Acquisition d'un centre suédois: Montréal rêve éveillé

Acquisition d'un centre suédois: Montréal rêve éveillé

Par Nicolas Pérusse le 2025-09-18

C’est un de ces contes de fées improbables qui fait tourner les têtes, ébranle les certitudes… et change les plans à long terme des organisations les mieux structurées.

Un nom qu’on n’attendait pas. Une révélation soudaine. Une comète sortie de nulle part. Son nom : Filip Eriksson. Un centre suédois réservé, repêché en 6e ronde en 2023, ignoré par la quasi-totalité des experts, qui vient de déclencher un tsunami médiatique dans toute la Suède.

Et devinez quoi? Ce phénomène appartient… au Canadien de Montréal.

L’an dernier, Eriksson végétait dans l’ombre à Växjö. Deux petits buts, quatre aides. En 37 matchs. Un profil anodin, inintéressant, digne d’un joueur qu’on n’aurait même pas remarqué à la télé.

Et pourtant, aujourd’hui, il mène la SHL au chapitre des points avec 7 (3 buts, 4 passes) en seulement deux matchs.

Il a marqué 3 buts et amassé 1 passe à son premier match. Il aurait pu en marquer 4 s'il n'avait pas touché la barre transversale en fin de match:

Puis, il a enchaîné avec une performance de 3 passes:

Le genre de performance qui rend fous les journalistes, fait exploser les réseaux sociaux de Luleå et laisse pantois les dirigeants de clubs adverses.

Et la presse suédoise est en feu.

« Trop fort pour la ligue »  titre Aftonbladet

« Ce jeune homme, c’est du sérieux », s’emballe le capitaine Erik Gustafsson en entrevue avec le journal Expressen.

« Départ rêvé semble être une expression appropriée », écrit le très influent journal Dagens Nyheter

« Je n’étais même pas proche d’être aussi bon à 20 ans », confesse son propre coéquipier au centre, Brian O'Neill, qui a demandé à son coach de la placer avec lui.

C’est la folie. Un centre gaucher suédois de 20 ans (qui joue à l'aile en ce moment), à la fois explosif, intelligent et imprévisible, est en train de déjouer tous les pronostics.

Personne, absolument personne, n’avait vu venir ça. Sauf un homme : Christer Rockström, dépisteur du Canadien en Suède. L’homme de l’ombre. Le sage. Celui qui a flairé le coup.

Car il faut comprendre : Eriksson était pratiquement invisible l’année de son repêchage. Blessé au poignet pendant une longue période. Enrôlé dans une ligue régionale obscure. Aucune production spectaculaire.

Et pourtant, Rockström a insisté pour que le Canadien le sélectionne au 165e rang, comme une pièce rare qu’on glisse dans sa poche en se disant : “Personne ne sait ce que j’ai trouvé.”

Un an plus tard, c’est l’explosion.

Quand Thomas Fröberg, directeur général de Luleå, a donné un contrat à Eriksson, il espérait un développement graduel. Un joueur à polir. À faire mûrir. En aucun cas, il n’imaginait le lancer directement sur le premier trio. Et pourtant, l’impossible s’est produit.

Brian O’Neill, vétéran américain et meilleur centre du club, est allé le voir durant le camp :

« Je veux jouer avec ce garçon. »

C’est rare, dans le hockey. Très rare.

Résultat : Eriksson, O’Neill et Isac Hedqvist s’amusent comme dans une partie de EA Sports. 16 points en deux matchs, des jeux magiques, une énergie contagieuse.

Eriksson, interrogé par Nicolas Cloutier de TVA Sports (excellent travail journalistique soulignons-le), ne cache pas sa surprise :

« Je ne connaissais même pas Brian avant d’arriver. Ça a cliqué. C’est naturel. »

Et ça ne s’arrête pas là. Match inaugural : tour du chapeau contre Malmö, devant une foule qui chante son nom. Deuxième match : remontée spectaculaire contre Brynas, orchestrée par son trio.

On parle ici d’un joueur de 5 pieds 11, tout en finesse, qui joue avec un quotient hockey ahurissant.

« Il est vif d’esprit, il voit le jeu deux secondes à l’avance. Mets-le avec des robots de 4e trio et tu vas le tuer », explique Fröberg sans détour.

L’ironie? Eriksson déteste l’attention. Il vient de Ljungby, petit village tranquille de 15 000 habitants. Ce n’est pas un gars de vedettariat. Ce n’est pas un flamboyant.

« Non… non… Pour être franc, je n’aime pas ça du tout. » confie-t-il à Cloutier, gêné comme jamais.

On avait déja senti sa timidité au camp de développement en juillet dernier.

Filip Eriksson était assis, tranquille, en train de manger. Il ne dérangeait personne. À tel point que Rob Ramage, directeur du développement des joueurs du Canadien, est passé à côté de lui sans le reconnaître.

Ce n’est pas une blague.

Et pourtant, c’est ce même Eriksson qui électrise présentement la Suède. Cette anecdote illustre à merveille l’incroyable transformation du jeune centre gaucher.

Lorsqu’on retrace le parcours d’Eriksson, on comprend mieux pourquoi il est longtemps resté invisible aux yeux du monde. À 16 ans, alors que tous les jeunes ambitieux tentaient de se faufiler dans les équipes nationales U16, U18 ou U20, lui a choisi de rester avec l’équipe régionale des moins de 18 ans de Troja-Ljungby, un petit club obscur.

Un choix qui lui a permis de jouer près de 25 minutes par match, mais qui l’a sorti des radars. En Suède, les sélections se font tôt, et les places ne bougent presque jamais. Eriksson n’en faisait pas partie. Et comme le dit son ancien entraîneur Gustav Walli Walterholm :

« Toute la Suède a raté ce gars-là. Il marquait, il passait, il jouait bien, mais personne ne regardait. »

C’est un choix de développement marginal, mais courageux, qui a longtemps nui à sa visibilité. Et pour ajouter à la malchance, Eriksson s’est fracturé le poignet durant sa saison de repêchage. Cinq mois sans jouer. Un trou noir dans une année cruciale.

Et pourtant, le Canadien l’a repêché. Pourquoi? Parce qu’il fallait l’avoir vu AVANT, dans cette ligue régionale, pour comprendre ce qu’il pouvait devenir. Christer Rockström, le génie du dépistage en Europe, l’avait vu. Et il a insisté.

La saison dernière, Eriksson a commencé avec Växjö, club d’élite de la SHL. Mais il ne jouait que 7 ou 8 minutes par match. Une punition silencieuse, comme pour dire : Tu es là, mais tu n’existes pas vraiment. Ce temps de glace minimal l’a étouffé.

Puis, le prêt à Nybro, en deuxième division, a changé sa vie.

« Au début, j’avais les épaules basses », admet-il aujourd’hui.

Mais là-bas, son entraîneur lui a donné les clés de l’attaque. Supériorité numérique. Infériorité numérique. Grosse minute. Confiance absolue.

Résultat : 24 points en 21 matchs. Le seul joueur de son club à avoir plus d’un point par match. Mis en nomination pour la Grille d’or, titre remis au meilleur joueur junior de l’Allsvenskan.

« C’est là que tout a cliqué. Tout jouait en ma faveur. »

Ce qui fascine les recruteurs aujourd’hui, c’est sa maturité soudaine. Rob Ramage l’a dit lui-même :

« L’an dernier, il avait l’air d’avoir 14 ans. Là, peut-être 17 ou 18! »

Son physique reste frêle, mais son intelligence de jeu compense tout. Il voit les lignes de passe avant les autres. Il pense vite. Il joue vite. Il ne se contente pas de participer, il orchestre.

Et surtout, il est patient.

Ce qui est le plus frustrant pour les autres équipes, c’est que personne n’a d’excuse. Eriksson était là. Il jouait. Il brillait dans l’ombre. Mais personne n’a pris la peine d’aller voir.

Tous les recruteurs le disent aujourd’hui, avec un soupçon de honte : “On l’a manqué.”

Et pendant ce temps, le Canadien de Montréal l’a dans sa poche.

Et ce n’est qu’un début.

Il ne veut pas être une star. Il veut jouer au hockey, comprendre le jeu, contribuer. Il cite Filip Forsberg comme modèle d’intelligence et d’anticipation. Ce n’est pas un provocateur. C’est un passionné.

Et ce qui le distingue, c’est qu’il apprend en observant. Il n’a jamais eu un chemin facile, jamais eu de laissez-passer.

On ne verra pas Eriksson à Laval demain matin. Son contrat de deux ans avec Luleå le lie jusqu’en 2027. Et selon Fröberg, il ne faut surtout pas précipiter les choses :

« Il a besoin de minutes de qualité. Le mettre sur un 4e trio en Amérique, ce serait du gâchis. »

Et il a raison. Eriksson n’est pas un patineur explosif. Il n’a pas la charpente d’un bulldozer (5 pieds 11, 179 livres). Il a besoin de confiance, de chimie, de rythme. Et ça, il le trouve présentement en Suède.

« Il doit être constant. C’est ça le défi. Il a le bon esprit. Il travaille fort. » 

Ce que personne ne dit à voix haute, c’est que le Canadien de Montréal vient peut-être de réaliser le vol de la décennie. À l’heure où les premières rondes du repêchage sont devenues un carnaval de statistiques préfabriquées, Rockström et Hughes ont pris un pari à l’instinct. Un pari calculé, risqué, mais génial.

Et aujourd’hui, ils sont en train de voir ce 6e choix de 2023 grimper dans la hiérarchie des espoirs comme une fusée.

Soyons clairs : on n’écrit pas l’avenir sur deux matchs. Mais ce qu’Eriksson vient de déclencher en Suède dépasse l’anecdote. Il est devenu, en 72 heures, le nom le plus fascinant du hockey suédois. Un centre gaucher, intelligent, explosif, modeste, efficace.

Et surtout : il appartient au Canadien de Montréal.

Il ne voulait pas qu’on parle de lui.

Trop tard.