C’est une bombe silencieuse qui a explosé hier du côté de la Russie.
Un simple communiqué, une décision stratégique, et tout un message envoyé à Kent Hughes et au Canadien de Montréal : Bogdan Konyushkov reste au bercail. Encore deux longues saisons.
Le défenseur de 22 ans, repêché par le CH au 110e rang en 2023, a signé une prolongation de contrat avec le Torpedo de Nijni Novgorod jusqu’à la fin de la saison 2026-2027.
Officiellement, il dit vouloir continuer son développement en Russie. Officieusement? Il vient d’empocher un demi-million de dollars américains… et il échappe du même coup à l’impôt québécois.
500 000 $ US ou 80 000 $ US ?
Posons la question franchement : si vous aviez 22 ans, que vous n’étiez pas encore assuré de faire la LNH, que vous aviez le choix entre un contrat à 500 000 $ US net en Russie ou un contrat d’entrée à Laval à 80 000 $ brut, que feriez-vous?
La réponse est simple. Et Bogdan Konyushkov ne s’en cache pas. Il peut bien prétendre qu’il veut "rester en Russie jusqu’à la LNH" ou qu’il y a "plus d’opportunités pour progresser là-bas", mais personne n’est naïf. Ce n’est pas une affaire de hockey. C’est une affaire de gros bon sens financier.
Jouer dans la KHL, c’est vivre dans un monde parallèle où les dollars US pleuvent pour les joueurs locaux et où les impôts sont quasi-inexistant.
Jouer à Laval, c’est faire du hockey pour le salaire d’un assistant-gérant au Jean Coutu, tout en se faisant saigner par Revenu Québec. Le calcul est vite fait.
Pour les partisans montréalais, cette nouvelle est frustrante. Konyushkov avait émis plusieurs signaux positifs cet été. Il était à Montréal. Il a visité les installations. Il a montré son intérêt pour le hockey nord-américain. Certains y voyaient déjà une arrivée à Laval dès 2026. Erreur.
En prolongeant jusqu’en 2027, Konyushkov s’éloigne temporairement du CH. Et même s’il ne devient pas libre comme l’air (les droits du Canadien sont protégés, puisqu’il est russe), l’équipe perd une carte de profondeur sur le flanc droit pour deux ans. Ce n’est pas une tragédie, mais c’est un contretemps.
Heureusement, la situation à Montréal permet ce genre de détour. Sur le flanc droit de la défense, Kent Hughes a sécurisé Noah Dobson pour huit saisons, ajouté Alexandre Carrier pour deux ans, et possède déjà David Reinbacher qui est "NHL ready".
Même Lane Hutson pourrait glisser à droite à l’occasion. Bref, il n’y avait pas urgence à faire place à Konyushkov dans l’organigramme.
Mais le fait que le CH ait tenté de l’attirer à Laval montre qu’on croit en lui. Ce n’est pas un joueur banal. Petit, mais robuste. Mobile, mais responsable. Il a disputé plus de 70 matchs cette saison avec Torpedo dans un rôle de premier plan. Et il reste un projet intrigant.
Certains espéraient que son amitié avec Ivan Demidov pèse dans la balance. Les deux Russes partagent un respect mutuel, un parcours parallèle, et une ambition commune : réussir en Amérique du Nord. Mais là aussi, les réalités financières et contractuelles prennent le dessus.
Demidov, lui, était une star. Un joueur top 3 au dernier repêchage. Il a acheté les dernières semaines de son contrat avec le SKA pour venir plus tôt, en avril 2025. Un effort financier majeur. Un geste rare. Mais il pouvait se le permettre.
Konyushkov, de son côté, n’a pas cette marge de manœuvre. Il a encore deux ans de contrat fermes avec le Torpedo, sans clause de sortie.
Et pour racheter une entente de la KHL, il faut souvent parler en centaines de milliers de dollars. Il ne sera pas celui qui paiera pour venir gagner… moins.
On ne peut pas blâmer Konyushkov. Il agit avec intelligence. Il se développe dans une bonne ligue, joue beaucoup, empoche un demi-million, évite l’impôt québécois, et garde son rêve de la LNH en poche pour plus tard. Mais du côté du Canadien, on ne peut cacher une certaine déception.
Dans un monde idéal, Konyushkov serait venu se frotter aux patinoires nord-américaines, au jeu plus rapide et plus rugueux de la AHL.
Il aurait découvert le système Martin St-Louis, les subtilités du jeu de transition, les spécificités du petit territoire. Il aurait amorcé sa transition dès 2026.
Au lieu de cela, il poursuivra son parcours en Russie. Ce n’est pas un recul, mais c’est un détour. Une route plus longue vers la LNH.
Et s’il ne venait jamais?
C’est la question taboue. Et si Konyushkov décidait, dans deux ans, de prolonger encore? De demeurer chez lui? Après tout, plusieurs Russes ont pris cette décision. La KHL est leur maison. Le niveau est bon. L’argent coule à flots. Et la pression est moins intense.
Pour le moment, le défenseur affirme vouloir venir en Amérique. Il a montré de l’intérêt. Il a fait le voyage pour le camp de développement. Mais entre l’intention et l’action, il y a un monde. Et entre la AHL à 80 000 $ et la KHL à 500 000 $ + privilèges, il y a un fossé.
Cette situation est un rappel brutal pour les équipes de la LNH : le développement des espoirs russes n’est jamais garanti.
Même si on les repêche. Même s’ils sont intéressés. Même si on leur fait miroiter la LNH. Le système KHL est bien rôdé, bien payé, et parfois plus attirant que la LAH.
C’est pourquoi les recruteurs doivent être prudents. Un joueur russe de deuxième ou troisième ronde est un pari. Un investissement à long terme. Il faut avoir de la patience. Et une bonne tolérance au risque.
Dans le cas de Konyushkov, on peut croire qu’il viendra. En 2027. À 24 ans. Plus mature. Plus prêt. Mais il n’y a aucune garantie.
Le CH doit garder le contact
Kent Hughes devra faire ce qu’il faut pour entretenir la relation. Appels réguliers. Visites de développement. Traductions de documents. Offres honnêtes. Il faudra rappeler à Konyushkov que Montréal n’a pas oublié. Et que la porte est ouverte.
Il faudra aussi l’encourager à suivre les traces d’Ivan Demidov. Lui rappeler que Demidov a osé. Qu’il s’est arraché du SKA. Qu’il s’est lancé dans l’inconnu. Et qu’il en récoltera les fruits.
Mais en attendant, il faudra accepter une vérité : Bogdan Konyushkov a fait le bon choix pour lui. Ce n’est pas un manque de courage. Ce n’est pas un affront. C’est une décision de carrière. Lucide. Froide. Calculée.
Et dans deux ans, si tout va bien, le CH retrouvera un défenseur plus mature, plus solide, et peut-être prêt à faire le saut directement à Montréal. Sans passer par Laval. Sans faire la file.
En attendant, il faudra le surveiller de loin. Et espérer que ses 500 000 $ US ne deviennent pas une habitude trop confortable.