C’est peut-être la campagne de relations publiques la plus habile de la dernière décennie dans la LNH.
À Long Island, les projecteurs se sont soudainement braqués sur un nom qui, il y a quelques mois à peine, faisait à peine frissonner les partisans du Canadien de Montréal : Emil Heineman.
Aujourd’hui, le nom du jeune Suédois résonne comme une prophétie chez les Islanders. Et si on en croit l’analyste Thomas Hickey, il ne s’agit ni plus ni moins que du « meilleur joueur du Canadien » avant qu’il ne soit échangé. Rien de moins.
Pendant que les partisans du CH s’enflammaient sur l’arrivée de Noah Dobson, à New York, c’est Emil Heineman qui était soudainement présenté comme le joyau de l’échange.
Et le message est martelé avec insistance. Thomas Hickey, l’équivalent local d’un Marc Denis, multiplie les apparitions pour vanter Heineman.
« À chaque fois que je l’ai vu jouer, son trio était le meilleur sur la glace. Je suis sorti de ces matchs en me disant : ce gars-là, c’est un des meilleurs du CH », a-t-il déclaré à la télévision locale.
Une affirmation qui a fait sourciller bien des journalistes à Montréal. Car soyons honnêtes : Heineman était un bon joueur de soutien.
Prometteur, certes, mais cantonné au quatrième trio. Dix buts à sa première saison complète dans la LNH (en 62 match), et un style nord-sud apprécié. Mais de là à parler d’un joueur vedette? Il y a tout un monde.
Mais voilà : à Long Island, on cherche à reconstruire une image, à tourner la page sur une transaction qui, à première vue, a suscité l’indignation.
Mathieu Darche, nouveau DG, a cédé Noah Dobson , un défenseur étoile dans la fleur de l’âge, en échange de deux choix de milieu de première ronde et… Emil Heineman. Résultat? Une vague de colère, de frustration et de critiques.
Darche, dans un premier temps, a encaissé. Il s’est fait critiquer dans les médias. On l’a qualifié d’inexpérimenté, de rêveur, de trop émotif.
Certains l’ont même traité de naïf pour avoir cru possible d’obtenir James Hagens à tout prix au repêchage 2025, lui qui était convoité comme le messie de Long Island. Et quand il a échoué à monter dans le top 5 pour repêcher Hagens, tout a semblé s’écrouler.
Pire encore : le DG a révélé avoir essayé d’échanger Dobson à Columbus en retour des choix 14 et 20, de Dmitri Voronkov et d’un espoir. Rejeté. Le plan A a explosé. Il s’est donc tourné vers Montréal, acceptant ce que plusieurs voyaient comme une offre décevante.
Il faut quand même nuancer l’échec du plan A de Mathieu Darche. Oui, les Blue Jackets ont refusé son offre initiale pour obtenir les choix 14 et 20, Voronkov et un espoir.
Mais selon plusieurs sources, dont RG Média et Sportsnet, Columbus aurait ensuite offert Voronkov à Darche dans une nouvelle mouture de la transaction.
Et cette fois, c’est Darche qui aurait dit non. Il voulait ses deux choix ET Voronkov. Il a joué de manière trop gourmande, et quand la fenêtre s’est refermée, il s’est tourné vers Montréal.
Mais Darche n’a pas baissé les bras. Il a contre-attaqué sur le plan médiatique. Et sa meilleure carte? Emil Heineman.
Ou l'art de transformer un ailier de 4e trio en marqueur de 30 buts.
Dès les premières entrevues suivant la transaction, Darche a martelé le message : Heineman n’était pas un ajout secondaire. Il était ciblé. Souhaité. Réclamé avec insistance.
« On a poussé jusqu’à la fin pour qu’il soit dans l’échange, parce que la ligue l’a un peu découvert au cours de la saison », a-t-il expliqué.
Dans le 32 Thoughts Podcast, Elliotte Friedman a même rapporté que les Islanders voyaient en lui l’incarnation de la fameuse « identity line ». Une étiquette forte. Lourde. Et presque surréaliste pour un joueur qui n’avait pas encore fait ses preuves dans le top 6.
Heineman, qui revenait à peine d’un accident de voiture à Salt Lake City, n’avait pas eu la chance de faire valoir son plein potentiel à Montréal.
Mais à New York, on parle de lui comme d’un John LeClair moderne. Un "power forward" capable de marquer 25 à 30 buts, de frapper fort, de patiner droit au filet, et surtout : d’écouter. Patrick Roy le verrait comme un joueur idéal dans son système.
Ce qui frappe, dans cette saga, c’est le décalage complet entre les deux marchés. À Montréal, on continue de croire que Kent Hughes a réalisé un vol en mettant la main sur Dobson.
Les experts locaux soulignent que Darche a payé le gros prix, et que Heineman n’était pas considéré comme inéchangeable dans l’organisation.
Mais à Long Island, on assiste à une opération de communication tellement bien ficelée qu'elle devient louche.
Les clips élogieux sur Heineman se multiplient. Les comparaisons flatteuses aussi. Et on cherche à changer le récit : Dobson n’était pas indispensable. Heineman, lui, pourrait devenir un pilier.
Cette tentative de réécriture s’accompagne aussi d’une volonté de calmer les tensions internes. Car derrière cette transaction, il y a des blessures ouvertes.
Parlez-en à Alexander Romanov. Dès que la transaction a été confirmée, l’ancien défenseur du CH a exprimé publiquement son désaccord.
En entrevue avec MatchTV en Russie, il a déclaré :
« Je ne comprends pas ce qu’on essaie de faire. Dobson était mon frère sur la glace. »
Romanov a aussi subtilement écorché la direction, affirmant que « certains pensent trop au long terme et oublient le vestiaire d’aujourd’hui ».
Ces propos ont mis Patrick Roy dans une position inconfortable. Déjà fragilisé par la perte de Dobson, le nouvel entraîneur des Islanders devait désormais gérer un vétéran mécontent, dans un vestiaire en déséquilibre. À Long Island, on ne s’attendait pas à une telle onde de choc.
Surtout que Patrick Roy était déjà dans l’eau chaude depuis des semaines, soit depuis que son conflit avec Noah Dobson était devenu public.
La pression est désormais sur les épaules d’Heineman.
Qu’on le veuille ou non, le Suédois se retrouve malgré lui au cœur d’un ouragan médiatique. Il est passé du statut de joueur de soutien à celui de pierre angulaire d’un échange controversé. Et même s’il garde la tête basse, la pression est énorme.
Est-il vraiment un futur marqueur de 30 buts? Peut-être. Mais il devra désormais faire face à des attentes irréalistes. On veut le voir frapper. Marquer. Inspirer. Et justifier une transaction qui a laissé une cicatrice dans le vestiaire des Islanders.
Et c’est là que l’histoire devient presque tragique : car si Heineman échoue, c’est toute la stratégie de Darche qui s’effondre. Si Heineman devient un simple joueur de 3e trio, alors la transaction de Dobson devient un désastre irréversible.
Mais si Heineman surprend… alors Mathieu Darche aura eu raison avant tout le monde.
Il faut aussi souligner que le vent tourne rapidement dans la LNH. Et Darche, malgré sa bourde initiale, a su reprendre le contrôle du récit avec deux sélections spectaculaires : Victor Eklund (16e) et Kashawn “Cash” Aitcheson (17e). Deux joueurs explosifs, complémentaires, et très convoités.
Eklund est déjà comparé à Jesper Bratt. Aitcheson est vu comme un défenseur de séries, dur, méchant, fiable. Et surtout : deux recrues qui redonnent espoir au projet Darche.
Mais tout ça ne fonctionnera que si Emil Heineman tient son bout.
Heineman ne l’a pas choisi, mais il est devenu le visage d’une transaction qui a redéfini les Islanders. Il est la pièce visible d’un casse-tête complexe. Et désormais, il devra porter le poids de cette réinvention.
Il y a un système d'affolement à New York. Patrick Roy et Mathieu Darche sont passés à travers toutes les émotions possibles en quelques semaines.
Il y a eu l’euphorie initiale d’un échange audacieux avec Montréal, le sentiment d’avoir volé deux choix de premier tour. Puis, le doute et les critiques violentes du public et des analystes, qui voyaient en Darche un DG dépassé.
Ensuite, le rebond glorieux au repêchage, avec les coups de circuit Eklund et Aitcheson, et l’émotion brute entourant le choix de Schaefer.
Mais à peine la poussière retombée, le conflit rendu public entre Roy et Dobson a replongé l’organisation dans l’inconfort. Et aujourd’hui, ils tentent de relancer une autre vague d’optimisme autour d’Emil Heineman.
C’est un enchaînement de hauts et de bas à couper le souffle, des véritables montagnes russes émotionnelles. À Long Island, on ne reconstruit pas, on survit à la tempête.
John LeClair? Peut-être. Une pierre angulaire? Possible. Une campagne de communication brillante? Assurément.
Mais une chose est certaine : à Long Island, on mise gros. Très gros. Sur... un plombier suédois...