Et si Kent Hughes avait raison?
Il y a parfois des décisions de gestion qui paraissent frileuses au premier regard, mais qui, lorsqu’on creuse, révèlent une lucidité glaciale.
La ligne de conduite de Kent Hughes depuis un an est exactement cela : une obsession pour un actif, une seule carte jugée intouchable, même dans les discussions les plus folles.
Ce billet de loterie s’appelle le choix de première ronde 2026 du Canadien de Montréal. Et peu importe la cible, Jared McCann à Seattle, Pavel Zacha à Boston ou toute autre centre disponible sur le marché, la réponse revient comme un disque rayé : « le premier 2026 ne sortira pas de Montréal ».
Pourquoi une telle rigidité, au risque de s’aliéner des partenaires de transaction? Parce que, comme l’a répété le chroniqueur Mathias Brunet, la Ligue nationale n’est pas une machine qui ne monte qu’en ligne droite.
Le Canadien peut progresser, oui, mais il peut aussi trébucher. L’exemple des Devils du New Jersey est devenu la mise en garde la plus citée à Brossard : flamboyants en 2022-2023, troisièmes au classement, une série gagnée, un avenir radieux devant eux.
Et puis, la saison suivante, tout s’est écroulé : blessures à Jack Hughes et Dougie Hamilton,, promesses non tenues, un trou béant au classement, et soudainement… un autre choix top 10 dans un repêchage inattendu.
Ce vertige, Hughes et Gorton le sentent. Et surtout, ils savent qu’en 2026, ce top 10 pourrait valoir de l’or pur. Parce que le nom qui flotte au sommet, celui qui obsède déjà les directeurs généraux, les recruteurs et même les entraîneurs universitaires, s’appelle Gavin McKenna.
À seulement 17 ans, McKenna est arrivé à Penn State comme une tornade. Il sortait d’une saison monstrueuse dans la WHL avec les Tigers de Medicine Hat : 129 points en 56 matchs, deuxième pointeur du circuit, joueur de l’année dans la WHL et même dans toute la LCH. Et pourtant, il n’a pas débarqué avec l’attitude d’un prodige intouchable. Au contraire.
Son entraîneur à Penn State, Guy Gadowsky, n’a pas mâché ses mots lors de la journée médiatique des Nittany Lions.
Pendant une conférence de presse de 29 minutes, il a répété sept fois la même phrase :
« C’est un gars extrêmement facile à côtoyer. »
Ou, comme il l’a martelé devant les journalistes :
« C’est un type vraiment relax, facile à vivre. C’est un excellent joueur. Très respectueux. Tu l’aimes automatiquement parce qu’il est simplement très facile à côtoyer. C’est un gars vraiment cool. »
Cette formule de « easy hang », répétée presque à l’obsession, dit tout : McKenna ne se contente pas d’impressionner sur la glace, il a aussi l’aura et le charisme d’un leader qui va marquer l'histoire du CH.
Et sur la glace? Gadowsky n’a pas caché sa fascination :
« Son éthique de travail est excellente. Il s’intègre extrêmement bien dans notre vestiaire. Il est extrêmement rapide. Il est aussi en excellente condition. Dans les exercices de patinage, il est toujours en avant. Ce n’est pas seulement un joueur cérébral, il a une excellente forme physique et une vitesse exceptionnelle. »
Mais ce qui l’a frappé le plus, c’est sa manière unique de penser le jeu :
« Il pense le hockey différemment. C’est un animal différent à ce niveau-là, non seulement comparé aux autres recrues, mais comparé à n’importe qui. Il réfléchit au jeu de manière très unique, assez incroyable.
On le voit dans les exercices qui reproduisent des situations de match avec beaucoup de circulation : il réussit toujours à manipuler le temps et l’espace d’une façon unique, qui rend tout si facile. C’est spectaculaire à regarder. »
McKenna lui-même a expliqué ce qu’il découvre dans la NCAA par rapport à la WHL :
« Je crois qu’il y a beaucoup moins de temps et d’espace. Les gars sont plus gros, plus rapides, plus vieux. Ce n’est pas si différent en termes de talent, parce que les deux ligues sont très habiles, et les gars peuvent faire des jeux. Mais en termes de vitesse et de gabarit, je pense que c’est la plus grosse différence. »
Et au-delà du rythme, c’est le volume de matchs qui le déstabilise un peu :
« Je pense que là où je vais être mis au défi, c’est avec le peu de matchs. Passer de 68 parties à 33 dans une saison, ça va être un défi. J’adore jouer, j’ai toujours envie d’être sur la glace.
Mais en même temps, la raison pour laquelle je suis venu ici, c’est justement pour ça : moins de matchs, plus de temps au gymnase. Je ne suis pas un gros gabarit, alors je veux prendre du poids, et c’était une partie importante de ma décision. »
Son entraîneur, lui, s’émerveille de la façon dont le jeune manipule déjà le tempo :
« Il manipule la vitesse. J’ai été surpris de voir à quel point il est rapide. Très, très rapide, et sa condition physique est excellente. Ça, je le savais déjà. Mais ce n’est pas qu’il s’adapte au rythme, c’est qu’il le manipule.
C’est, je crois, la chose la plus incroyable à son sujet. Ses habiletés avec la rondelle sont élites, son patin est élite, ses carres sont phénoménaux.
Mais ce que j’aime vraiment, et je crois que les autres joueurs aiment aussi, c’est de voir comment son esprit fonctionne. Quand normalement tu crois manquer de temps et d’espace, lui réussit à les créer. C’est ça, la magie. »
Son capitaine, Dane Dowiak, est allé dans le même sens :
« C’est un gars incroyable. Il y a beaucoup de hype autour de lui, évidemment. C’est un joueur incroyable. Mais la personne qu’il est, ça en dit beaucoup sur son éducation et ses origines. Avec toute la pression et l’attention qu’il reçoit, il reste juste un gars normal. »
Un « gars normal »… avec des dons surnaturels qui empoche 700 000 dollars pour jouer dans la NCAA.
Même ses défaites au pingpong deviennent des anecdotes qui le rendent attachant. McKenna avait promis à Gadowsky une revanche après une première défaite lors de sa visite de recrutement.
« Il a eu sa revanche et j’ai encore gagné, a rigolé Gadowsky. Vous pouvez l’imprimer! » Et McKenna? Il a simplement ri de lui-même. Encore une preuve qu’il porte déjà le poids d’un numéro 1 sans jamais s’en vanter.
« Évidemment, il y a beaucoup de pression, mais je crois qu’au fil des ans, j’ai appris à la gérer, a confié McKenna. Avec notre équipe cette année, il y a beaucoup de hype, et évidemment ça vient avec de la pression. J’ai déjà été dans des équipes avec beaucoup d’attentes, et on a réussi à livrer. La clé, c’est de ne pas devenir complaisant. Avec le groupe qu’on a, c’est très compétitif aux entraînements, donc je ne crois pas que la complaisance va entrer dans notre vestiaire. »
Quand on entend ce genre de propos, et surtout quand on voit un entraîneur réputé décrire un joueur comme « un animal différent », on comprend la panique des dirigeants à l’idée de sacrifier un premier choix dans ce repêchage. McKenna est déjà décrit comme « le cousin de Bedard », un lien familial qui ajoute à sa légende, mais plusieurs recruteursn’hésitent plus à dire qu’il pourrait, un jour, rivaliser avec Connor McDavid lui-même.
Et même si Montréal n’obtient pas McKenna, la profondeur de la cuvée 2026 est historique. Keaton Verhoeff, défenseur droitier de 6’4’’ promis à une carrière de pilier, pourrait régler le flanc droit de la défense pour quinze ans.
Ivar Stenberg, le « cerveau offensif » suédois, rappelle les attaquants qui changent l’allure d’un trio. Ryan Roobroeck, attaquant massif avec un tir dévastateur, coche toutes les cases du deuxième centre rêvé.
Etc, etc.
C’est cette richesse qui fait paniquer les DG. C’est cette richesse qui fait que Kent Hughes refuse d’ajouter son premier choix 2026 dans une transaction, peu importe la cible.
La philosophie est claire : ne pas rejouer le film des Devils. Ne pas croire que la progression est linéaire. Ne pas miser l’avenir pour une correction immédiate.
Dans un marché où les amateurs rêvent de coups d’éclat, la prudence de Hughes peut paraître décevante. Les partisans veulent un deuxième centre prêt à livrer, ici et maintenant. Ils voient les rumeurs s’agiter,
Imaginez le pire scénario : blessures à Dach, à Hutson, à Montembeault. Une saison qui dérape. Et au bout, une consolation : Gavin McKenna ou Keaton Verhoeff qui débarque à Montréal. Le rêve.
Voilà pourquoi, dans douze mois, si le nom de Gavin McKenna est prononcé par Kent Hughes au podium du repêchage, on racontera ce moment comme l’acte fondateur du retour en grâce.
Le moment où le CH a refusé d’être New Jersey 2023-24, le moment où il a assumé sa patience contre vents et marées, le moment où il a privilégié la vision à long terme à la gratification immédiate.
Le Canadien a déjà payé pour apprendre. Cette fois, il garde la facture… et réclame le reçu.