout a explosé. Il a échoué... sur toute la ligne..
Pour St-Louis, c’est une bénédiction stratégique. Il n’a pas eu besoin de trancher lui-même ; le jeu s’en est chargé. Le public valide la décision, le vestiaire comprend le message, et la hiérarchie se rétablit naturellement. En d’autres mots : le coach reprend le contrôle absolu.
Mais derrière ce scénario idéal se cache une ombre : la valeur de Xhekaj s’effondre. Le Canadien a déjà refusé des offres de premier tour pour lui.
Ces propositions ne reviendront peut-être jamais. La Ligue nationale découvre un défenseur brouillon, mal positionné, incapable de lire le jeu sous pression. Un joueur populaire au niveau marketing, mais si pauvre sportivement. Et quand cette réputation s’installe, elle colle.
Certains plaideront encore pour un retour à l’avant, un essai sur le quatrième trio pour exploiter sa robustesse. Mais Martin St-Louis ne veut rien savoir.
Pour lui, un joueur qui ne maîtrise pas son rôle défensif n’a pas sa place dans l’équipe, peu importe la position. Il l’a déjà dit :
« Tu dois être fiable avant d’être spectaculaire. » Et mardi, Xhekaj a prouvé l’inverse.
Ainsi, ce match d’ouverture catastrophique devient le point tournant de la saison, pas seulement pour Xhekaj, mais pour le leadership de St-Louis.
Car cette fois, le coach n’est plus en mode défensif. Il a le vent dans le dos, l’opinion publique derrière lui, et un joueur modèle pour incarner sa vision. Il ne pouvait pas rêver meilleur alignement des planètes.
Le Centre Bell s’apprête à acclamer Jayden Struble ce soir. Et pendant que le jeune Américain jouera ses premières minutes de la saison, Arber Xhekaj, lui, regardera la scène depuis les hauteurs, conscient que le scénario parfait pour son entraîneur est devenu son propre cauchemar.