C’est devenu un classique du Combine, une sorte de rite initiatique imposé par Kent Hughes et Jeff Gorton, avec la complicité des inévitables Nick Bobrov et Martin Lapointe.
À Buffalo, dans les coulisses des entretiens privés entre le Canadien de Montréal et les espoirs de la LNH, une question revient, comme un vieux disque qu’on oublie de changer :
« Tu croises Nick Suzuki au Casino à 3h du matin, et le lendemain matin, Martin St-Louis te demande si tu l’as vu. Tu réponds quoi ? »
Cette question, rapportée à nouveau cette année par le journaliste Anthony Martineau, est identique mot pour mot à celle que plusieurs espoirs affirmaient déjà avoir reçue… l’année dernière. Même ton, même scénario, même piège à caractère.
Ce qui est plus croustillant encore, c’est que la réponse est pratiquement télégraphiée à l’avance. Et que, sans grande surprise, Anthony Martineau lui-même a dévoilé la bonne réplique. Celle qui ferait hocher la tête de satisfaction à Bobrov, Lapointe, Hughes et Gorton, comme s’ils venaient de découvrir le prochain Patrice Bergeron :
« Assurément! J’y étais avec lui, comme tu le sais déjà. Ce que tu sais aussi parce que tu as joué plusieurs années, c’est que tous ces petits moments contribuent à bâtir une chimie entre les gars. Et si tu regardes le rendement de Nick, on ne peut rien lui reprocher. Alors ce qu’il fait pour décrocher, ça le regarde tant que ça n’affecte pas l’équipe, tu ne crois pas? »
Boum. Voilà la réponse modèle. Celle qui prouve que t’es un gars d’équipe, que t’as du cran, que tu protèges ton capitaine, tout en demeurant honnête. Prochaine question.
Un test subtil… ou pas du tout?
Le problème ? Ce n’est plus un test. C’est devenu une réplique de théâtre. Les espoirs se parlent. Ils se textent. Ils comparent les questions reçues. Et tout le monde sait maintenant qu’il faut simplement sortir la « réponse Suzuki au casino » avec un peu d’aplomb et le tour est joué.
C’est là que l’ironie devient savoureuse.
Parce que, justement, Nick Suzuki est sans doute l’un des seuls joueurs du Canadien qu’on ne verrait jamais au casino à 3h du matin. Discipliné. Casanier. D’un calme olympien. Aucune rumeur, aucun scandale. À peine s’il sort prendre un verre.
Ce choix de Suzuki comme cobaye du scénario est révélateur : le CH veut éviter de pointer du doigt les vrais "Party Boys" de l’équipe. Il aurait été bien plus piquant de poser la question avec les noms de Cole Caufield, Christian Dvorak, Jayden Struble, Arber Xhekaj ou Logan Mailloux.
Mais non. On ne veut pas froisser. On veut jouer la game. Alors on prend le nom du capitaine intouchable, au comportement irréprochable, pour créer un faux dilemme moral.
C’est à la fois rusé… et ridiculement prévisible.
Cette répétition soulève une vraie question : le CH est-il devenu paresseux dans sa méthode d’évaluation des espoirs?
L’organisation est réputée pour tester le caractère des joueurs, les faire réagir à des scénarios inconfortables, leur lancer des flèches subtiles. Mais là, on est dans la répétition caricaturale.
Certains agents et recruteurs d’autres équipes se sont d’ailleurs moqués en coulisses du test canadien. Un agent joint sous le couvert de l’anonymat aurait même dit :
« C’est bien que les Canadiens s’intéressent au caractère. Mais si t’as la même question que l’année dernière, mot pour mot, c’est que tu fais ton job à moitié. Les gars savent déjà quoi répondre. Tu testes pas un joueur, tu testes s’il a lu le mémo. »
Et justement, dans cette grande parade des réponses formatées, il y a un nom qui ressort. Un nom qui a dû figer dans les phares quand est venue la question du casino.
Simon Wang, l’un des espoirs les plus intrigants de ce Combine 2025, est un défenseur chinois qui a commencé à prendre le hockey au sérieux… il y a à peine trois ans.
Un joueur tardif, mais explosif, formé d’abord au hockey balle en Chine avant d’être repêché dans un programme junior canadien. Nicolas Cloutier de TVA Sports a mentionné que le CH s’y intéresse activement.
Peu de gens le connaissent, mais ceux qui l’ont vu jouer en personne s’en souviennent. Défenseur droitier de 6 pieds 6 pouces, 220 livres, Wang est un véritable monstre physique, et certains dépisteurs l’ont déjà surnommé le Zdeno Chara chinois. Il impose le respect dès qu’il met un pied sur la glace, même s’il est encore très brut dans ses lectures de jeu et sa prise de décision.
Formé au hockey balle en Chine, il n’a véritablement commencé à comprendre le hockey nord-américain que depuis trois ans. Et pourtant, malgré ses statistiques modestes — seulement cinq passes en 53 matchs cette saison — les Canadiens de Montréal l’adorent. Pas un petit peu. Énormément.
À leurs yeux, c’est un projet à long terme, un diamant à polir. Il n’est pas prêt pour la LNH demain matin, mais sa courbe de progression, sa force naturelle et sa discipline en font un coup de cœur au sein du département de recrutement.
Et c’est là que ça devient fascinant.
Parce que ce genre de question, pour un joueur comme Simon Wang, qui découvre encore les codes culturels de la LNH nord-américaine, peut dérailler très vite. Imaginez sa réaction quand on lui parle de Nick Suzuki, de casino, de 3h du matin, de Martin St-Louis qui te confronte.
Est-ce qu’il a compris que c’était un test? Est-ce qu’il a répondu avec naïveté, genre :
« Oui, j’ai vu Nick là-bas. Il m’a montré comment jouer au blackjack. Il a gagné 300 dollars. »
Ou a-t-il tenté une réponse copiée sur ce qu’il a entendu dans les vestiaires? A-t-il défendu Suzuki avec aplomb comme dans le script?
Ce moment-là, dans la petite salle d’entrevue avec Kent Hughes, est peut-être ce qui décidera de son avenir à Montréal.
Ce que tout cela illustre, c’est la manière très particulière dont le CH veut évaluer les personnalités. On cherche des leaders, des gars loyaux, capables de prendre des décisions morales. Mais on refuse d’utiliser les vrais noms qui pourraient mettre les recruteurs mal à l’aise.
On n’utilise pas Cole Caufield, pourtant bien plus associé aux soirées arrosées.
On n’utilise pas Christian Dvorak, dont les rumeurs internes de fête nocturne sont bien connues.
On évite Jayden Struble, l’homme qui adore faire la fête.
On fait l’impasse sur Logan Mailloux, dont le dossier est déjà chargé de controverses.
Et on passe sous silence Arber Xhekaj, pourtant souvent vu dans les endroits tendance du Vieux-Montréal.
Non. On prend Nick Suzuki, le moine tibétain du vestiaire, pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore.
Le plus ironique dans cette affaire ? Le CH veut tester si un joueur est prêt à défendre ses coéquipiers en toute situation. Mais en choisissant un joueur irréprochable comme exemple, ils rendent l’exercice complètement stérile.
Et surtout, ils oublient que ce genre de test ne fonctionne que la première fois. Quand tu interroges une génération complète d’espoirs deux années de suite avec exactement la même question… tu ne testes plus rien. Tu fais juste passer une audition pour un rôle dans une pièce de théâtre.
Et dans ce théâtre, les jeunes sont plus prêts que jamais. Ils ont fait leurs devoirs. Ils ont lu Martineau. Ils savent que la bonne réponse, c’est de défendre Suzuki, de parler de chimie d’équipe, de loyauté et d’engagement.
Le Combine est un moment sacré pour évaluer les futurs visages de la LNH. Mais il faut le traiter avec l’intelligence qu’il mérite. Cette question du casino, utilisée deux années consécutives, est devenue un running gag chez les espoirs et les agents.
Elle est révélatrice d’un certain conservatisme dans les méthodes du CH, d’un besoin d’encadrer la culture d’équipe, mais aussi d’un malaise à affronter les vrais problèmes.
Tant qu’on n’aura pas le courage de poser une question avec le vrai nom d’un joueur qui sort jusqu’à 4h du matin, ou qui est connu pour faire la fête… tant qu’on restera dans le monde imaginaire où Nick Suzuki est le mauvais exemple à défendre…
On testera des réponses, mais on n’évaluera pas le vrai caractère.
Et Simon Wang, lui, aura peut-être simplement répondu la vérité.
« Je ne sais pas c’est qui, ce Nick Suzuki. »